France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

La fraude dentaire en forte augmentation

Fraude, abus, mauvaises pratiques : les cabinets dentaires sont dans le collimateur de l’Autorité de la concurrence. Les victimes ? Les patients et les mutuelles santé. Petit répertoire des malversations possibles.

La fraude en augmentation chez les dentistes (UnlimPhotos)
La fraude en augmentation chez les dentistes (UnlimPhotos)

La fraude massive qui se répand dans nos sociétés n’épargne ni les dentistes ni leurs patients. D’autant que l’accès aux logiciels de création de faux documents facilite les pratiques malhonnêtes. Voilà pourquoi la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) multiplie actuellement les contrôles dans les cabinets dentaires.
Les vérifications des fonctionnaires de l’Autorité de la concurrence, portent essentiellement sur trois points :

  • L’affichage des honoraires. Les tarifs de consultation et des actes les plus courants doivent être affichés de manière visible dans la salle d’attente et au lieu de paiement.
  • Les fiches de traçabilité des dispositifs médicaux sur mesure. Les dentistes doivent pouvoir fournir : les factures d’achat, les déclarations de conformité CE, les informations sur le fabricant, les coordonnées des fournisseurs de prothèses.
  • L’utilisation du devis conventionnel à 11 colonnes, qui doit inclure une notice explicative et être conservé en format papier.

L’entente préalable supprimée

La nature et le degré des escroqueries ont changé ces dernières années. Si la fraude était autrefois à 80% le fait des praticiens eux-mêmes et à 20% le fait des patients, le rapport est en train d’évoluer.
Pour comprendre cette évolution, il faut savoir qu’avant 2003, la prise en charge des travaux dentaires (soins et prothèses) par l’Assurance maladie, était conditionnée par un accord préalable. La CPAM acceptait ou refusait tout ou partie du devis. Les mutuelles santé étaient en quelque sorte « protégées » des abus éventuels.
Après 2003, l’Assurance maladie a supprimé ‘’l’entente préalable’’. Elle paie l’assuré sous quatre ou cinq jours. Et les mutuelles remboursent leurs adhérents selon le contrat mais « à l’aveugle ». Sans pouvoir vérifier ni la réalité ni la qualité des soins et des prothèses en raison du sacro-saint principe du secret médical.
La fraude est alors devenue beaucoup plus facile. Mais la DGCCRF va s’attaquer à une fraude à la fois plus larvée et plus répandue, celle qui concerne « les devis déviants ».

Le reste à charge zéro détourné

De quoi s’agit-il ? On sait que pour faire face aux coûts élevés des soins (audiologie, dentaire, optique) l’État a mis en place dès 2019 le « plan 100% santé » qui propose un reste à charge zéro (RAC 0) pour les patients. Pour en bénéficier, il faut avoir souscrit un contrat responsable auprès d’une mutuelle. L’idée, c’est que le praticien, la Sécurité sociale et la mutuelle santé font, chacun, un effort dans le cadre d’une convention commune (le fameux devis conventionnel). Pour chaque projet de prothèse, le dentiste établit un devis avec trois options : un panier « libre », il fait ce qu’il veut. Un panier « modéré » où ses honoraires sont négociés avec une base de remboursement Sécurité sociale plus importante. Et « le reste à charge 0 » où les tarifs sont fixés en accord avec les partenaires (Sécurité sociale et la mutuelle). Cela suppose évidemment que praticien établisse un devis « conventionnel » et mette par écrit les trois options tarifaires pour la même prothèse.
L’ennui, c’est que parfois, les dentistes trichent en ne mettant pas les options en reste à charge zéro ou, pire, en ne proposant QUE la dent acier sur une incisive et non la prothèse en céramique, en décortiquant les actes globaux de prothèses grâce auxquels ils gonflent leurs honoraires illégalement.
Ce sont des devis « déviants ».
D’où les conflits entre certains dentistes et les mutuelles santé qui reçoivent plusieurs dizaines de ces devis par jour ! La DGCCRF va désormais regarder tout ça de plus près.

