L’ancien chef de l’Etat est renvoyé en correctionnelle pour « corruption » et « trafic d’influence » dans l’affaire des écoutes. Rappel des faits.
Nicolas Sarkozy et son avocat historique Thierry Herzog sont soupçonnés d’avoir voulu obtenir des informations couvertes par le secret de l’instruction de la part d’un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert.
Pour comprendre, il faut revenir au 19 avril 2013 lorsque deux juges, Serge Tournaire et René Grouman, ouvrent une information judiciaire pour « corruption, trafic d’influence, faux et usage de faux, abus de biens sociaux, blanchiment, complicité et recel de ces délits. » Rien que ça ! Ils enquêtent sur des soupçons de financement illicite de la campagne de Sarkozy en 2007 par une puissance étrangère : la Libye. Nicolas Sarkozy a été mis en examen, le 21 mars 2018, après plus de 25 heures de garde à vue, pour « financement illégal de campagne électorale et placé sous contrôle judiciaire ».
Une affaire dans l’affaire.
Le 3 septembre 2013 les deux juges décident de placer le téléphone de l’ancien président sur écoute. Mais aussi celui des anciens ministres de l’Intérieur Brice Hortefeux et Claude Guéant.
Il faut croire que la pêche a été bonne. Les juges surprennent notamment une conversation entre Nicolas Sarkozy et son avocat à propos des agendas saisis, qui conduit le tout nouveau parquet national financier (PNF) à ouvrir, le 26 février 2014, une information judiciaire pour « trafic d’influence et violation du secret de l’instruction ».
Ce nouveau dossier est instruit par les juges Patricia Simon et Claire Thépaut. L’enquête est confiée à l’office de lutte contre la corruption de la police judiciaire.
Il s’agit de savoir si l’ancien président et son avocat ont cherché à s’assurer du soutien discret de Gilbert Azibert, avocat général près la Cour de cassation, pour connaître l’avancement de la procédure concernant les agendas de l’ancien président saisis dans le cadre du volet « abus de faiblesse » de l’affaire Bettencourt. En contrepartie de quoi ? D’une promotion au Conseil d’Etat de Monaco.
Certes, Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un non-lieu dans le dossier Bettencourt instruit par le juge bordelais Jean-Michel Gentil. Mais il a maintenu son pourvoi en cassation car il demande que la justice annule la saisie de ses agendas en faisant valoir que, conformément à l’article 67 de la Constitution, le chef de l’Etat « ne peut, durant son mandat (…) faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. »
Perquisitions
Les interceptions téléphoniques ont donc commencé en septembre 2013. Trois mois plus tard, la presse révèle que Brice Hortefeux est écouté. Thierry Herzog comprend que son célèbre client est, lui aussi, vraisemblablement ‘’branché’’. Pour déjouer les écoutes, il se rend chez un opérateur, à Nice, et achète deux TOC (téléphone out of control). Il s’agit de deux téléphones mobiles acquis sous une fausse identité, Paul Bismuth. Une astuce bien connue dans le milieu du grand banditisme.
Le 22 février Nicolas Sarkozy est chez son épouse, Carla Bruni, au Cap Nègre. Il a une conversation avec son avocat. Soudain, les deux hommes décident de ne plus se parler avec leur téléphone officiel mais de se rappeler « dans dix minutes ». Les policiers comprennent que les deux hommes vont poursuivre la conversation grâce à d’autres téléphones. Les deux TOC sont vite identifiés et la conversation est enregistrée. Les suivantes aussi.
Le 4 mars, des perquisitions sont effectuées à Paris et en Province aux domiciles et dans les locaux professionnels de Thierry Herzog et Gilbert Azibert.
