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Quels soins psychiatriques dans les prisons françaises ?

Thomas Fovet, Centre hospitalier régional universitaire de Lille

Un récent rapport de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, le mois dernier, a alerté sur les difficultés actuelles de prise en charge des pathologies psychiatriques dans les prisons françaises. Cette ONG dénonce la « double peine »que subissent les personnes souffrant de troubles psychiatriques en détention : l’incarcération, et également l’impossibilité d’accéder à des soins adaptés à leur pathologie.

Des troubles psychiatriques très fréquents en prison

La réalisation d’études épidémiologiques rigoureuses se heurte à de nombreuses contraintes logistiques et d’organisation en milieu pénitentiaire. Cependant, plusieurs travaux internationaux ont pu mettre en évidence, chez les personnes incarcérées, une fréquence des troubles psychiatriques, bien supérieure à celle retrouvée en population générale. Toutes les pathologies sont représentées : schizophrénie, trouble bipolaire, dépression, troubles de la personnalité, troubles addictifs, etc.

En France, l’étude la plus récente sur le sujet date de 2006. Ce travail, mené dans 20 prisons françaises, a mis en lumière des fréquences extrêmement importantes pour des pathologies comme la dépression (18 %), les troubles anxieux (plus de 20 %) ou les troubles psychotiques comme la schizophrénie (12 %).

Le suicide constitue également une problématique majeure puisqu’il s’agit de la première cause de mortalité en détention. Il existe un lien évident avec la prévalence élevée des pathologies psychiatriques en prison : on considère par exemple que la dépression non traitée constitue la première cause de suicide.

Des conditions d’incarcération difficiles

En France, au 1er avril 2016, le nombre de personnes écrouées s’élevait à 79 422 dont 68 361 personnes détenues (les autres bénéficiant d’aménagements de peine) pour 58 659 places opérationnelles, soit un taux d’occupation moyen de 117 %, mais pouvant atteindre plus de 150 % dans de nombreux établissements comme la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.

Cette surpopulation entraîne des conditions d’incarcération particulièrement difficiles (1 645 matelas au sol par exemple). Ainsi, le quotidien des personnes détenues est marqué par la promiscuité, l’inactivité contrainte et l’isolement affectif (l’incarcération constituant souvent une véritable rupture familiale et sociale). L’impact de ces facteurs de stress peut être majeur chez les personnes présentant un état fragilisé par des troubles psychiatriques : aggravation des symptômes (anxiété, hallucinations, perturbations du sommeil et de l’appétit, etc.) et complications (comme les gestes auto-agressifs par exemple).

Les soins psychiatriques aux détenus en France

Les systèmes de soins psychiatriques en milieu pénitentiaire apparaissent très hétérogènes en Europe et dans le monde avec toutefois, le constat général d’une insuffisance d’accès aux soins.

Le système français s’articule autour de différentes structures de soins (Dispositifs de Soins Psychiatriques (DSP), Services Médico-Psychologique Régional (SMPR), Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA)) avec pour objectif d’offrir aux personnes incarcérées le même niveau de soin que le reste de la population. L’indépendance des services de santé par rapport au système judiciaire ainsi que le respect rigoureux du secret médical en constituent les principes fondamentaux.

Les SMPR, au nombre de 26, forment le socle des soins psychiatriques en prison. Ils sont aménagés au sein de certains établissements pénitentiaires, mais rattachés aux établissements hospitaliers publics. Les cellules y sont gérées par l’administration pénitentiaire et les soins sont dispensés par une équipe multidisciplinaire dépendant de l’établissement hospitalier de rattachement, uniquement avec le consentement des patients accueillis (les soins sans consentement n’y sont pas possibles).

À noter que cette équipe soignante n’est présente que la journée, la surveillance nocturne étant assurée par l’administration pénitentiaire. Dans les établissements ne bénéficiant pas d’un SMPR, des consultations psychiatriques sont assurées par les DSP.

