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Le système de santé français expliqué aux Américains

Jean de Kervasdoué, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

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La carte vitale-spécimen- (Photo credit: MatthieuGD via VisualHunt.com / CC BY)

À l’heure des présidentielles, les Américains s’interrogent sur leur système de santé. C’est l’un des points sur lesquels les candidats en campagne s’opposent le plus violemment, alors que la polémique enfle autour des résultats mitigés de l’assurance privée obligatoire mise en place par le président Barack Obama, « l’Obama care ». Hillary Clinton plaide pour un engagement fort en faveur de la santé publique. Donald Trump, pour la limitation des dépenses. Le système français pourrait-il être source d’inspiration dans les politiques américaines ? Répondre à cette question, c’est aussi inviter les citoyens français à prendre un recul salutaire vis-à-vis de leur propre organisation de l’accès aux soins. Car le fameux « trou de la Sécu » s’annonce déjà comme un sujet chaud dans la campagne des candidats français aux présidentielles de 2017.

S’il existe aux États-Unis plusieurs grands experts des systèmes de santé, le citoyen américain n’a le plus souvent pas d’idée de la manière dont fonctionnent les systèmes étrangers et, quand il en a, ses idées sont souvent caricaturales. Pourtant, système américain et système français sont proches, vraisemblablement les plus proches de tous les pays riches, à quelques nuances près cependant.

Une espérance de vie inférieure pour les États-Unis

Pour expliquer le système français aux Américains, je commencerai par un retour en arrière. En 1939, un citoyen des États-Unis avait une espérance de vie à la naissance supérieure de sept années à celle d’un Français. Les choses ont changé depuis car celle-ci est, en 2016, inférieure de quatre années. Pourtant l’Américain dépense pour se soigner des sommes très supérieures. Ainsi, en 2014, elles représentaient 9 403 dollars par personne et par an aux États-Unis et 4 959 dollars en France.

À l’échelle nationale, cela se traduit par un montant des dépenses dites « de santé » (elles sont surtout des dépenses médicales) de 16,4 % du PIB aux États-Unis et de 10,9 % en France. Si l’évolution de l’espérance de vie a plus à voir avec les modes de vie et les habitudes alimentaires (entraînant obésité ou diabète) qu’avec l’efficacité de la médecine, il est vraisemblable cependant que la qualité des soins pour le plus grand nombre est à la fois meilleure et plus accessible en France.

Pour ce qui est du paiement des soins médicaux, en France c’est simple : c’est un pays où Medicare (nom du système américain de Sécurité sociale) commence, non pas à 65 ans, mais à la naissance. Tout résident légal est affilié de droit à l’assurance maladie et, à ce titre reçoit des soins, souvent gratuits, sinon remboursés en grande partie par le régime d’assurance obligatoire ou le régime d’assurance santé complémentaire.

Seulement 6 % du coût des soins assumé par le citoyen français

Pour trente maladies graves, les soins sont remboursés à 100 % par le régime obligatoire. Et si on ajoute les assurances complémentaires « santé » – aujourd’hui quasiment universelles – seulement 6 % du coût des soins en France sort de la poche du patient au moment du contact avec le système médical. Bien entendu, lui ou son employeur auront cotisé pour financer l’assurance maladie obligatoire ou complémentaire. Ainsi, en moyenne, chaque année, tout Français travaille 33 jours pour payer ses seules cotisations à l’assurance maladie.

Il n’y a donc pas de barrière financière à l’entrée, sauf pour les soins dentaires et les lunettes, et encore… Si ces barrières existent, le système français est là à nouveau plus généreux que ceux des pays comparables.

En outre, si le patient est incité à avoir un médecin de référence, son « médecin traitant » avec lequel les soins sont entièrement gratuits, il ne lui en coûtera que quelques euros quand il souhaite déroger à la règle. Il pourra alors voir dans la même journée plusieurs spécialistes dont les honoraires lui seront en grande partie remboursés.

En France, une majorité d’établissements publics

Comme aux États-Unis, il y a en France des hôpitaux publics, des hôpitaux privés à but lucratif et des hôpitaux privés à but non lucratif. Les proportions ne sont toutefois pas les mêmes : 2/3 des lits hospitaliers de court séjour sont des lits d’hôpitaux publics en France. À noter que les 31 hôpitaux universitaires sont tous publics. Cependant, la France a en pourcentage plus d’hôpitaux privés à but lucratif que les États-Unis (20 % contre 15 % des lits). Ceux-ci réalisent plus de la moitié des actes chirurgicaux français.

