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Europe, économie, modèles sociétaux : les risques du second tour (et de la suite)

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Pixabay

Alberto Alemanno, HEC School of Management – Université Paris-Saclay

J’aurais aimé ressentir le même soulagement que mes amis et collègues, dont je partage les sensibilités, lorsque les résultats du premier tour sont tombés. Et pourtant, dans la tourmente politique qui caractérise nos sociétés occidentales, je n’y arrive tout simplement pas. Les élections ne sont pas des compétitions sportives avec des gagnants et des perdants. Dans nos nations tellement polarisées, une victoire électorale n’assure pas une acceptation sociétale ou un soutien populaire en faveur du changement. The Conversation

Vers une société clivée ?

Il est à craindre que la société française ne devienne plus clivante et polarisée que jamais à la suite de ces élections. Si le système électoral à deux tours a historiquement alimenté cette scission de l’électorat, aujourd’hui tout est différent : aucun candidat n’a obtenu même un quart des voix et les grands perdants sont dominés par un sentiment d’amertume.

Tout d’abord, le langage, le ton et les attitudes des candidats ont fait exploser ce qu’on appelle la « fenêtre d’Overton », cette gamme d’idées, de comportements et de langage que le public acceptera. Après avoir assisté à l’émergence de ce phénomène lors du vote du Brexit au Royaume-Uni, puis des élections présidentielles aux États-Unis, c’est désormais au tour de la France. Les scandales ont dominé les débats, les médias traditionnels sont fustigés, les sources d’information alternatives sont devenues virales sur les réseaux sociaux et les candidats ont renoncé à être des modèles de comportement exemplaire pour la société.

Ensuite, le monde politique est en désarroi : non seulement l’extrême-droite s’est à nouveau propulsée au second tour d’une élection présidentielle, mais aucun parti politique traditionnel (socialiste et républicain) n’a survécu au scrutin.

Et enfin, le fossé entre les deux candidats émergents à la présidence est quasiment sans précédent, et leur écart de voix est encore plus faible que lors du duel de 2002 entre Le Pen et Chirac.

Le défi de la convergence

Si Emmanuel Macron apparaît comme un candidat ouvert, libéral et pro-européen, Marine Le Pen propose un avenir fermé, protectionniste et eurosceptique. Ces deux candidats incarnent deux modèles de société qui sont si divergents que leurs visions inhérentes du monde sont impossibles à concilier.

Et cependant, c’est justement la conciliation de ces deux visions qui constituera le défi à relever par le/la Président/e élu/e et son gouvernement, et ceci quel que soit le résultat final des élections. Les législatives de juin pourraient faire de la France un pays encore plus ingouvernable, avec un Parlement divisé, reflet de la confrontation politique entre les cinq candidats principaux…

Avec son style consensuel, Emmanuel Macron apparaît comme mieux placé que Marine Le Pen pour jauger et s’attaquer à cette dichotomie française unique. Mais même le politicien le mieux intentionné peut ne pas être en mesure de sortir victorieux de cette tâche herculéenne. La question est de savoir si et comment Macron pourra transformer les soutiens obtenus facilement auprès des partis français traditionnels en une solide majorité parlementaire lors des prochaines élections législatives.

Tout citoyen européen convaincu de l’absolue nécessité non seulement de maintenir mais aussi de faire progresser le projet européen, est aujourd’hui extrêmement inquiet à la perspective d’une recrudescence du sentiment anti-européen. Voyons les choses en face : moins de 50 % des citoyens français ont soutenu des candidats pro-européens (49,44 % des électeurs français ont voté pour Macron + Fillon + Hamon contre les 49,31 % qui ont voté pour l’extrême-gauche et l’extrême-droite).

Macron représente un modèle de société auquel trop de Français ne sont pas prêts à croire, car il est perçu comme excessivement libéral, ubérisé et prêt à accorder de nouvelles cessions de souveraineté au bénéfice de l’UE. Alors que ce modèle de société pourrait donner de bons résultats en créant des richesses considérables, il ne parvient pas à unir l’ensemble de la société.

Ceci rendra sa vision d’une France plus ouverte et libérale, dans une Union Européenne renforcée, difficile, voire impossible, à transformer en réalité.

L’enjeu européen

L’Allemagne – et ses deux candidats – sera le dernier rempart face à cette attaque frontale faite aux valeurs telles que l’ouverture, l’équité et la justice, que nous avons appris à chérir et à mettre en pratique au quotidien dans nos vies d’Européens. Et pourtant, cela ne suffira pas à nous préserver de nous-mêmes, et c’est bien normal.

Aujourd’hui, dans le métro parisien puis dans ma salle de cours à HEC Paris, je n’ai pas pu m’empêcher de ne pas me sentir à ma place. Je vis dans la société la plus polarisée et, en conséquence, la plus divisée qu’il m’ait été donné de connaître.

Cette élection présidentielle a divisé et continuera à diviser notre société. C’est fondamentalement nouveau et troublant pour ma génération, sur ce vieux continent, et cela doit constituer une source d’inquiétude pour nous tous, jeunes et moins jeunes.

Plus que jamais, c’est l’avenir de l’Europe qui est en jeu.

Alberto Alemanno, Chair professor of European Union Law, HEC Paris; Global Clinical Professor, NYU School of Law; Founder The Good Lobby, HEC School of Management – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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