Romain Mathieu, Université de Lorraine et Laurent Olivier, Université de Lorraine
Après plusieurs semaines de polémiques, la candidature de François Fillon est devenue indépassable et incontournable. Sa large victoire lors de la primaire de novembre dernier le dote d’une légitimité que n’entament ni les révélations successives, ni les défections, ni son affaiblissement dans les sondages, ni les difficultés à faire campagne.
Qui sont les électeurs qui, en se saisissant de cette nouvelle modalité de participation politique, ont doté d’une si forte légitimité un candidat pourtant ébranlé par les controverses ? Peut-on parler d’un électorat de la droite ou doit-on à l’inverse parler des électorats de la droite ?
Pour ébaucher quelques éléments de réponse, nous présenterons les premiers résultats d’une enquête multi-sites de type sortie des urnes (réalisée par Julien Audemard, Julien Boyadjian, David Gouard, Christèle Marchand-Lagier, Romain Mathieu, Laurent Olivier et Anaïs Théviot.). Nous limiterons notre propos aux données relatives à l’un des sites, celui de Nancy.
Les logiques censitaires de la participation à une primaire
La participation à la primaire est un comportement politiquement et socialement situé. La grande majorité des électeurs sont ceux qui se reconnaissent dans le camp politique organisant cette consultation : plus de 60 % des électeurs se déclarent sympathisants de la droite, auxquels s’ajoutent les centristes (près d’un quart des électeurs).
Sans être négligeable, la participation de sympathisants de gauche (9 % au premier tour et 11,3 % au second tour) et du Front national (environ 2 %) est plus faible à Nancy que dans les données produites par différents instituts de sondages. Ce constat est largement validé par les votes déclarés lors de la dernière présidentielle : plus de 60 % des électeurs de la primaire avaient voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle et près des trois quarts au second tour, tandis que François Bayrou fait quasiment jeu égal avec François Hollande parmi ces électeurs.
Cet ancrage à droite se double d’une logique censitaire au sens où on observe, d’une part, une surreprésentation des individus disposant d’un fort capital scolaire et, d’autre part, des électeurs se caractérisant par une participation électorale régulière et un intérêt marqué pour la politique. D’une manière générale, l’ensemble des enquêtes relatives à la participation aux primaires démontre que le niveau de participation croît avec le niveau d’éducation. Notre enquête confirme ces résultats puisque seulement 8,9 % (au 1er tour) et 10,4 % (au 2e tour) des électeurs ne disposent d’aucun diplôme ou d’un diplôme inférieur au bac. Inversement, plus des trois quarts des participants sont diplômés du supérieur.
La participation à une primaire suppose également un intérêt pour la politique et un fort sentiment de compétence politique. Ainsi, les électeurs mobilisés lors de la primaire sont, dans leur écrasante majorité, des électeurs constants (87,4 %) ou quasi-constants (9,8 %). Dit autrement, les participants se recrutent parmi les électeurs pour lesquels la norme participationniste est la plus forte. Cela se double d’un intérêt marqué pour la politique puisque plus de 90 % des électeurs déclarent être, d’une manière générale, « beaucoup » ou « assez » intéressés par la politique.
Mobilisation de l’électorat traditionnel de la droite
Le profil sociographique des électeurs de la primaire n’est pas représentatif de la population française mais correspond bien à l’électorat traditionnel de la droite. Ils sont ainsi plutôt âgés avec un âge médian de 60 ans ; un quart des votants a plus de 70 ans alors que les moins de 30 ans représentent moins de 9 % des électeurs. Cela a une conséquence immédiate : la surreprésentation, parmi les participants, des retraités (37,4 % au 1er tour et 38,2 % au 2e tour).
La répartition par catégorie socio-professionnelle témoigne, par ailleurs, d’une forte présence des indépendants, en particulier celle des professions libérales qui représentent un électeur sur dix à Nancy. Et plus généralement des mondes du privé : 70,1 % des électeurs au 1er tour et 67,5 % au 2e tour sont issus du secteur privé contre un petit tiers issu de la fonction publique. Enfin, les précaires sont sous-représentés parmi les électeurs.
