En cette rentrée d’automne, trois dossiers chauds couvent sous la cendre : une embrouille immobilière, les frasques du patron d’une entreprise de formation des élus, le bras de fer sur l’exploitation des salles de cinéma.
Formation et déformation des élus (2)
L’affaire a été révélé par le Canard Enchaîné du 23 août 2017. Le volatile irrévérencieux prétend qu’une entreprise messine spécialisée dans la formation des élus, l’Institut Européen des Politiques Publiques (IEPP) dirigée par Emir Deniz, aurait opportunément organisé des stages de formation, payés par les collectivités, tout près de grands meetings politiques. Histoire de faire supporter par les contribuables les déplacements des militants. Comme ce fut le cas le 1er juillet 2017, lorsque le dissident PS Benoît Hamon a lancé son propre mouvement depuis la pelouse de Reuilly (12ème arrondissement). Justement, au même moment, tout près de là, une trentaine d’élus socialistes planchaient avec l’IEPP sur « la démocratie participative et la transition écologique ». Tous frais payés, évidemment.
Le Canard récidive le 13 septembre 2017 avec ce titre accrocheur : « Un conseiller régional formateur et flambeur. » Il s’agit encore du sieur Emir Deniz qui, selon le journal satirique, a « flambé au casino l’argent versé par les collectivités ». Le fondateur et actionnaire principal de l’IEPP aurait utilisé la carte de crédit de son entreprise pour jouer au casino en Allemagne et au Luxembourg, prétend le journal paraissant le mercredi.
Ce n’est pas tout. Deniz aurait financé une partie de son mariage en Bretagne par l’IEPP. Sur son compte Facebook, l’intéressé dément. De toute façon, il a tout remboursé, assure-t-il au Canard.
Affaire juteuse
Emir Deniz est bien connu à Metz. Ce garçon de 38 ans, né en Turquie, est arrivé très jeune en France. Après ses études en Lorraine et à Paris, ce jeune homme brillant à la fibre socialiste devient attaché parlementaire d’Henri Emmanuelli, alors député PS des Landes. Il apprend à connaître le gratin socialiste.
En mars 2006, Emir Deniz souhaite revenir dans sa région d’origine. Il est recruté au cabinet de Jean-Pierre Masseret, alors président de la Région Lorraine. Mais il sera viré sans ménagement deux ans plus tard, en avril 2008.
C’est alors qu’Emir Deniz fonde, avec sa sœur et son frère, l’Institut Européen des Politiques Publiques, une SARL au capital de 12.000 €, domiciliée 13, rue de Champagne, à Metz.
Objectif : proposer des formations pour les élus et les collectivités. Les affaires démarrent doucement. Pourtant, avec deux salariés seulement, l’entreprise prospère assez vite. Le chiffre d’affaires va exploser en 2014. Des cycles de formation sont programmés avant les municipales. Ensuite, les nouveaux élus ont besoin de formations. Bingo !
En 2015, la loi sur les « droits et devoirs des élus locaux » du 31 mars 2015 renforce le statut de l’élu. Elle prévoit des jours d’absence pour la formation, tous frais payés par le contribuable. L’IEPP tient le bon filon. A 450 € en moyenne par élu et par cession de formation, la petite SARL messine devient une affaire juteuse.
Tables et chapelles
Emir Deniz fréquente le tout-Metz. Elus et décideurs sont quelques dizaines à fréquenter les mêmes (bonnes) tables, les mêmes cercles et les mêmes chapelles. Cela resserre les liens d’amitié. Et c’est bon pour le business.
Au conseil municipal de Metz, plusieurs élus s’inscrivent aux formations de l’IEPP comme en fait foi le Compte Administratif (CA) de la ville.
Par exemple, le premier adjoint chargé de l’urbanisme, Richard Lioger, devenu en juin 2017 député LREM de la troisième circonscription de Moselle, a suivi plusieurs formations dispensées par l’IEPP. En 2013, le stage s’intitule « maîtriser les risques de la communication en période pré-électorale ». Où ? A La Rochelle. Quand ? Du 23 au 25 août 2013. Une chance : ça tombe pile poil pendant l’université d’été du parti socialiste. Combien ? 956,80 € plus les frais 409,12 €.
En 2014, Richard Lioger suit un autre stage de l’IEPP « Prise de parole en public et média-training ». Tout un programme. Toujours à La Rochelle, du 29 au 31 août. Ça tombe encore bien : les socialistes y ont encore organisé leurs journées d’été. Coût : 1.000 € + 380 € de frais. L’année suivante nouveau stage toujours à La Rochelle, pendant l’université d’été du PS du 27 au 30 août 2015. Titre de la formation : « Les collectivités au cœur des réformes. » 1200 € et pas de frais.
