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Lettre de mars d’Aurore Kepler 452B à Gaïa

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

De Aurore Kepler
452 Constellation du Cygne
Bras d’Orion
Voie Lactée

A Gaïa
3 Ronde du Soleil
Constellation des Jumelles
Voie Lactée

Mois des Acras frétillants sur Kepler

Ma chère Gaïa

Ah, sœur adorée, comme la vie de tes Charmants semble difficile !

Je préfère songer à mes aubes naissantes. La lente éclosion de la lumière de mon astre y révèle la douceur de mes vallons et puis d’un coup fait jaillir des ténèbres l’immensité de mes plaines. Mes animaux s’éveillent alors et sortent des buissons pour aller brouter dans les clairières. Mes oiseaux s’ébrouent, s’égosillent puis virevoltent d’arabesques qui font frétiller ma nature. Cette beauté me suffit et me contente.

Mais être une planète comporte des devoirs que la rêverie n’accomplit pas.

Il va me falloir solutionner une récente polémique. Elle est proche de celles dont tes Charmants sont coutumiers : les femelles ovoïdes ont décidé de se rebeller. Elles exigent un droit de refus. S’il y a des avocats sur Kepler, ils travaillaient très peu. Cela va changer car le phénomène est planétaire. Cette contestation s’étend à la vitesse des éclairs qui les jours d’orage sillonnent mon ciel. Les femelles ovoïdes n’ont plus que cette préoccupation à la fois simple et complexe : elles ont décidé de faire voter une loi qui leur permettra de ne pas se laisser sauter dans la poche sans leur express accord.

Les habitantes du Soleil Levant

Il y a déjà quelques temps, les femelles avaient laissé faire quand le Grand Conseil Ovoïde avait décidé d’utiliser leur poche dorsale pour y déposer des perles. C’était pour compter les traites de leur pouloïde. Ceux-ci mourraient si l’on excédait le nombre de vingt sept traites par mois. Ainsi, à chaque pas, les perles bruissaient de nacre, embaumaient d’iode et donnaient des reflets d’ambre à leur béance. L’Association des Femelles Ovoïdes (AFO) avait acquiescé car, sans vraiment l’avouer, cela servait de contraception et surtout cela empêchait les mâles de soulager leur besoin quand bon leur semblait. La place était prise, un peu comme si chez toi la salle des fêtes de charmante avait été occupée par une calculette. Cela diminuait la contrainte des femelles ovoïdes qui n’étaient pas trop portées sur le sexe. Et cela en contentait d’autres qui ne l’ont jamais avoué, comme les boules de Geisha contentent tes habitantes du Soleil Levant. Le nombre de coït baissait. Cela régulait les naissances et résolvait les problèmes de nutrition de l’espèce.

Mes Ovoïdes comme tes Charmants vivent en couple. Jusqu’à présent, quand le mâle désirait forniquer, si la poche n’était pas occupée par ces perles maudites, il sautait dans la poche de sa femelle. Eh bien c’en est fini. Et les mâles ont dorénavant compris que l’usage de la poche génitale à des fins comptables était une révolution sexuelle masquée.

Donc désormais les femelles exigent d’être averties et consentantes. C’est une révolution. Même de leurs époux, elles refusent les cabrioles à leur insu, à la volée, dans leur dos, sans un vrai consentement. C’est l’avènement de la primauté de l’individu sur la race. Ce comportement femelle va obligatoirement réduire les naissances et pourrait donc à long terme menacer la suprématie, voire la survie des Ovoïdes. Si les femelles gagnent auprès des tribunaux, elles vont pouvoir décider de l’avenir de la population ovoïde de ma planète. S’il apparait des prédateurs, ce comportement pourrait les menacer d’extinction. Mais pour l’instant la race est floribonde. Rappelle-toi ma chère Gaïa que sur ta terre, la condamnation du viol, de l’inceste, le contrôle des naissances ne sont que des acquis récents, survenus bien après l’extinction de la menace de la survie des Charmants.