Ces électeurs se caractérisent également par l’importance de leur patrimoine. Significativement, les électeurs dont les revenus individuels sont supérieurs à 5 000 euros nets mensuels sont plus nombreux que les électeurs disposant d’un revenu inférieur à 1 500 euros. Plus de 40 % des électeurs déclarent un revenu individuel supérieur à 3 000 euros.
À cela s’ajoute le fait qu’une très nette majorité est propriétaire de son logement (73,3 %). Dans le cas nancéien, 1 % seulement des électeurs résident en HLM quand un tiers vivent en maison individuelle, et ce, dans un espace urbain dense. De manière convergente avec d’autres études, le patrimoine – mesuré ici par le revenu et le logement – trace les contours d’un électorat issu des milieux sociaux favorisés.
Enfin, les participants se caractérisent par le poids du catholicisme et de la pratique religieuse. Près de 70 % des électeurs se déclarent catholiques ; ce chiffre s’élève à 91,5 % si l’on ne considère que les électeurs déclarant une conviction religieuse. Un quart seulement des électeurs se déclarent non-croyants et parmi eux, de nombreux sympathisants de gauche. Les électeurs se déclarant croyants représentent les trois quarts des effectifs, mais ce taux monte aux quatre cinquièmes si l’on exclut les sympathisants de gauche.
En revanche, les électeurs se distinguent par d’importantes disparités quant à la pratique religieuse, un tiers seulement des électeurs croyants se déclarant pratiquants réguliers (cette dernière catégorie renvoyant elle-même à un ensemble hétérogène de pratiques).
Des électorats politiquement différenciés
La composition politique des électorats de François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy fait apparaître des différences particulièrement marquées. L’électorat de François Fillon est majoritairement composé de sympathisants de la droite et, dans une moindre mesure, centristes. À l’inverse, l’électorat d’Alain Juppé est nettement plus composite : nettement devancé par François Fillon et Nicolas Sarkozy parmi les sympathisants Les Républicains (LR), devancé par François Fillon auprès des sympathisants de droite, il est en revanche majoritaire parmi les sympathisants de gauche et les centristes. Son électorat se compose ainsi d’un tiers de sympathisants de droite, d’un tiers de centristes et d’un quart de sympathisants de gauche.
À l’inverse, Nicolas Sarkozy obtient des résultats importants auprès des sympathisants LR (35,1 %) mais ne parvient pas à séduire en dehors de ce noyau dur : il n’obtient que 7,6 % du vote de l’ensemble des électeurs se déclarant de droite et est encore plus marginal auprès des électeurs centristes et de gauche. Les résultats du second tour sont particulièrement significatifs : François Fillon obtient les trois quarts des suffrages des sympathisants de droite et LR, un quart seulement des suffrages des sympathisants centristes et 6,5 % des sympathisants de gauche ; à l’inverse, Alain Juppé recueille un quart des suffrages des sympathisants de droite et de LR, mais les trois quarts des suffrages des centristes et 93,5 % de ceux des sympathisants de gauche.
La proximité à l’institution partisane est également un bon indicateur du vote lors de la primaire : les adhérents LR, les anciens adhérents et les électeurs connaissant au moins un militant dans leur famille proche, tout comme les électeurs ayant été en interaction avec des militants pendant la campagne des primaires, accordent un net avantage à François Fillon (62,7 % contre seulement 33,4 % pour Alain Juppé).
À l’inverse, les deux finalistes font jeu égal auprès des électeurs les plus distants à l’institution partisane. D’une manière générale, la proximité au milieu partisan renforce les probabilités d’un vote en faveur de François Fillon, confirmant ici les données relatives à la distribution des votes par sympathie politique.
Romain Mathieu, Docteur en science politique (IRENEE), Université de Lorraine et Laurent Olivier, maître de conférences, IRENEE, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.