Point-de-vue. L’application de l’article 40 à la proposition de loi du groupe L.I.O.T. visant à abroger le recul de l’âge de départ en retraite a confirmé, si besoin, la perversité du pouvoir actuel, explique l’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert.
Par Christian Eckert
Ancien député, membre de la commission des finances, ancien rapporteur du Budget de ladite commission, ancien secrétaire d’État en charge du Budget, j’ose m’exprimer sur le sujet. D’autant que beaucoup de sornettes sont racontées (y compris par la presse souvent peu rigoureuse dans ses analyses). Le droit est précis et mérite qu’on s’y arrête autant qu’on s’y tienne.
Un exemple de subtilités à connaître
L’article 40 de la Constitution stipule que : « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».
Cet article normalement connu des parlementaires sérieux est pointé dans tous les cours de droit comme un exemple des subtilités à connaitre. L’utilisation du singulier et du pluriel est ici essentielle :
- Ainsi, les parlementaires peuvent agir sur les ressources sans GLOBALEMENT les baisser. Ils peuvent par exemple diminuer un impôt, mais doivent alors simultanément augmenter à due concurrence une autre recette !
- Par contre, ils ne peuvent pas augmenter une dépense, même s’ils proposent de compenser cet alourdissement par une économie ailleurs ou par une recette nouvelle. (Une dérogation est maintenant possible dans une même mission, c’est-à-dire entre dépenses de natures proches).
Cette exigence restreint considérablement les pouvoirs du Parlement et mérite (entre autres choses) d’être supprimée dans une prochaine réforme constitutionnelle, pour assurer une véritable République parlementaire.
La PPL ne respecte pas l’article 40
L’article 40 de la Constitution vise les « propositions et amendements » formulés par les membres du Parlement. Ces dispositions concernent donc non seulement les amendements, mais également les propositions de loi (P.P.L.) déposées par les députés et les sénateurs.
Une lecture rigoureuse, pour ne pas dire « rigoriste », de l’article 40 aboutit donc, en principe, à refuser le dépôt des propositions de loi créant ou aggravant une charge publique.
La proposition du groupe L.I.O.T. alourdit effectivement la charge publique de retraites, et comme indiqué précédemment, ni une autre économie ni une autre recette, même égale en volume, ne peut la rendre recevable ! La P.P.L. ne respecte pas l’article 40.
Toutefois, et c’est fondamental, « selon une pratique constante et commune aux deux assemblées du Parlement, de telles propositions de loi sont admises, à la condition d’être assorties d’une compensation en recettes, signalant que le dispositif proposé comporte des incidences financières ». (Extrait du rapport sénatorial de Jean Arthuis en 2008). Faute de cette pratique, quasiment aucune P.P.L. ne serait recevable…
Les pervers ont gagné
Le Gouvernement le sait, ses juristes et ceux de l’Assemblée, aussi. Ainsi, le bureau de l’Assemblée Nationale, au nom de cette pratique, n’a pas opposé l’article 40 à la PPL du groupe L.I.O.T.
La perversité a été de faire supprimer l’article 1 revenant à l’âge de 62 ans en commission. La composition de la commission étant mieux maîtrisée que l’Assemblée. Deux parlementaires (L.R.) moins maitrisables ayant été remplacés par sécurité juste avant la séance, le vote a été 38 contre 34.
Les pervers ont gagné : réintroduire l’âge de 62 ans ne pouvait alors plus se faire que par amendement. Cet amendement ne respecte évidemment pas plus l’article 40 que la P.P.L. initiale, mais ne bénéficie pas de la bienveillance réservée aux P.P.L. Logiquement, la Présidente de l’Assemblée a soulevé l’irrecevabilité de l’amendement en conformité avec le droit !
La manœuvre est astucieuse et empêche à nouveau le vote. CQFD… Les pervers l’ont emporté sans enfreindre les règles de droit…
L’article 40 est un frein inconcevable à la capacité législative du Parlement… Le supprimer ou le réécrire est évidemment une nécessité absolue.