Monde
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

#MeToo, la plus grande révolution de l’Histoire

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, Gaïa explique à sa soeur la révolution MeToo.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

Lettre d’avril 2024

Ma chère Aurore,

Merci, merci, merci. Tu dois beaucoup m’aimer pour tant essayer de comprendre ma charmante société humaine !

Cela te permettra peut-être de repérer les fêlures des tiennes avant qu’elles ne deviennent des fractures… Ce qui me frappe le plus dans tes constats qui rejoignent les miens, c’est l’étonnement de la charmante gent masculine, totalement surprise par la révolte du sexe dit faible. Le qualificatif que le mâle a accolé à sa moitié l’a sans doute conduit à se considérer lui comme le fort, fort en tout, un maître régnant sans partage, sans comprendre ni la souffrance ni la sourde révolte dudit faible ; sexe fort mais faible en intelligence des situations, faible en empathie, faible en gestion des talents de sa moitié.

Sortie du monde animal

Le son mélancolique des trompes de Fallope des Charmantes a fini par souffler en cœur du fond de leurs entrailles. Il a fait vaciller les murailles de la forteresse de leur enfermement comme les trompettes des clercs ont fait tomber celles de Jéricho. Depuis, les Charmantes osent dire l’indicible, montrer le caché et bousculer l’ordre établi. Leur parole détonne, résonne, arraisonne les certitudes des mâles. Comme tu me l’écris, c’est bien une révolution.

Ta suggestion de leur sortie du monde animal me semble être une interprétation intéressante de l’évolution de la race de mes petits humanoïdes. Nous nous accordons sur le fait que l’animal se reproduit par nécessité de pérenniser sa race. Sa survie passera par le nombre pour compenser les ravages de ses prédateurs. L’accouplement n’y est pas une question de consentement, c’est une lutte contre l’extinction. Cette dernière ne semble plus menacer la charmante nature humaine.

Mais dans le monde animal, avant d’envisager la chose, le mâle retrousse sa lèvre supérieure pour boucher ses narines et avaler l’air ambiant : c’est le flehmen. Il détecte ainsi les phéromones émises par les femelles en chaleur. Cette moue de flairage expose son organe voméro-nasal, dit de Jacobson situé sous le nez sur le palais, pour le renseigner sur les opportunités d’accouplement. L’animal mâle ne se lance donc pas par hasard dans l’aventure sexuelle. Si la prise est brutale, elle n’en est pas moins opportune.

Cet organe de Jacobson, tout comme le bulbe olfactif accessoire, est présent chez Charmant au cours de sa maturation fœtale dans l’utérus, l’embryogénèse. Mais à la naissance il est en général atrophié. Ainsi à la maturité sexuelle, les mâles charmants seront dans l’ignorance de la disponibilité des charmantes femelles ; leurs propositions pourront tomber à plat, voire devenir délictueuses si la contrainte fait suite à l’insistance.

Donc j’ajouterai que si Charmante est sortie du monde animal, c’est d’abord parce qu’elle n’est plus contrainte à la reproduction de remplacement. Mais aussi parce que le signalement de sa disponibilité sexuelle ne peut plus s’adresser à Charmant dont le récepteur a malheureusement disparu. Cet organe s’est rapetissé au cours de la maturation de l’embryon. Pourquoi ? Vaste question à laquelle je n’ai pas de réponse mais j’y peux voir également une sortie du mâle charmant de ce vaste monde animal…

Aisselles

Tiens, je pense à un autre fait.

Comme du fait de leur coquille, tes Ovoïdes ne génèrent pas d’odeur, tu ne sais peut-être pas que mes charmants petits humanoïdes eux sont odorants. Leurs émanations sont liées à la transsudation de glandes à travers les pores, de multiples orifices de leur peau. Elles sont plus particulièrement concentrées dans l’aisselle, c’est l’organe axillaire (cavum axillae). Ces glandes avaient entre autres pour fonction de renseigner les mâles charmants sur le désir des femelles. Pour éviter la macération qui magnifie les effluves, ces dernières ont tendance à se raser les aisselles, à masquer leurs signaux sous des parfums trompeurs qui troublent le message. Un grand nombre supprime ses secrétions avec des aérosols ou des bâtonnets gluants encore appelés « Déodorant », et de fait annihile une communication non verbale qui sans doute évitait les méprises. Assurément de ce point de vue, elles sont bien sorties du monde animal.

