Julien Delord, Université Toulouse – Jean Jaurès
En juin 64, l’empereur Néron mettait le feu à Rome dans le but d’accuser et de massacrer les chrétiens. En juin 2017, par sa décision de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris, Donald Trump a mis le feu au climat, affichant son soutien aux lobbies pétroliers et accusant les démocrates et le reste du monde d’avoir ruiné son peuple.
Le plus surprenant est de constater la faiblesse des réactions parmi les futures victimes, nombre de ses opposants parmi lesquels Laurence Tubiana ou Jean‑Marc Jancovici s’empressant même de se réjouir de son geste de pyromane, idéal pour remobiliser l’ardeur de tous les pompiers du climat.
Il paraît pourtant salutaire de rappeler que l’annonce de Trump demeure intrinsèquement mauvaise et que rien, aussi bien du point de vue de la morale que de la gouvernance mondiale, ne saurait justifier qu’on s’en réjouisse. Plus qu’une simple « erreur », comme l’a qualifiée Emmanuel Macron, il s’agit en réalité d’un acte de défiance inouï, d’une forme de crime contre l’humanité présente et surtout à venir.
Si fragile Accord de Paris
Une première erreur de jugement de la part des adversaires du président américain consiste à penser que Trump se punirait lui-même en allant à contre-courant de l’histoire et surtout du marché, lequel aurait intégré les risques croissants des énergies fossiles et la promesse de rentabilité des énergies renouvelables. Malheureusement, les « lois » du marché n’ont de force qu’à hauteur des normes et des croyances auxquelles adhèrent ses acteurs.
C’est bien parce que des scientifiques, des activistes et des dirigeants du monde entier ont démontré au fil des années l’urgence à lutter contre le changement climatique que les marchés ont intégré cette contrainte. Trump ne va pas contre l’histoire. Il crée une autre histoire, une « alter-histoire », destinée à brouiller les attentes du marché, à le persuader, par exemple, que l’ultime solution sera la roulette russe de la géo-ingénierie.
Une histoire qui révèle aussi au monde la fragilité de l’Accord de Paris et son caractère de prophétie autoréalisatrice : car c’est pour autant que chaque partie jugera crédibles les efforts de réduction des gaz à effet de serre (GES) des autres qu’elle s’imposera elle-même des contributions contraignantes à même de limiter l’élévation de la température moyenne à 2 °C. Or, cette histoire-là n’est absolument pas écrite.
Un aveuglement lourd de conséquences
Une deuxième erreur serait d’ignorer le « paradoxe Trump » : peut-être pour la première fois dans l’histoire, nous pouvons imputer une responsabilité claire à un homme en matière de changement climatique ; or, il s’agit du plus irresponsable des leaders d’un empire depuis des décennies.
La décision de Trump est en effet absolument contraire à toute forme d’éthique, climatique ou scientifique. En niant purement et simplement l’idée de « changement climatique » – qui comme « gaz à effet de serre » ne figure pas dans son allocution du 1er juin – Trump élimine d’emblée toute référence aux causes, aux mécanismes et aux conséquences d’un phénomène anthropique attesté par la quasi-unanimité des scientifiques.
La post-vérité dans laquelle se drape Trump ne cache plus l’indécente tyrannie de l’argent qui lui commande de préférer l’aveuglement à la phronesis, cette vertu de prudence dont il semble absolument dépourvu. Malheureusement, aucune loi des faillites – dont Trump a bénéficié à six reprises pour ses propres affaires – ne pourra rattraper ses erreurs climatiques.
La justice climatique bafouée
Par son action, le président nord-américain bafoue ostensiblement les deux grands principes de la justice climatique.
Le premier relève d’un souci de justice distributive : allouer à chaque pays un budget « carbone » équitable en fonction de sa surface, de sa population ou de son niveau de développement. Or, si les États-Unis – première nation émettrice historiquement et aussi la plus riche – ne fait aucun effort de restriction et ne contribue plus au Fonds vert destiné à réduire la pollution des pays les moins avancés, cet objectif est simplement inatteignable.
Le second principe bafoué concerne la justice réparatrice, destinée à rendre possible l’adaptation aux bouleversements climatiques et à indemniser les victimes ; il faut souligner ici qu’il est théoriquement impossible de relier les émissions de gaz à effet de serre de telle ou telle partie (individu, entreprise, État) aux dommages directs qu’ils induiraient sur des victimes identifiées. Cette impossibilité rend inopérante la notion de responsabilité juridique (liability) et inadéquate celle de responsabilité morale (responsibility). Mais il en faut moins à Trump pour justifier son absence totale de solidarité internationale et intergénérationnelle.
Mettre en place une taxe carbone punitive
En se retirant de l’Accord de Paris, Trump ne se comporte pas seulement en « passager clandestin », cet égoïste qui attend que le problème se règle grâce aux efforts des autres ; il se transforme en un véritable « saboteur », celui dont la stratégie de défection, pour reprendre le vocabulaire de la théorie des jeux, va non seulement impacter négativement tous les acteurs (lui y compris), mais aussi détruire le jeu.
Or, aussi bien du point de vue de la rationalité économique que de la gouvernance mondiale, une seule réponse optimale existe : punir immédiatement et sans faiblesse tout tricheur, surtout lorsque des millions de morts sont en jeu. En effet, l’annulation par Trump du Clean Power Plan voulu par l’administration Obama (qui réclame la fermeture des centrales électriques à charbon et le subventionnement des énergies renouvelables) va entraîner 0,4 milliard de tonnes de carbone (GtC) supplémentaire par an.
Au niveau international, la défection des États-Unis va très certainement annihiler les contributions nationales volontaires dites « conditionnelles », soit à terme 2,5 GtC par an. La décision de Trump sera donc à l’origine directe d’environ 15 GtC sur cinq ans.
Malgré le caractère très spéculatif de son raisonnement, le philosophe John Nolt a conclu que les GES émis par chaque Américain au cours de sa vie – soit 1 500 tonnes – provoqueraient statistiquement la mort d’une personne dans le millénaire à venir. En suivant ce calcul, on peut avancer que la politique de Trump causera la mort d’au moins 10 millions d’humains sur les 40 prochaines générations.
En attendant que l’histoire juge de son crime, il est nécessaire et urgent de mettre en œuvre une première mesure de rétorsion recommandée par l’économiste William Nordhaus : instaurer une taxe carbone punitive aux frontières sur tous les produits américains pour protéger du « dumping carbone » les économies des pays pro-climat, à commencer par l’Europe.
Au mieux, les USA contribueront indirectement au financement de la transition énergétique mondiale ; au pire, en cas de guerre commerciale et d’affaiblissement de l’économie mondiale, les émissions de GES déclineront également. Sachant qu’une autre mesure de rétorsion aurait pu consister à ne pas convier Donald Trump à Paris pour les célébrations du 14 juillet…
Julien Delord, Chercheur associé en philosophie, Université Toulouse – Jean Jaurès
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.