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Des oranges pour Sarkozy, une plainte pour Darmanin

 Le ministre de la Justice est accusé d’avoir franchi la ligne rouge entre compassion et ingérence, après s’être rendu auprès de l’ancien président incarcéré à la prison de la Santé. Vingt-neuf avocats saisissent la Cour de justice de la République.

Gérald Darmanin devant l'Assemblée nationale, défend le texte de la CMP (capture Public Sénat)
Gérald Darmanin devant l’Assemblée nationale, défend le texte de la CMP (capture Public Sénat)

Une plainte inédite contre le garde des Sceaux

La controverse ne faiblit pas autour de la visite de Gérald Darmanin à Nicolas Sarkozy. Ce jeudi 30 octobre, un collectif de 29 avocats a déposé plainte contre le garde des Sceaux pour prise illégale d’intérêt, devant la Cour de justice de la République (CJR) — seule juridiction compétente pour juger les ministres pour des faits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
La plainte, longue de dix pages et consultée par plusieurs médias, vise des propos tenus par le ministre le 20 octobre sur France Inter, où il avait annoncé son intention de rendre visite à l’ancien chef de l’État, récemment incarcéré.
Une visite finalement effectuée le 29 octobre, à 19 heures, à la prison de la Santé, à Paris.

“Un pouvoir implicite” qui pose problème

Les avocats estiment que cette démarche, loin d’être anodine, constitue une ingérence dans le fonctionnement de la justice.
Dans leur plainte, ils écrivent :
« En s’exprimant publiquement quant à sa volonté de rendre visite à Nicolas Sarkozy en détention, ainsi qu’en lui apportant implicitement son soutien, Gérald Darmanin a nécessairement pris position dans une entreprise dont il a un pouvoir d’administration ou de surveillance. »
Même si le ministre n’a pas donné d’instruction directe aux magistrats, les plaignants soulignent qu’en tant que supérieur hiérarchique du parquet, il détient un “pouvoir implicite” sur le déroulement des affaires judiciaires.
Une situation jugée incompatible avec son rôle de garant de la neutralité de la justice.

La magistrature exprime ses inquiétudes

Les avocats s’appuient notamment sur les propos de Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, tenus le 21 octobre sur France Info. Le haut magistrat avait estimé qu’une telle visite faisait peser un risque sur « la sérénité de la justice » et rappelé la nécessité de protéger les magistrats de toute influence, surtout dans une affaire aussi sensible que celle de l’ancien président.
« Gérald Darmanin, même s’il n’a pas de pouvoir de décision dans ce dossier, conserve un pouvoir implicite de surveillance et d’administration inhérent à sa fonction », soulignent encore les avocats.

Une amitié ancienne

Au cœur de la polémique : la proximité personnelle et politique entre Gérald Darmanin et Nicolas Sarkozy.
Les deux hommes se connaissent depuis longtemps. L’actuel ministre fut un proche collaborateur de l’ancien président, dont il revendique toujours l’amitié.
Les avocats rappellent également que Gérald Darmanin s’était rendu au domicile de Nicolas Sarkozy quelques jours après sa condamnation — une démarche qualifiée d’« inédite » pour un garde des Sceaux en exercice.
Cette proximité, selon eux, pourrait constituer un “intérêt moral et amical” de nature à compromettre l’impartialité du ministre.
« Il ne fait pas de doute que cet intérêt est de nature à compromettre l’objectivité de Gérald Darmanin, qui, en tant que ministre de la Justice, ne peut prendre position dans une affaire pendante », écrivent-ils.

Un “perte de repères” institutionnelle ?

Pour Jérôme Karsenti, l’un des avocats signataires, cette affaire marque une dérive inquiétante : « Qu’un garde des Sceaux perde pied à ce point, au point de confondre ses amitiés personnelles avec ses missions régaliennes, est extrêmement grave pour l’État de droit. »
Le collectif considère que Gérald Darmanin, en rendant visite à Nicolas Sarkozy, a exercé une pression implicite sur le parquet, dans un contexte déjà tendu entre magistrature et exécutif.

Le ministère défend un geste “dans son rôle”

Contacté par BFMTV, le ministère de la Justice a refusé de commenter la plainte, mais maintient que le ministre “est dans son rôle de chef de l’administration pénitentiaire”.
Selon son entourage, Gérald Darmanin visite régulièrement des établissements de détention, « toutes les semaines », et échange « avec des détenus de tous profils ».
Le ministère souligne enfin que le ministre n’a donné aucune instruction ni interféré dans les décisions judiciaires concernant Nicolas Sarkozy.

Un précédent embarrassant pour la Chancellerie

Cette plainte, la première visant Gérald Darmanin depuis son arrivée place Vendôme, met en lumière les zones grises du rôle de garde des Sceaux, à la fois autorité politique et garant de l’indépendance judiciaire.
La Cour de justice de la République devra désormais déterminer si la visite du ministre constitue une prise illégale d’intérêts, ou simplement un acte symbolique mal interprété.
Quelle que soit l’issue, l’affaire fragilise encore un peu plus la frontière entre pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire, déjà au cœur de nombreuses tensions ces dernières années.

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