Paroles ou écrits ?

Donc n’ayant plus d’indicateur corporel quand il se lance pour faire sa cour, pour aller plus loin, le mâle charmant doit obtenir un consentement verbal, un oui franc d’autant plus audible qu’il a été précédé de « non » répétitifs et pourquoi pas un écrit.
Un écrit aujourd’hui sera plutôt un sms lapidaire, un « oui » qui répond à une question précise du genre : Veux-tu faire l’amour ? Les détails de cet acte d’amour ne sont pas encore exigés mais il faudra peut-être y songer un jour en précisant si la désirée est d’accord pour une fellation, une sodomie, et ou une répétition des performances… toutes choses embarrassantes à avouer désirer pour de pudiques pucelles et à assumer pour des mâles qui promettent alors et doivent assurer.
Dans les cas rarissimes comme au temps passé, quand la relation des intéressés est faite d’échanges épistolaires enflammés – de belles feuilles d’écriture déliée sur papier canson traduisant de vertigineux sentiments amoureux utilisant des comparaisons agrestes, des réflexions philosophiques et rarement des allusions d’étreintes – il faudra au mâle faire œuvre de prudence car ces épanchements littéraires ne signifiront pas forcément qu’elle a envie de baiser.
Ces précautions oratoires ou écrites sortiront le projet de l’ambiguïté et permettront à Charmant de se couvrir avant que lui-même ne puisse couvrir la promise de son corps musculeux et tendu.

Aujourd’hui la lourdeur légendaire de certains mâles, soutenue par leur défaut de perception des signaux comportementaux négatifs et variables émis par la charmante gent féminine, doit faire place à une proposition claire mais unique et surtout circonstanciée, sous peine de tomber sous le couperet du qualificatif de harcèlement.
L’adage du « qui ne dit mot consent » doit être banni du logiciel de traduction du mâle concernant l’acquiescement féminin. Car si elles s’abstiennent souvent de réfuter ouvertement les propositions indésirables, c’est souvent par pure empathie, pour ne pas humilier le locuteur quand celui-ci voudrait y voir un accord.

Les vents sont à l’Amour

Et pour les partisans de la suggestion frivole, de l’allusion légère mais grivoise, de la métaphore léchée à la limite de l’audible mais recevable parce que drôle, il faut savoir qu’elle servira leur jeu de séduction mais les exposera par le rire obtenu de Charmante, à une mésinterprétation d’un désir d’accouplement sur le champ.
Car attention, si l’audacieux organisateur d’une invitation à boire le verre de l’amitié n’essuie pas un refus, il ne doit pas y déceler un quelconque engagement implicite de Charmante pour, même s’il l’espère, outrepasser cette amitié.
Il ne saura si « les vents sont à l’amour », expression d’Alfred de Musset qui par vent évoquait sans doute l’originel transport d’indices olfactifs et gustatifs de réciprocité des désirs, que quand elle aura dit oui, oui et vraiment oui et qu’elle aura elle-même dégrafé son corsage et fait sauter son boutonnage…
Les Charmants s’étant trop retranchés sur les ambiguïtés qu’ils voulaient voir ou déceler dans le comportement des Charmantes, il leur sera nécessaire de faire preuve de moins de supposition et de plus de respect de la décision énoncée par l’autre partie à l’affaire.

