Marie Dégremont, Sciences Po – USPC
Si Marine Le Pen ne compte pas sur les voix écologistes pour se faire élire, la présence d’engagements dans ce domaine vise à renforcer sa stature présidentielle, en montrant qu’elle se préoccupe de tous les enjeux d’avenir pour le pays. Parler d’environnement constitue aussi un moyen de décliner de manière plus vaste ses orientations politiques. Enfin, cela témoigne de la diversité des soutiens de la candidate, montrant qu’elle a pu s’entourer de conseillers en mesure de rédiger de telles propositions.
Les principales thématiques associées à la protection de l’environnement sont abordées dans son programme : l’agriculture, les transports, les bâtiments ou l’énergie y sont abordés. Ils traduisent la philosophie politique du Front national, tout en déclinant quelques propositions intéressantes, qui apparaissent toutefois en porte-à-faux avec des éléments clés de son projet.
L’environnement pour appliquer les positions frontistes
L’essor de la thématique des circuits courts – qui vise à limiter les distances parcourues par les biens consommés en vue de réduire leur empreinte environnementale – constitue un bon exemple d’une opportunité saisie par le Front national. Ce dernier justifie ainsi des mesures en matière de patriotisme économique et de relocalisation des activités, se présentant comme en « rupture avec la mondialisation sauvage des échanges » (proposition 31 du programme frontiste), prônant le rejet des traités de libre-échange comme le TAFTA.
Dans ce cadre, on peut s’interroger sur le souhait de stimuler les exportations agricoles (proposition 130) et le projet de mener un grand plan de ré-industrialisation du pays. Si des bénéfices socio-économiques existent dans le développement des circuits de proximité, Marine Le Pen ne détaille pas la manière dont elle compte s’y prendre pour que ces emplois soient de qualité, et qu’il ne s’agisse pas non plus d’une simple relocalisation des pollutions.
Une alternative possible, consistant à taxer les émissions polluantes – ce qui permettrait de préserver la compétitivité des industries françaises tout en maintenant un niveau élevé de protection sociale et environnementale – n’est pas explorée par la candidate. Elle a même été clairement rejetée.
La députée européenne n’explique pas comment ces mesures vont rendre les productions françaises plus vertueuses, alors que les bénéfices environnementaux du rapatriement des activités ne sont pas évidents : par exemple, dans le secteur agricole, 57 % des émissions de gaz à effet de serre interviennent dans la phase de production, le transport représentant 17 % des émissions. Cela souligne l’importance des exigences en matière de modes de production, alors même que Marine Le Pen souhaite alléger les contraintes pesant sur les exploitations agricoles.
Dans ce domaine, la candidate frontiste souhaite « défendre la qualité, la sécurité sanitaire, le bien-être animal et l’environnement », tout en affirmant sa volonté de sortir de la Politique agricole commune (PAC), sachant que l’Union européenne est une source majeure de législation environnementale et que les fonds de la PAC sont de manière croissante conditionnés au respect de critères environnementaux.
Des propositions concrètes en porte-à-faux
• À propos des bâtiments
La députée européenne soumet quelques pistes intéressantes, comme le développement de l’enseignement professionnel, qui pourrait être utilisé pour préparer le grand chantier de la rénovation énergétique, à l’heure où les compétences s’avèrent insuffisantes. Sur ce sujet, elle suggère d’assigner une forte priorité aux financements de l’État en faveur de la rénovation thermique, signalant au passage que « l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas ». Il faudra pourtant se donner les moyens de rénover, mais la candidate ne propose pas d’améliorations des dispositifs actuels.
• À propos des transports
Marine Le Pen souhaite « soutenir une filière française de l’hydrogène », pour s’affranchir du pétrole dans les transports. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité des priorités industrielles mises en avant par Emmanuel Macron en 2015, lui-même inspiré par Arnaud Montebourg, et qui cherchent à créer une « équipe de France de l’hydrogène ».
