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Immigration illégale : le pavé dans la mare de la Cour des comptes

La juridiction financière constate que la France peine à freiner l’immigration irrégulière, notamment en raison d’un cadre législatif particulièrement mouvant : il a connu 133 modifications en moins de dix ans. D’où les difficultés de mener une politique cohérente et efficace.

Migrants repêchés (coastgard photo)
Migrants repêchés (coastgard photo)

Dans son dernier rapport consacré à la lutte contre l’immigration irrégulière, la Cour a analysé les trois grands volets de cette politique : la surveillance des frontières, la gestion administrative des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et l’organisation de leur retour dans leur pays d’origine. Ce rapport a été volontairement retardé par la Cour, de l’aveu de son président, Pierre Moscovici « pour ne pas interférer avec le débat sur la loi immigration » au Parlement.

439.000 aides médicales d’État

La Cour des comptes reconnaît que le nombre d’étrangers en situation irrégulière présents en France est difficile à évaluer. Si l’on se réfère au nombre de bénéficiaires de l’aide médicale d’État, il est de 439 000 en juin 2023. Mais cette approche a ses limites.
Quant à la politique de lutte contre l’immigration irrégulière, elle repose sur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) et s’exerce dans un cadre juridique en partie harmonisé au niveau européen, notamment par le biais de la directive « Retour » de 2008 et les accords de Schengen de 1995.

Les contrôles aux frontières

La gestion des frontières incombe à deux autorités « gardes-frontières » : la police aux frontières et les douanes se partagent la tenue de 126 points d’entrée dans l’espace Schengen en provenance des pays tiers.
Ce rétablissement du contrôle des frontières intérieures, depuis 2015, présente une efficacité limitée. La Cour des comptes recommande d’aligner les pouvoirs d’inspection de la police aux frontières avec ceux des douanes, de revoir l’attribution des points de passage frontalier entre ces deux administrations et de recueillir et de conserver l’identité des personnes interpellées à la frontière.

Les préfectures sont saturées…

La Cour constate que le cadre législatif de la lutte contre l’immigration irrégulière est particulièrement mouvant puisqu’il a connu 133 modifications en moins de dix ans. Dans ces conditions, on comprend que les services administratifs et les juridictions chargés de la gestion des étrangers en situation irrégulière peinent à remplir leurs missions, du fait de leur manque de moyens. Avec 447 257 obligations de quitter le territoire (OQTF) prononcées entre 2019 et 2022, les préfectures sont saturées.
La Cour recommande de renforcer les moyens humains des services chargés des étrangers dans les préfectures et d’engager une simplification du contentieux des étrangers. De plus, les systèmes d’information visant à contrôler les frontières sont insuffisamment interconnectés.
Enfin, la Cour souligne la nécessité que les ministères concernés apportent effectivement les moyens humains prévus au nouvel office central de lutte contre le trafic illicite de migrants (OLTIM).

12 % des OQTF sont exécutées

Le retour d’une personne dans son pays d’origine peut être volontaire, aidé ou forcé. L’éloignement forcé demeure majoritaire, car les personnes étrangères cherchent plutôt à se maintenir sur le territoire national. Or, l’éloignement forcé est contraint par plusieurs difficultés. Les centres de rétention administrative (CRA) manquent de policiers pour en assurer la surveillance, limitant ainsi les places disponibles ; aussi, depuis août 2022, le ministère de l’intérieur concentre ses efforts sur les personnes susceptibles de causer un trouble à l’ordre public. Ensuite, entre 20 et 30 % des étrangers ne sont pas identifiés avec certitude, empêchant leur éloignement. Enfin, l’État rencontre des difficultés à obtenir les laissez-passer consulaires de la part des États d’origine des personnes concernées.
Ce qui conduit la Cour à préconiser une centralisation des demandes de laissez-passer. Au total, malgré les moyens alloués, seules 12 % des OQTF sont exécutées.

La lutte contre l’immigration irrégulière coûte cher

Le coût direct de la politique de lutte contre l’immigration irrégulière est d’environ 1,8 Md € par an. Elle mobilise près de 16 000 fonctionnaires et militaires à temps plein. La police aux frontières est la seule force opérationnelle dont la lutte contre l’immigration irrégulière est une priorité permanente. L’organisation de cette politique incombe principalement au ministère de l’intérieur, qui définit seul ses orientations stratégiques et pourvoit l’essentiel des moyens mobilisés. Dans ce contexte, la coordination interministérielle, en particulier avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, est insuffisamment développée.

Élaborer enfin une stratégie

Or, l’immigration irrégulière affecte un nombre important de ministères. La Cour recommande donc de formaliser une stratégie interministérielle à trois niveaux : au niveau français, elle fixerait le rôle de chaque ministère et identifierait les failles juridiques. Au niveau européen, la France doit poursuivre ses efforts de mobilisation des leviers européens, en particulier sur les visas, la politique commerciale et la protection des frontières extérieures. Enfin, la politique étrangère de la France devrait mieux prendre en compte la lutte contre l’immigration irrégulière, en particulier s’agissant de l’aide publique au développement et de la délivrance des visas.

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