Cette année-là, ils seront plusieurs élus messins à se rendre à La Rochelle, pendant les fameuses rencontres d’été des socialistes pour des formations différents organisées ou non par l’IEPP.
Metz en chantier
Richard Lioger, 59 ans, est une personnalité de la ville. Maître de conférences à l’université de Metz dès 1992 il crée la licence et la maîtrise d’ethnologie en 1996. Quatre ans plus tard, il devient doyen de la faculté des sciences humaines. En 2008, encarté au parti socialiste, il est élu sur la liste de Dominique Gros aux municipales de Metz. En 2014, il devient premier adjoint « en charge de l’urbanisme, des études urbaines, des opérations et zones d’aménagement, stratégie d’habitat, action foncière dans le cadre des projets urbains, relations avec l’EPFL, contractualisation avec l’Etat et les collectivités territoriales, grandes infrastructures d’accessibilité. » Ouf !
Ce n’est pas tout. Richard Lioger est aussi cinquième vice-président du conseil d’agglomération de Metz-Métropole (230.000 habitants, 44 communes). A ce titre, il préside la commission de gestion des espaces d’activités économique et du droit des sols. Il préside aussi la société d’aménagement et de restauration de Metz-Métropole.
Autant dire que tout ce qui se construit ou se transforme dans l’agglo passe entre les mains de Lioger. De l’immense centre commercial Waves Actisud à Moulins-lès-Metz au nouveau quartier de l’Amphithéâtre derrière la gare. « Richard Lioger : celui qui a remis Metz en chantier » titrait en septembre 2016 le Républicain Lorrain.
C’est vrai : Metz est une ville qui bouge, s’agrandit, se transforme.
En 2016, Richard Lioger sent le vent politique tourner. Il comprend que l’avenir du parti socialiste est compromis. Il rejoint habilement le mouvement d’Emmanuel Macron, En Marche ! Son comité de soutien est composé des personnalités qui comptent sur la ville et l’agglo.
Quant à Emir Deniz, il est devenu conseiller régional d’Ile-de-France, le 9 août 2017, remplaçant sur la liste Bartolone, Clémentine Autin, élue députée en juin sous les couleurs de la France Insoumise.
Un vrai business, la démocratie.
Marcel GAY
Le point de vue d’Emir Deniz
« Ce qui a été écrit dans le Canard est faux et dégueulasse. J’ai demandé à mon avocat d’assigner le journal. J’ai donné tous les éléments justificatifs au journaliste par mail. Il n’en a pas tenu compte. Certes, j’ai utilisé un chèque de l’entreprise pour mon mariage car il fallait déposer rapidement une caution. Mais tout a été remboursé. J’ai fait l’objet d’un contrôle Urssaf, tout a été dépouillé, aucune anomalie n’a été constaté ! »
Quant à l’organisation de sessions de formation sur les lieux où se réunissent les élus, socialistes notamment, Emir Deniz explique : « C’est bien normal, ce sont des clients. Les élus viennent aux formations de l’IEPP, puis après les cours, ils vont rejoindre les militants. C’est ce qu’a fait Richard Lioger, comme les autres. Il n’y a rien de choquant, ni d’illégal. »
Sauf à avoir un don particulier d’ubiquité, on voit mal comment on peut suivre des cours toute la journée, en plein été, et assister en même temps aux rencontres socialistes qui se déroulent pendant la journée.
Bref, quand on fait remarquer à Emir Deniz qu’il s’agit quand même d’argent public et que les formations pourraient se tenir ailleurs qu’à La Rochelle en plein mois d’août, le patron de l’IEPP ne semble pas comprendre que ce sont les contribuables qui paient pour les formations et les déplacements des élus. « Mais Bouygues aussi, il travaille avec l’argent public, et Dassault construit des Rafales avec de l’argent public…. Qu’y a-t-il là d’étonnant ? Si j’avais organisé les formations dans le Creuse, cela n’aurait rien changé. »
Si, justement. Ça changeait tout…
M.G.
Richard Lioger muet
Nous avons essayé à de nombreuses reprises de joindre Richard Lioger. Le téléphone de sa permanence, à Metz, est inopérant. A l’assemblée, le téléphone sonne dans le vide. En désespoir de cause, nous lui avons adressé un courrier électronique sur sa boite mail de l’assemblée. Toujours aucune réponse.
Il va de soi que nous donnerons la parole à Richard Lioger dès qu’il souhaitera s’exprimer sur le sujet.
M.G.