Point-de-vue. Pour l’ancien secrétaire d’État au Budget, la réforme des retraites n’a rien d’urgent mais elle peut être utile si elle a pour objectif de corriger dans la durée les injustices du système actuel. Explications.
Par Christian Eckert
Le débat sur les retraites reprend force et vigueur. Il est légitime d’y accorder un peu de temps et de s’efforcer de rentrer dans des considérations qui peuvent paraitre complexes. C’est un choix de société, un choix de vie, pourrait-on même dire. Cela concerne tout le monde et mérite que l’on s’y intéresse.
La complexité et l’ampleur du sujet me conduiront à aborder un seul thème par article. Le premier volet consiste à se poser la question de l’urgence, de l’utilité et des objectifs d’une « réforme ».
L’urgence d’abord
On nous dit que sans réforme, le système « par répartition » va s’effondrer, que les déficits vont s’accumuler, que le statu quo est impossible. C’est très largement faux ! Le C.O.R. (Conseil d’Orientation des Retraites) dans ses rapports réguliers, formule des hypothèses où même les plus pessimistes conduisent à des déficits pour une durée assez limitée compris entre 12 et 20 milliards d’euros par an. Effrayant pour le commun des citoyens, ce chiffre est à mettre en regard d’une dépense annuelle pour les retraites de l’ordre de 300 milliards.
Pour provoquer un peu, le patron du groupe français LVMH possède à lui seul une fortune de l’ordre de 170 Milliards d’euros, soit en gros 10 années du déficit possible des retraites de tous les Français. Il existe par ailleurs d’autres possibilités de financer les besoins. La CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale) rembourse l’essentiel des dettes sociales en encaissant pour près de 20 milliards dont la CRDS (0.5% de tous les revenus) plus une part de CSG et du fonds de réserve des retraites.
Sans la crise COVID, en 2023 cette dette aurait disparu et les recettes CADES seraient devenues disponibles ! Le Gouvernement a décidé de « recharger » (très fortement) des dettes à la CADES, mais à long terme, des moyens reviendront. Et d’autres secteurs de dépenses sociales relèvent la tête et devraient pouvoir être sollicités.
L’utilité ensuite
Si l’urgence vitale n’est, selon moi, pas en cause, l’utilité d’une réforme peut se concevoir sans précipitation et sans crispation excessive. La fin de l’indexation des retraites sur les salaires a réduit les déficits, mais elle conduit inéluctablement à une diminution relative des futures retraites.
Si aujourd’hui le niveau moyen des retraites est convenable, – sans oublier que trop de « petits » retraités sont dans des situations inacceptables – le statu quo abaisserait excessivement le pouvoir d’achat des futurs retraités et c’est évidemment un point à corriger. Il existe également trop d’inégalités sur des points importants entre les régimes : l’un d’entre eux, peu souvent évoqué, est le niveau des pensions de réversion des conjoints survivants. 12 situations différentes existent suivant le régime du défunt, allant de l’absence totale à la réversion à un taux variable, prenant en compte ou pas le niveau des revenus. Une uniformisation sur ce point dans tous les régimes (avec une règle favorable) serait juste et acceptée.
Les objectifs de la réforme
C’est à l’évidence un des points obscurs du Gouvernement : leur première analyse consistait à justifier leur réformite par le besoin de sauver le régime. Comme on l’a vu, cet argument est pour le moins fragile.
Dans un second temps, le Président a changé de discours : il s’agirait de dégager des marges pour d’autres actions de l’État (environnement, enseignement, santé…). Ce point est évidemment contestable : l’argent cotisé pour les retraites est une épargne pour chaque cotisant et l’argent des retraites ne saurait servir à autre chose qu’aux retraites !
On entend encore souvent – surtout à droite – la ritournelle consistant à dire que l’augmentation de la durée de vie impose d’allonger la durée de vie travaillée. Ceci pourrait à la limite se concevoir si cette donnée était uniforme pour tous. Les inégalités de durée de vie suivant les emplois sont patentes et la corrélation entre la durée de vie au travail et celle de la retraite ne doit pas se faire de la même façon pour tous.
En résumé, une réforme n’est pas urgente, peut être utile si elle répond à un objectif clair : corriger dans la durée les injustices du système actuel.
Jouer sur le paramètre de l’âge de départ possible est la plus mauvaise réponse pour ça. Mais ceci sera développé dans un autre article, dès lors que le Gouvernement aura confirmé ses choix.