Mais que faire des mâles chez qui les systèmes de détection – un organe de Jacobson malheureusement présent pour dépister les phéromones, un flairage des aisselles par un bulbe olfactif pointu – sont encore actifs ? Car il n’est pas interdit de penser que certaines Charmantes pourraient émettre à leur insu des signaux phéromonaux possiblement détectés par l’organe voméro-nasal ou le bulbe olfactif de quelques Charmants encore équipés ? Ceux-là mêmes qui pourraient interpréter un refus pour de la timidité, une moue pour un caprice, qui contrediraient leur ressenti sensoriel. Des délinquants ? Certes s’ils insistent, mais ta remarque me fait prendre conscience de la complexité des chemins qui peuvent mener au délit voire au crime.

Tout ceci pour te dire que je cherche des pistes pour réconcilier l’incompréhension entre ces deux sexes. Pourquoi ce hiatus entre l’envie qu’elles suscitent et la répulsion qu’elles ressentent ? Car comme tu me l’écrivais, toutes mes Charmantes ne sont pas agressées et il serait trop simple d’en déduire que celles qui le sont, allument les pétards à mèche courte de la libido de leurs homologues masculins. Émettraient-elles encore ces signaux de leur animalité sans en reconnaître l’existence. Donc sortie partielle du monde animal ?

Révolution

Ma chère Aurore, cette révolte c’est vraiment la plus Grande Révolution de l’Histoire que ma charmante petite humanité ait connue. Les précédentes trouvaient leurs origines dans un conflit de classe, dans celle d’un peuple contre son roi, contre son oppresseur. Elles étaient cantonnées à des provinces, à des pays mais ni à des continents ni à mon globe. Elles concernaient des milliers, voire des millions de révoltés mais pas la moitié de ma charmante humanité qui se compte en milliards. Cette révolution possède un credo #metoo, un diffuseur l’Internet et une totale solidarité entre les révoltées qui en fait le plus considérable mouvement de contestation réunissant les strates sociales, les religions et les couleurs.

Ce tsunami de la société charmante aura plus de force que tout ce qui a déjà renversé l’ordre établi. Il ne se cantonnera pas à des quartiers délaissés. Il a déjà fait des ravages dans les plus chics. Les premiers mâles charmants à être tombés furent les plus puissants, ceux qui avaient le plus abusé par le pouvoir et la force de leur position sociale, de leur richesse pour contraindre la charmante gent féminine. Les premiers ne comprirent rien à ce qui leur arrivait. Un président américain faillit être déchu pour une tache de stupre. Un lanceur d’alerte qui voulait réveiller l’humanité, dut se réfugier dans une ambassade exotique car il avait omis d’éveiller sa partenaire avant de la pénétrer. C’étaient les prémisses de l’ondulation du ver géant qui ébranlerait les dunes de la charmante domination mâle.

Hollywood

Et puis le hashtag #metoo fit tomber le plus puissant des producteurs de films hollywoodiens qui ne pensait peut-être plus au mal que la répétition de l’accomplissement de sa sexualité engendrait. Ce puissant géniteur était né laid, sans doute devenu repoussant à force de pensées lubriques qui lui dessinaient des sillons de luxure autour des narines qui sentaient la porcherie. Mais il aimait les œuvres d’art, rang auquel il avait ravalé le corps des femelles qu’il voulait posséder. Et, hideux, il avait compris que pour les posséder il devait les contraindre, mais chère Aurore pardonne-moi l’oxymore, il devait les contraindre volontairement.
Il avait donc décidé d’atteindre le sommet de la pyramide hollywoodienne. Et pour cela il avait gravi toutes les voies escarpées rendues glissantes par la bave des siens, escaladé avec résignation les pentes nauséabondes du parcours, osé des passages en surplomb au-dessus des précipices du déshonneur sans autre assurance qu’une corde pour se pendre. Et il avait fini par planter quelques pitons dans le dos de ses congénères qui soit en étaient morts, soit avaient constitué un réservoir de survivants particulièrement revanchards.

