L’affaire des sous-marins australiens n’est pas simplement un échec commercial pour la France. Elle annonce une recomposition du monde dans laquelle l’Europe est mise à l’écart.
La rupture unilatérale d’un contrat de livraison par la France à l’Australie de douze sous-marins à propulsion conventionnelle pour un prix d’environ 50 milliards de dollars au profit de sous-marins américains à propulsion nucléaire, n’est pas une banale affaire commerciale qui aurait mal tourné. Certes, la France a perdu « le contrat du siècle ». Mais cet échec a une portée géopolitique plus vaste. Il témoigne de nouvelles alliances qui se nouent entre les grands blocs.
De Yalta à Shanghai
Le monde dessiné à Yalta en 1945 se décompose et se recompose sous nos yeux. Il y a plus de 70 ans, alors que la guerre n’était pas terminée, Américains, Britanniques et Soviétiques préparaient déjà un nouvel ordre international. Deux ans plus tard, en 1947, deux blocs antagonistes vont s’opposer : d’un côté le camp occidental, dominé par les États-Unis qui contrôlent l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord ; de l’autre, l’U.R.S.S. et ses pays satellites d’Europe de l’Est, que rejoignent bientôt la Chine populaire et Cuba.
Aujourd’hui, en cette fin 2021, le monde est dominé par trois traités politico-militaires internationaux : le fameux AUKUS (Australie, UK et USA) révélé le 15 septembre 2021, ouvertement dirigé contre la Chine ; l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) créée en 1996 à l’initiative de Moscou et de Pékin et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) créé en 1949. L’OTAN est actuellement composée de 29 États membres dominés par les États-Unis.
La réaction sino-russe
Le développement et la puissance de la Chine au cours des 30 dernières années ont rebattu les cartes de cet ordre mondial et déplacé le centre de gravité des intérêts américains vers l’Asie. L’Europe et ses divisions ne sont plus des alliées suffisantes dans cette nouvelle donne. L’Amérique de Biden préfère conforter l’alliance militaire tripartite (avec l’Australie et le Royaume-Uni) pour contrer l’expansionnisme chinois.
La réaction sino-russe n’a pas tardé. Lors de son 21ᵉ sommet qui se tenait à Douchanbé (Tadjikistan) le 18 septembre 2021, l’OCS a accueilli à bras ouverts comme membre à part entière, la République islamique d’Iran qui attendait ce moment depuis 13 ans. « La présence de la République islamique d’Iran en tant que membre clé de l’OCS crée un lien économique fort pour le peuple de notre pays, ce qui signifie connecter l’Iran à l’infrastructure économique de l’Asie », s’est félicité le nouveau président iranien Ibrahim Raïssi alors que le pays tente de sortir de son isolement. Avec 83 millions d’habitants, un PIB classé 20ᵉ du monde et des ressources naturelles immenses, l’Iran est un pays avec lequel il faut compter.
Et la France dans tout ça ?
Bref, l’affaire des sous-marins a des conséquences incalculables sur la recomposition des alliances économico-militaires du monde. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie forment désormais un bloc décidé à contrer les velléités de la Chine, mais ils devront désormais compter sur le camp eurasiatique qui n’entend pas se laisser imposer le diktat américain.
Dans ce nouveau concert des nations, l’Europe est laissée à l’écart, trahie, méprisée par l’Oncle Sam et ses affidés, l’Australie et le Royaume-Uni. La France, en particulier, est la grande perdante de cette réorganisation du monde. Non pas seulement à cause de la perte du « contrat du siècle » dont elle se remettra. Mais parce que désormais elle sait qu’elle n’est plus une grande nation.
Son avenir est lié tout entier à celui de l’Union européenne. Une UE des peuples qui devra sortir de ses multiples crises financières, migratoires, politiques, etc. Une Europe qui ne sera plus la vassale des États-Unis. C’est à cette seule condition qu’elle pourra retrouver son indépendance et décider, enfin, de son propre destin.