Laurent Mucchielli, Université Aix-Marseille
La délinquance des mineurs fait partie des questions qui reviennent régulièrement dans le débat politique et médiatique, au plan national comme au niveau local. Hélas, son traitement est généralement moralisateur, peu de commentateurs se souciant réellement de connaître les causes des comportements incriminés. Du coup, les propos les plus déconnectés du réel peuvent s’exprimer librement quand il s’agit, en particulier pour les politiciens, d’annoncer ce qui va (enfin) changer si nous votons pour eux.
Las, les recherches en sciences sociales accumulent depuis plusieurs décennies des données permettant d’analyser à la fois la genèse des conduites délinquantes et – plus rarement hélas – l’efficacité (ou pas) de leurs prises en charge (voir deux bilans récents ici et ici. Dans ce processus d’accumulation de connaissances, l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS) vient de poser une nouvelle pierre.
Addiction, précarité, conflits intrafamiliaux et échec scolaire
Dans un rapport intégralement consultable en ligne, les chercheurs présentent les premiers résultats d’un travail mené à Marseille, dans les cinq centres de milieu ouvert (UEMO) de la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Au total, sur un peu plus de 1 000 dossiers individuels (en cours ou débutant) suivis par la PJJ en 2014 dans cette ville, les chercheurs en ont dépouillé 537 (pour n’en retenir que 492 exploitables statistiquement).
Dans une première partie, les auteurs présentent les principales caractéristiques de cette population d’enquête telle qu’elle est analysée dans ce type de dossiers. L’on connaît notamment des jeunes leur âge au moment des délits, leur origine nationale et géographique, l’arrondissement de résidence au sein de la ville, leur état de santé, leur éventuelle consommation de drogues, leurs antécédents sociaux et judiciaires. On recueille beaucoup d’informations sur leur histoire familiale (parents, fratries) et leur histoire scolaire. Nettement moins, hélas, sur leur cadre de vie résidentiel et leurs sociabilités, alors même qu’il s’agit également d’un élément parfois très important de socialisation.
Parmi les résultats les plus « lourds », on note d’abord que plus de 60 % des jeunes ont une addiction forte au cannabis et qu’une petite moitié d’entre eux est en mauvaise santé. On relève ensuite de nombreux éléments importants au plan familial. Bien plus que l’origine des parents si souvent mise en cause dans le débat public, on note plutôt la forte précarité qui caractérise ces familles et les mauvaises relations qu’entretiennent non seulement les parents entre eux, mais aussi avec leurs enfants (au point que, notamment, près de 40 % des jeunes concernés ont subi des violences intrafamiliales).
On relève également qu’une fois sur deux un autre membre de la fratrie a déjà été suivi par la PJJ. Mais les indicateurs les plus massifs au plan statistique sont ceux relatifs aux parcours scolaires. Il apparaît en effet que les deux tiers des jeunes délinquants ont redoublé au moins une fois dans leur scolarité (et que, parmi eux, plus de 80 % ont redoublé au primaire). Environ 80 % des jeunes délinquants présentent des lacunes scolaires et 72 % ont connu au moins un long épisode de déscolarisation (de plus d’un an dans les trois quarts des cas !).
Ces résultats confirment, renforcent et même amplifient des constats déjà connus concernant notamment le contexte de grande précarité socioéconomique des familles, l’importance des conflits et des ruptures familiales, de même – et même plus encore – que les ruptures et la désaffiliation scolaire des adolescents. Ce sont là des éléments majeurs de rupture des liens sociaux qui ont de multiples répercussions sur la vie quotidienne des familles et sur les jeunes qui subissent ces tensions. Ils renforcent par ailleurs le poids et l’influence des processus de socialisation juvénile, en particulier le pouvoir d’attraction sur les plus jeunes des groupes délinquants déjà constitués à l’échelle des quartiers.
Échecs en cascade
Pour conclure la présentation de ces premiers résultats (des analyses statistiques plus poussées sont en cours), les chercheurs mobilisent des tests de corrélation réalisés sur l’ensemble des variables. Il en ressort plusieurs liaisons importantes qui résument, à leur manière, les principaux facteurs de la délinquance des adolescents étudiée dans cette recherche.
En premier lieu, il apparaît que les auteurs d’infractions à la législation sur les stupéfiants (généralement de la revente, le premier étage des trafics) sont surreprésentés parmi les jeunes qui, premièrement, souffrent d’une addiction forte au cannabis, deuxièmement ont connu au moins un redoublement précoce (au primaire), troisièmement ont un autre membre de la fratrie chômeur ou inactif, quatrièmement ont un père ayant déjà ou étant actuellement incarcéré.
Ceci rappelle d’abord que la revente et la consommation de drogues (essentiellement du cannabis) sont intimement liées. À l’encontre d’une représentation courante voyant dans les petits trafiquants de cannabis des jeunes surtout attirés par l’argent, dont on suppose même parfois qu’ils ont volontairement quitté l’école pour cette raison au moment du collège, il semble – au contraire – que l’on devienne souvent petit trafiquant à l’issue d’un échec scolaire très précoce. Cet échec est lui-même renforcé par la situation d’échec social d’autres membres de la famille (souvent le père et un frère), ayant entraîné une addiction au cannabis qui a précédé sa revente. Cette dernière permet avant tout d’assurer une consommation quotidienne parfois très intense.
Mobilisation à retardement des politiques publiques
En second lieu, les jeunes dont les parents sont en « relation délictuelle » (c’est-à-dire ayant été les témoins de violences conjugales) sont surreprésentés parmi les auteurs de délits, tout particulièrement d’infractions à l’ordre public. Ceux qui ont, par ailleurs, été eux-mêmes victimes de violences (en particulier les violences sexuelles) dans leur enfance sont également surreprésentés dans certains types de délits (plutôt les atteintes aux biens chez les garçons et les atteintes aux personnes chez les filles).
Tout ceci souligne l’importance de la prévention, de la détection et de l’accompagnement des violences intrafamiliales concernant non pas seulement les adultes, qui en sont les principaux protagonistes, mais aussi les enfants qui en sont a minima les témoins, lorsqu’ils n’en sont pas également les victimes.
Last but not least, en troisième lieu, le redoublement précoce (école primaire) apparaît comme un facteur général de délinquance à l’adolescence, tout particulièrement pour les infractions à l’ordre public. Ceci montre bien l’aporie des politiques publiques qui, trop souvent, ne se mobilisent vraiment que lorsque les adolescents décrochent au collège, c’est-à-dire lorsqu’il est déjà très (parfois trop) tard. Ceci souligne a contrario l’importance d’une prévention précoce de l’échec scolaire. Voilà bien une question sociale cruciale sur laquelle l’on aimerait entendre davantage les candidats aux élections…
Laurent Mucchielli, Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Université Aix-Marseille
This article was originally published on The Conversation. Read the original article.