Cet étrange désir de fraises

À ton époque paléolithique, l’accouplement fut vite reconnu générateur de grossesse et il y a fort à parier que la notion de contrainte sexuelle n’existait pas. Les mâles forniquaient les femelles dès qu’elles se courbaient pour ramasser des baies sauvages. Ce qui explique sans doute encore cet étrange désir de fraise au cours de la grossesse qui associe la dégustation du fruit aux jouissances de la conception…
Chez ton Neandertal bien membré et bien pourvu d’hormones du mâle – les phalanges de l’annulaire sont plus longues que celles de l’index, test de Manning – l’accouplement était fréquent et fonction des rencontres. C’était la polygamie avec quatre coïts par jour, pas toujours avec la même pour ne pas lasser… Qui plus est, Neandertal travaillait peu si ce n’est qu’il chassait. Il avait du temps pour rêver, pour désirer. L’oisiveté est un aphrodisiaque, comme le prouvera ton Kinsey dans ses rapports sur les comportements sexuels des charmantes catégories sociales américaines.
Pour faire de grandes tribus, il fallait des mâles actifs. Cette qualité a engendré une descendance nombreuse. Ton charmant petit humanoïde a donc fini par supplanter des animaux féroces parce les états d’âme des femelles n’étaient pas pris en compte.

Elles étaient là pour procréer. Ainsi la charmante race a-t-elle fini par s’imposer aux autres races par son intelligence mais surtout par son nombre.

Au cours de ton histoire récente, rappelle toi que tes nobles passaient avant leurs vassaux entre les cuisses de la promise. La défloration de la marguerite était un viol légal commis par un seigneur aguerri qui ne pouvait qu’améliorer la race et permettait aux pucelles de s’enorgueillir d’une noble progéniture, tout en épargnant au puceau un premier passage difficile…
Maintenant que la race charmante semble sauvée – ce qui est moins certain avec l’apparition de tes nouveaux petits virus – tout comme les miennes, tes charmantes femelles décident de leur vie sexuelle. Alors que les mâles ont conservé l’appétit qui a permis leur hégémonie. Alors que pendant des millions d’années elles ont accepté les rustres manières, elles ont maintenant leur mot à dire : NON. Parce que la survie de leur espèce n’est plus menacée par leur refus.

D’abord, protéger le peuple

C’est donc seulement quand ta flopée de peuples charmants s’est sentie à l’abri de l’extinction, qu’elle a commencé à considérer les revendications de ses parties. Quand la race semblent sauvée, on peut se soucier des individus qui la composent. Ceux-là mêmes qui ont pu être sacrifiés à la faveur de l’urgence salvatrice. L’étique passe après la sauvegarde. D’abord protéger le peuple, et seulement prendre en considération les désirs de ses composants quand il est sauvé.

Mais quand les intérêts particuliers submergeront l’intérêt général, qu’adviendra-t-il ?

Et bien je pense que c’est bien le peuple qui reprendra la main. Insidieusement, en respectant apparemment le droit et la démocratie, mais en élisant des populistes qui le flattent, mais surtout lui redonneront la préférence. Donc, si par le jeu du droit et de la démocratie des individus auparavant lésés peuvent faire entendre leurs récriminations et obtenir des réparations, voire des avantages qui vont de fait menacer le peuple, c’est celui-ci qui reprendra la main. Et cela, en général, sous la férule d’un tyran qui sera élu, ou accepté, parce qu’il aura intégré le nouveau bénéfice global et pourra se permettre de refouler les intérêts particuliers malgré la loi.

Souviens-toi, aux États Unis, tes Afro-Américains ont été sacrifiés à l’esclavage pour enrichir le pays et ainsi bouter les Anglais hors le continent. La richesse du pays s’établissant, le jeu du droit et de la démocratie leur a accordé la liberté, la possibilité de faire des études et de s’asseoir à côté des blancs… Mais quand les Aro-Américains ont réussi, grâce à l’Obama Care, à se faire soigner comme des blancs, c’en a été trop pour le peuple blanc qui a élu un leader populiste qui s’est révélé être un tyran pour la minorité noire et a encouragé les dérives policières à son encontre.