La séparation des pouvoirs
L’affaire, connue le 7 mars, déclenche aussitôt un tollé qui va ébranler l’institution judiciaire. « C’est un scandale d’Etat » tonne Me Herzog. « Les conversations entre un avocat et son client ne peuvent être écoutées, enregistrées et retranscrites pour fonder l’ouverture d’une information (…) C’est une violation monumentale des droits de la défense. »
L’avocat de Nicolas Sarkozy reconnaît qu’il a acheté deux TOC pour parler plus librement avec son client car, dit-il, « j’ai pensé qu’il y avait des écoutes sauvages, on était prêt à tout pour déstabiliser Sarkozy (…) je démontrerai, le moment venu, qu’il s’agit d’une affaire politique montée de toute pièce. »
Affaire politique ? Oui, lorsque la Garde des sceaux, Christiane Taubira jure la main sur le cœur : « Non, je n’ai pas d’informations concernant la date, la durée, le contenu des interceptions judicaires ». La garde des Sceaux s’est mise elle-même dans une situation politique intenable.
« Les bâtards de Bordeaux »
Que contiennent ces écoutes ? Le 29 janvier, Thierry Herzog s’entretien avec Nicolas Sarkozy et parle de Gilbert Azibert : « Il a bossé, hein ! Et surtout, ce qu’il a fait, c’est le truc à l’intérieur, quoi… » Comprendre : ‘’à l’intérieur de la Cour de cassation’’. En effet Gilbert Azibert est affecté à la chambre civile alors que l’affaire des agendas est traitée par la chambre criminelle. Voilà pourquoi il va se rapprocher de son collègue, Patrick Assoust. Ce dernier informe le 19 janvier Gilbert Azibert par mail : « le dossier B » sera audiencé le 11 mars. Deux jours plus tard, il consulte le dossier sur le site intranet de la Cour de cassation. Des rencontres ont lieu entre les deux hauts magistrats.
Le 30 janvier, Thierry Herzog est plutôt optimiste. Il lâche : « Ca va faire du travail à ces bâtards de Bordeaux » en référence aux juges qui ont mis son client en examen.
Le 1er février, Nicolas Sarkozy affirme avoir été informé que ses bureaux pourraient être perquisitionnés. Le 5 février, l’ancien président confirme qu’il peut aider Gilbert Azibert à obtenir un poste à Monaco. « Je l’aiderai » affirme Sarkozy au téléphone. Appelle-le aujourd’hui en disant que je m’en occuperai parce que je vais à Monaco et je verrai le prince… »
Le 24 février : « Tu peux lui dire que je vais faire la démarche auprès du ministre d’Etat demain ou après-demain. » Le 25 février : « OK. Tu peux lui dire que je…à midi, je ferai la démarche puis je t’appellerai pour te dire ce qu’il en est. »
Le lendemain, 26 février, les deux hommes se parlent, cette fois sur leurs téléphones habituels. Changement de ton et de stratégie. Nicolas Sarkozy annonce qu’il a bien vu le secrétaire d’Etat de Monaco mais qu’il n’est pas intervenu en faveur de Gilbert Azibert. Il dira la même chose sur le téléphone au nom de Paul Bismuth. Les policiers comprennent que l’avocat et son client ont appris, ce 25 février, qu’ils étaient aussi écoutés sur la ligne clandestine. Ce qui veut dire qu’ils ont une taupe au sein de l’appareil d’Etat. Voilà pourquoi, estiment les policiers, les deux interlocuteurs ont « adapté » leur discours. Et peut-être leurs actes en s’abstenant, pour l’ancien président, de parler de Gilbert Azibert au ministre monégasque.
Le 30 juin 2014, Thierry Herzog, Gilbert Azibert et Patrick Sassoust, sont interpellés et placés en garde à vue. Seuls les deux premiers seront présentés aux juges et mis en examen pour « corruption passive, trafic d’influence passif, recel de violation du secret professionnel » pour le magistrat. Et pour « corruption active, trafic d’influence actif, violation et recel du secret professionnel » pour l’avocat. Du lourd.
Le lendemain, Nicolas Sarkozy se présente à la PJ à Nanterre. Il en sortira quinze heures plus tard après être passé dans le bureau des « deux dames ». Pour avoir promis un avantage à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’infraction de corruption active est bel et bien constituée et retenue contre lui. Pour avoir tenté de peser sur la procédure de la Cour de cassation, le délit de trafic d’influence actif est retenu contre l’ancien président.
Nicolas Sarkozy, (alias Paul Bismuth) risque jusqu’à 10 ans de prison.
M.G.