Plus étonnant, non seulement le patient français peut choisir son hôpital qu’il soit public ou privé et être remboursé dans les deux cas, mais encore l’établissement privé – hors honoraires des médecins – coûte moins cher (de l’ordre de 30 %). Il y a donc un marché des soins et une concurrence, si bien que, contrairement aux pays d’Europe du Nord, au Canada ou au Royaume-Uni, il n’y a pas en France de file d’attente pour la chirurgie programmée, par exemple la cataracte ou la prothèse de hanche.

En ville, les médecins libéraux ont la liberté d’installation et sont payés à l’acte. Pour la plupart d’entre eux, les tarifs sont fixés par l’assurance maladie et sont très inférieurs aux tarifs américains (entre 30 et 40 dollars la consultation). Toutefois, un pourcentage de médecins spécialistes a des honoraires libres, leurs patients sont alors moins bien remboursés, mais la consultation dépasse rarement les 100 dollars.

Une forte régulation par l’État français

Bien entendu, l’État est fortement impliqué dans la régulation du système. Chaque année est défini un numerus clausus national pour les étudiants en faculté de médecine. Il n’est pas possible d’ouvrir une pharmacie sans autorisation administrative. L’État, par ses agences régionales de santé, contrôle toutes les autorisations en matière hospitalière, que les hôpitaux soient publics ou privés. Par ailleurs l’État gère les nomenclatures de tous les actes médicaux, le tarif et le taux de remboursement de chaque médicament, radiographie ou examen de biologie. L’État à l’échelon national nomme tous les directeurs et tous les médecins des hôpitaux publics (lesquels emploient 850 000 personnes). Mais il existe des établissements privés de grande qualité et, je le souligne encore, les médecins libéraux sont libres de leur installation et de leurs prescriptions.

Malgré tout le système français est un des plus onéreux des pays occidentaux. L’hospitalisation y a une grande part, les spécialistes sont nombreux et la consommation de médicament y est élevée.

Si le système américain est plus onéreux encore, et factuellement plus inefficace, c’est parce que la concurrence entre les assurances privées produit non pas une plus grande efficacité – comme c’est souvent le cas en économie de marché – mais de l’inflation dans le cas de l’assurance maladie. Au nom d’une croyance dans les bienfaits absolus et systématiques de toute forme de concurrence, les gens aisés achètent aux États-Unis des assurances qui couvrent les honoraires des médecins réputés et les frais de séjour des hôpitaux luxueux.

Un système américain inflationniste par essence

Les gens moins riches ont, à un moment donné, accès à des services plus standards. Mais avec le temps, les prix des producteurs de soins (ayant été rendus solvables par une partie de la demande) augmentent et cela produit de l’inflation. Le coût élevé des soins aux États-Unis, comparé aux autres pays occidentaux, est dû pour l’essentiel à une différence de prix des biens médicaux et des professionnels de santé. Le système américain est par essence inflationniste et les récentes réformes du Président Obama n’ont rien pu faire pour maîtriser cette inflation liée aux modalités de financement.

La solution semble donc être l’assurance maladie universelle car elle permet le contrôle opérationnel des tarifs médicaux, du prix des médicaments et des tarifs hospitaliers. C’est la règle dans les pays de l’OCDE. Cela ne veut pas dire que les médecins ou les infirmières y soient mal payées ou encore qu’il n’y a pas d’accès aux découvertes médicales, mais que la régulation n’est pas laissée à un marché qui produit surtout de l’inflation.

Des contributions publiques plus élevées aux États-Unis

Pour terminer par une brève démonstration arithmétique, les dépenses publiques de santé (celles financées par les impôts et les cotisations obligatoires) représentent aux États unis 48 % des dépenses totales de santé américaine, soit donc 4 513 dollars (48 % de 9 403 dollars). En France, elles représentent 76 % de ces mêmes dépenses soit 3 768 euros (76 % de 4 959 euros). Autrement dit, les taxes américaines financent plus en valeur absolue le système de soins ! Faudrait-il considérer, de ce fait, que les États-Unis sont plus « socialistes » ? Plus sérieusement, les Américains payent en fait deux fois : une fois l’État, une fois le marché.

Depuis longtemps aux États-Unis, des personnes ont fait ce constat et sont donc de farouches partisans de l’assurance maladie universelle, à commencer par le défunt sénateur Ted Kennedy, le cadet des frères Kennedy. Mais la probabilité qu’une telle réforme arrive sur l’agenda politique est faible car, pour conclure par une citation de Marcel Proust (Du côté de chez Swan) :

« Les faits ne pénètrent pas dans le monde où vivent nos croyances, ils n’ont pas fait naître celles-ci, ils ne les détruisent pas ; ils peuvent leur infliger les plus constants démentis, sans les affaiblir ».

Les croyances dans l’efficacité universelle du marché sont donc aussi fermes que coûteuses et restent bien vivantes.

The Conversation

Jean de Kervasdoué, Professeur d’économie de la santé, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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