Toutefois, ces aménagements sont loin de répondre pleinement aux besoins de la population carcérale et les moyens mis en œuvre (personnels médicaux et paramédicaux notamment) restent largement insuffisants.

Des évolutions récentes…

Depuis 2010, les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées permettent une prise en charge, en hospitalisation complète (libre ou sans consentement) des personnes détenues (hommes, femmes et mineurs) souffrant de pathologies psychiatriques. Sept UHSA sont opérationnelles actuellement (Lyon, Nancy, Toulouse, Orléans, Paris, Lille et Rennes). Deux établissements sont en cours de construction (Bordeaux, Marseille). Au total, ces 9 établissements offriront 440 places d’hospitalisation à temps complet.

L’établissement public de santé Paul Guiraud à Villejuif abrite une UHSA.
Mickael Denet/Wikipédia, CC BY-SA

Les UHSA ont été conçues avec l’objectif de remédier aux difficultés rencontrées jusqu’alors par les secteurs de psychiatrie générale pour accueillir les personnes détenues. En effet, lorsque l’état d’un détenu souffrant de trouble psychiatrique est incompatible avec le maintien en détention, le Code de Procédure Pénale permet le transfert de celui-ci vers un établissement public de santé mentale, en vertu de l’article D 398.

Cependant, la prise en charge se heurte alors à un certain nombre de problématiques, notamment le double rôle de soins et de privation de liberté confié à l’institution psychiatrique. Ces difficultés peuvent parfois être à l’origine de mesures d’isolement ou de contention physique non justifiées médicalement, ce qui constitue une atteinte aux droits de la personne, mais aussi un obstacle majeur à la mise en place de soins de qualité.

En UHSA, le personnel hospitalier assure la gestion interne des unités de soins : les personnes hospitalisées ont le statut de patient, et bénéficient à ce titre des mêmes droits que tout patient. Toutefois, ils gardent également un statut de détenu et poursuivent donc leur peine tout au long de l’hospitalisation, ce qui implique qu’ils restent soumis aux règles pénitentiaires et peuvent bénéficier des droits des détenus (parloirs, téléphone, etc.). Le personnel de l’administration pénitentiaire, qui reste extérieur aux unités (sauf en cas de situation d’urgence), est garant de la sécurité du bâtiment ainsi que des transferts.

Même s’il n’existe, pour l’heure, pas de données chiffrées sur le sujet, la création des UHSA a indéniablement permis une amélioration de l’accès aux soins psychiatriques des personnes détenues. Par ailleurs, certains indicateurs apparaissent prometteurs comme la légère diminution des taux de suicide en détention, même s’ils restent extrêmement élevés et largement supérieurs à la population générale.

Cependant, les capacités d’accueil restent largement inférieures aux besoins et les hospitalisations de personnes détenues dans les établissements de psychiatrie générale restent nombreuses, ne permettant pas un accès aux soins satisfaisant pour cette population.

… et des problématiques émergentes

La création des UHSA a été fortement critiquée. En effet, certains spécialistes ont pu dénoncer la mise en place d’un système de soins spécifiquement destiné aux patients souffrant d’une pathologie psychiatrique placés sous main de justice, comme s’il s’agissait de patients « particuliers ». Le renforcement des liens entre la psychiatrie en milieu pénitentiaire et la psychiatrie en milieu libre apparaît primordial pour éviter cet écueil potentiel. Il s’agit de donner priorité à la continuité des soins dans le parcours des patients.

Mais la principale dérive que voient émerger les praticiens exerçant en UHSA est très certainement la justification, par certains magistrats, de l’incarcération de personnes souffrant de trouble psychiatrique, au prétexte qu’elles seront, de par l’existence de ces structures, « mieux soignées » en détention. Il convient de souligner ici que la prison ne peut en aucun cas constituer un lieu de soins acceptable et cette utilisation détournée des UHSA constituerait un net recul pour la psychiatrie française.

The Conversation

Thomas Fovet, Psychiatre, Unité d’Hospitalisation Spécialement Aménagée (UHSA) Lille-Seclin, Centre hospitalier régional universitaire de Lille

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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