Et quand il avait atteint le sommet, il avait pu tout à sa guise enfin manigancer des pièges pour des proies qui souvent connaissaient le pal mais ne pouvaient résister au désir, un désir il est vrai un peu différent de celui de leur prédateur. Elles voulaient devenir célèbres. Alors il leur fallait passer sous les fourches caudines de son entrejambe et y gâter le propriétaire qui, dans sa grande mansuétude, pourrait leur épargner un deuxième passage si elles avaient la délicatesse de lui confier une amie avide de célébrité. Le contrat était clair mais tacite car ne respectant pas le droit et ne pouvant faire l’objet d’un écrit car tout avantage obtenu sous la contrainte est illégal. De cette illégalité qui bravait l’ordre et la nature, il soutirait sans doute une jouissance supplémentaire, celle d’un pouvoir quasi divin qui néglige, surpasse, ignore les lois humaines. Mais s’appuyant sur l’illicite, il générait l’amoral et l’illégal. Et il s’aperçut trop tard d’être acculé dans l’impasse qu’il avait lui-même murée sans avoir pensé que la donzelle n’était pas la seule à s’y être piégée.

À sa défense, il faut dire ma chère Aurore qu’il a persévéré dans une voie instaurée par des milliards de charmants mâles qui l’y avaient précédé. Si fait que la plupart ne se posait plus la question du bien ou du mal. La grande banalité de la pratique en occultait la gravité. Le nécessaire accouplement originel en amoindrissait la culpabilité. La jouissance en aggravait l’attrait.
Ma chère Aurore, l’affaire n’est pas finie.

Repentir

Si les charmantes femelles ont délié leur langue pour réclamer d’autres usages que ceux dont Charmant se satisfait, lui n’a pas encore délié la sienne pour faire amende honorable. Le silence lui tient lieu de paravent car il ne sent pas à l’aise pour condamner un comportement quand il n’a pas toujours été irréprochable. Comme peu de Charmants peuvent se jurer à eux-mêmes n’avoir jamais un peu forcé Charmante, si nue soudain elle se refusait, peu de Charmants peuvent se prétendre exemplaires et revendiquer un châtiment pour les violeurs. Car beaucoup se sentent sans doute un peu responsables de quelques forfaits. Et dans des circonstances complexes liées à la subite réticence féminine, à une volte-face inattendue alors que le désir du mâle échauffé le porte à l’action, il faut être maître de ses émotions et beaucoup respecter Charmante pour accepter de ne pas satisfaire un besoin si impérieux et si délicieux.

Mais ma chère Aurore je crois absolument que les mâles Charmants doivent passer outre leurs réticences à condamner les violeurs et les agresseurs. Ils doivent tous dénoncer ces pratiques délictueuses. Et il serait souhaitable que des manifestes et des pétitions soient signés par des Charmants célèbres faisant repentance. Pour que les Charmantes leur en sachent gré et puissent leur pardonner les erreurs passées.

Car la Révolution des Charmantes est en marche, irréversible, irrépressible, incontournable. Charmant doit demander pardon, pardon, pardon pour ce qu’il a fait, pour ce qu’il a perpétré, pour lui, pour ses aïeux, pour ses fils. Car il est coupable d’agression et de faiblesse d’avoir encouragé, accepté et pérennisé un système qui a soumis la moitié de l’humanité. Et le pardon ne pourra être accordé que si les aveux et les regrets sont sincères. Sinon, il y aura des dommages.

« Je parle mais je ne vous entends pas » vient de déclamer une actrice à la cérémonie des Césars. Messieurs les Charmants, soutenez-la, même si… Il en va d’une guerre qui pourrait vous coûter beaucoup, il en va d’une morale que la sortie du monde animal oblige.
Ma chère Aurore, ma jumelle, mon adorée, je t’enlace, je t’embrasse et j’attends bien entendu de tes nouvelles…

Ta Gaïa

Le mouvement MeToo et le hashtag associé, symboles de l'ère de la militance féministe « online ». Wolfmann via Wikimedia Commons, CC BY-SA
Le mouvement MeToo et le hashtag associé, symboles de l’ère de la militance féministe « online ». Wolfmann via Wikimedia Commons, CC BY-SA
Europe France Monde