Des dentistes « conseillers »

Puisque les mutuelles n’ont pas accès au dossier médical des patients, elles remboursent les soins et les prothèses « à l’aveugle » comme nous l’avons dit. Comment peuvent-elles se prémunir de la fraude qui a tendance à se développer ? Certaines mutuelles font appel à un « dentiste conseiller » qui, lui, peut plus facilement identifier la fraude. Ce dentiste « conseiller », sans intervenir dans le diagnostic ou le plan de traitement, peut donner un avis sur le diagnostic de son confrère indélicat ou déceler des mauvaises pratiques ou une anomalie dans les devis. Pourtant, ces « conseillers » ne sont pas très nombreux. Sans doute parce qu’ils sont mal vus par la profession. Ils sont souvent harcelés par leurs confrères et par les syndicats.

Quelques pratiques peu orthodoxes

  1. Côté dentiste, il devient plus facile de ‘’piller’’ les garanties offertes par les mutuelles. Dans ce cas, le dentiste peut organiser ses honoraires en fonction du contrat du patient. Il peut éventuellement réaliser des actes fictifs (dévitalisation inutile d’une dent, par exemple), il peut surfacturer les soins, etc. Ajoutons la pose d’implants fantômes, les soins parodontologie fictifs, l’orthodontie adulte non contrôlés par sécu, car non remboursée, etc.
  2. Côté patient, les fausses factures et les faux comptes à la Sécurité sociale explosent. Les escrocs n’ont aucune difficulté de fabriquer de faux documents grâce aux réseaux sociaux et aux logiciels de création de textes ou de retouche de photos assistés par ordinateur.

Quelques exemples

La presse révèle régulièrement quelques exemples emblématiques de ces malversations, soins fictifs ou double remboursement. Comme ce dentiste qui a tenté de facturer deux fois un implant dans la partie droite de la bouche en faisant croire, grâce à un effet de miroir utilisant un logiciel de retouche de photos, à la pose d’un second implant dans la partie gauche.
Autre exemple, cet individu qui s’est fait rembourser 300 couronnes et 400 Inlay (support pour la couronne), toutes facturées par le même dentiste. En dix mois, il a perçu 60.000 € de la Sécurité sociale et 197.000 € de sa complémentaire santé.
Autre filouterie : l’adhésion à deux complémentaires santé, parfois plus, pour obtenir plusieurs fois le remboursement de soins et/ou de prothèses, réels ou fictifs.
À Trappes, dans les Yvelines, deux sœurs gérantes d’un centre médical et dentaire ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel, en mai 2023, pour avoir détourné 1,3 M€ au préjudice de l’assurance maladie, à coups de fausses factures et d’actes fictifs.
La fraude coût cher à tout le monde. Selon France Assureurs, ce phénomène coûte environ 2,5 milliards d’euros par an à l’ensemble des assureurs français, soit 2 à 3% du total des indemnisations. Ce coût est inévitablement répercuté sur les primes d’assurance, impactant ainsi tous les assurés.

Les réseaux de soins peu appréciés

Les réseaux de soins, créés par les complémentaires santé depuis 2000, rassemblent des professionnels de santé acceptant de modérer leurs tarifs en échange d’un flux de patients dirigés vers leurs cabinets. Si certains professionnels comme les opticiens, audioprothésistes et ostéopathes ont rejoint ces réseaux, les dentistes et médecins maintiennent leur opposition, arguant que cette solution compromet leur indépendance professionnelle sans offrir de réels avantages.
L’Autorité de la concurrence a identifié une campagne de boycott nationale orchestrée contre ces réseaux, notamment via des courriers massifs envoyés par les syndicats à leurs membres, remettant en cause la légalité des contrats proposés.
Une amende totale de 4 millions d’euros a été infligée, répartie entre différentes instances : 3,1 millions pour l’Ordre national et cinq conseils départementaux, 680 000 euros pour les Chirurgiens-Dentistes de France, et 216 000 euros pour la Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux. L’Autorité justifie la sévérité de la sanction par la récidive, l’Ordre ayant déjà été condamné à 80 000 euros en 2009 pour des faits similaires (Cf. l’édito du président de l’Ordre dans La lettre de l’Ordre National des Chirurgiens-dentistes N°187 de décembre 2020).
Les contrôles de la DGCCRF pourraient faire grincer des dents les dentistes indélicats…

France