Hélas, la candidate ne précise pas comment elle compte tenir cet engagement de généraliser une technologie qui reste coûteuse pour le particulier – au moins 50 000 euros par véhicule – et qui nécessitera le déploiement d’infrastructures appropriées (comme des bornes de recharge, par exemple) ; sans parler d’enjeux techniques importants, l’hydrogène étant difficile à stocker et à transporter. Cela soulève également la question de la production de l’hydrogène lui-même, aujourd’hui réalisée à 95 % par des sources fossiles.
Cette proposition apparaît d’autant plus ambitieuse qu’il n’est pas certain que les ressources soient disponibles pour opérer ce « basculement massif » qu’elle appelle de ses vœux. En effet, pour 1 kilowatt-heure (kWh) utilisé par le moteur d’un véhicule fonctionnant à l’aide d’une pile à combustible, 4 à 5 kWh sont nécessaires en début de cycle. La consommation annuelle de produits pétroliers pour les transports en France se situe aujourd’hui autour de 45 millions de tonnes équivalent pétrole (Mtep), soit 523,4 TWh.
Si l’on considère qu’un moteur électrique est deux fois plus efficace qu’un moteur thermique – et en faisant l’approximation que cela se traduit par des besoins énergétiques réduits de moitié pour parcourir les mêmes distances – l’électricité nécessaire est multipliée par deux. Il faudrait ainsi plus de 1 000 TWh pour remplacer le pétrole par l’hydrogène dans les transports… soit presque le double de l’ensemble de la production d’électricité française en 2015 (547 TWh) ! Sans oublier qu’actuellement, cette électricité est utilisée pour satisfaire l’ensemble des usages (industries, chauffage, appareils électriques, éclairage…).
• À propos de la production d’électricité
Même si l’étude des ordres de grandeur laisse planer le doute sur la faisabilité de la proposition précédente, on constate qu’une réflexion a été menée sur les modes de production de cette électricité.
Marine Le Pen promet ainsi de soutenir les énergies décarbonées, au premier rang desquelles le nucléaire. Elle a mentionné à plusieurs reprises son attachement à la modernisation du parc de réacteurs français et au maintien d’une filière dynamique, dont elle met en avant les atouts sur le plan économique et dans la lutte contre le changement climatique.
Si la candidate se prononce en faveur d’un soutien au développement de filières nationales dans les énergies renouvelables (bois, solaire), elle en exclut l’éolien, qui constitue pourtant l’un des potentiels les plus importants en la matière, représentant plus des deux-tiers du gisement identifié en France dans le domaine de l’électricité.
Par ailleurs, elle fixe l’objectif d’une diminution de 50 % de la part des énergies fossiles dans l’approvisionnement énergétique de la France à l’horizon 2040, une trajectoire légèrement plus ambitieuse que celle fixée par la loi de transition énergétique de 2015. La trajectoire fixée par l’objectif de cette loi à l’horizon 2030 impose une diminution de 2,4 % par an de l’usage des énergies fossiles sur la période 2017-2030. Pour atteindre l’objectif de la candidate, il faudrait une diminution de 2,7 % par an entre 2017 et 2040.
Toutefois, cette piste intéressante est contredite par d’autres orientations majeures de son programme. En effet, elle souhaite la mise en place d’un grand programme d’investissements dans les infrastructures autoroutières et sur le réseau routier secondaire.
Plus déroutant, elle affirme vouloir « mettre en œuvre une vraie politique nataliste » (proposition 44), alors que l’accroissement démographique est un des défis majeurs du XXIe siècle, tant du point de vue des pollutions que de la disponibilité des ressources naturelles. Pour le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), cet aspect constitue, avec la croissance économique, l’un des moteurs les plus importants de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre depuis les années 2000.
Ainsi, Marine Le Pen s’approprie les thèmes environnementaux pour y décliner sa vision politique. L’agriculture, les circuits courts, les filières industrielles « vertes » sont de nouvelles manières de justifier un programme qui reste productiviste et ne donne aucune garantie quant à sa réelle capacité à répondre aux défis environnementaux du XXIe siècle.
Marie Dégremont, Chercheur en sciences politiques au Centre de sociologie des organisations, Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.