Le joug soviétique

Regarde l’évolution d’une démocratie illibérale de l’Europe de l’Est comme la Hongrie. Elle a subi le joug soviétique de la fin de ta seconde guerre mondiale jusqu’à l’effondrement de l’empire soviétique. Puis elle s’est libérée et a fait place à une démocratie. Comme elle reste dans l’orbite soviétique, cette démocratie est devenue une provocation pour la Russie. Le peuple hongrois a conservé les apparences de la démocratie mais il a repris la main face au droit en mettant en place un leader populiste qui semble le contraindre, mais en vérité le protège contre trop d’ingérence russe.

Le populisme est la façon qu’on trouvé les peuples de redonner la primauté au peuple sur les intérêts individuels que le droit et la démocratie avaient favorisés.

Certains de tes Charmants européens occidentaux croient encore à la primauté de l’individu. Mais il n’est pas dit que les élections à venir ne porteront pas au pouvoir, au nom du peuple, des dirigeants qui feront régresser les droits individuels et les libertés des minorités, dont les desiderata des femelles…

Donc chez moi, la maturité de la race ovoïde et l’absence de menace d’extinction, font que l’individu femelle prend la main. Des procès retentissants lancés par l’AFO vont faire jurisprudence et il y a fort à parier que tant qu’il n’apparaîtra pas de prédateur digne de ce nom, nous allons voir le femellinisme s’épanouir ici sur Kepler. Oubliés les virus et les fameux Big Five ! Il reste les Transparents ; je t’en ai déjà parlé. Plus gros que les Ovoïdes et plus sournois, car ils commettent leurs méfaits et disparaissent en possédant un système d’absorption des photons lumineux et d’émission de la copie visuelle de leur environnement. Si bien qu’ils peuvent devenir invisibles quand ils le désirent. Ils sont munis d’un dard pour percer et sucer les pis des pouloïdes. Mais ils s’en servent aussi pour percer la coquille des Ovoïdes et se nourrir de leur plasma. Tant qu’ils ne seront pas trop nombreux, ca ira. Mais si leur fertilité surpasse celle des Ovoïdes, à l’occasion de nouveaux comportements sociétaux, la donne pourra changer. Et à ce moment là, il sera toujours temps de faire siéger des populistes au Grand Conseil Ovoïde.

Les messagers de leurs Dieux

Ah, ma chère Gaïa, y a-t-il une vérité, un dogme intangible qui paraîtra toujours bon au cours des temps ? Je sais que chez tes petits êtres charmants, les combats pour le bon droit font rage. Souvent ils permettent à ceux qui pensent savoir le vrai, de gagner. Car ils sont dopés par cette croyance en cet impalpable élément supra naturel – la Vérité – qui fait d’eux les messagers de leurs dieux ou de ta nature. Un peu de réflexion et d’étude de l’histoire leur permettrait de relativiser leurs certitudes.

Ma sœur adorée, ma jumelle, je t’envoie vite cette missive car j’ai hâte que tu me répondes pour m’entretenir de tas de choses. Et plus particulièrement des variants de tes couronnés de diadème. Il y a une telle analogie entre nos virus que tes récits me permettront peut-être d’anticiper ou de fomenter une pandémie.

Qui sait ?

Ma Gaïa, je t’aime plus que moi. Tu es ma seule amie, ma jumelle. Tu naquis de l’Univers comme l’argus azuré nait d’une chrysalide. Tu es devenue cette planète bleue dont s’enorgueillit ta galaxie. Je t’enlace de mille rubans d’aurores boréales, toi ma sœur dont je déplore l’éloignement qui se majore un peu plus chaque jour ; toi qui m’est d’une correspondance si agréable mais dont je ne verrai peut-être jamais les enfants.

Aurore, ta sœur qui t’adore.

Kepler 452 et la Terre (wikipedia)
Kepler 452 et la Terre (wikipedia)
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