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Professeurs et chefs d’établissement : une relation positive, mais qui se fragilise

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Pour 54% des enseignants, les relations entre profs et chefs d’établissement sont basées sur la confiance et l’écoute.

Laurent Frajerman, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Si les professeurs voient globalement d’un bon œil le rôle joué par leurs chefs d’établissement, ce rapport souffre aussi de tensions plus marquées actuellement, comme le montrent les résultats de l’enquête Militens (réalisée par le CERAPS de l’Université de Lille et la DEPP, service de statistiques du ministère, avec le relais des syndicats enseignants). Exprimée par Emmanuel Macron durant sa campagne, la volonté de développer l’autonomie des établissements dans le secondaire devrait le mettre aussi à l’épreuve.

La persuasion prime sur l’imposition

Quand on demande aux professeurs de qualifier leur lien avec leur chef d’établissement, ils sont 31 % seulement à afficher des sentiments anti-hiérarchiques, jugeant cette relation « conflictuelle » ou « administrative, de contrôle ». Cette dernière modalité, soit 27 % des réponses, peut autant indiquer une indifférence – renvoyant à un rapport purement bureaucratique au chef – qu’une certaine défiance, faisant référence à un éventuel sentiment de surveillance, par exemple. À l’opposé 54 % des enseignants emploient un vocabulaire positif, évoquant une relation soit « basée sur l’écoute et l’échange », soit « amicale, de confiance ».

Enquête Militens CERAPS Lille/DEPP/IR FSU

Ce résultat a de quoi satisfaire les chefs d’établissement. Il n’est pas si étonnant, car les enseignants bénéficient d’un rapport hiérarchique peu autoritaire. Le pouvoir de leurs chefs directs repose plus sur la persuasion que sur l’imposition. Les enseignants vivent une tension entre l’attachement à leur autonomie professionnelle et le besoin de renfort extérieur dans l’exercice d’un métier de plus en plus difficile.

On pourrait comparer cette situation avec celle d’un centre de soins, dans lequel la hiérarchie de proximité, occupée par des tâches de gestion sur ordinateur, n’a plus le temps de dialoguer avec les personnels : les économistes Mathieu Detchessahar et Anouk Grevin estiment que « les salariés souffrent beaucoup plus, finalement, de l’absence de management que de sa trop grande présence ». Autre exemple offrant une mise en perspective : à EDF, les agents sont satisfaits à plus de 80 % de leur n+1, parce qu’ils naturalisent le besoin d’encadrants et que ces supérieurs directs les contraignent moins et les aident plus que la hiérarchie plus éloignée.

Une volonté de statu quo

Mais lorsque l’on passe de cette observation du vécu aux principes généraux, le ton change : les professeurs s’opposent massivement à l’idée de « renforcer le rôle pédagogique des chefs d’établissements (visites dans les cours, notation pédagogique…) ». 44 % y sont très défavorables et 28 % plutôt défavorables. Ce consensus contre une éventuelle extension du pouvoir de la hiérarchie provient notamment de l’embarras que celle-ci éprouve lorsqu’il faut satisfaire la demande d’accompagnement exprimée par le personnel.

En effet, 48 % des enseignants (dont 24 % vraiment mécontents) dénoncent le « manque de soutien » de la hiérarchie, au sens large, en incluant les inspecteurs disciplinaires et le reste de l’institution, peu populaire. Mais cette critique est rejetée par l’autre moitié du corps, alors que dans cette liste de difficultés professionnelles, six recueillent de larges majorités : le rapport aux élèves, l’augmentation des réunions, la multiplication des réformes… Pour apprécier le travail de la hiérarchie, le vécu des répondants joue un rôle majeur : une partie conséquente des enseignants ne la sollicitent guère

La profession ne pense d’ailleurs pas que la problématique hiérarchique revête un caractère impérieux, malgré la persistance de rumeurs attribuant au nouveau ministre la volonté de renforcer les pouvoirs des chefs d’établissement. Lorsqu’on demande de classer les revendications syndicales prioritaires, la proposition « une hiérarchie qui respecte l’autonomie des enseignants » ne suscite pas un enthousiasme débordant.

En cinquième position (sur sept), elle est supplantée par des demandes quantitatives (salaires, nombre d’élèves) et pédagogiques (changement profond du système éducatif, formation professionnelle…). Le score (moyenne pondérée en fonction du classement) de cette revendication est de 10/20, témoignage d’un écho moyen. Tant que le statu quo sera maintenu, les professeurs ne jugeront pas urgente une intervention syndicale sur le management.

Une profession clivée

Cependant, derrière ce panorama général, on constate de nets clivages. Un groupe très minoritaire (4 %) se déclare en conflit avec les chefs d’établissement et se montre cohérent, puisqu’à 79 %, celui-ci se dit très défavorable au renforcement du rôle de la hiérarchie et considère qu’elle ne les soutient pas. Cet aspect est corrélé aux difficultés professionnelles que semblent vivre ces enseignants, deux fois plus nombreux à se déclarer insatisfaits de leur métier (47 % contre 25 % en moyenne).

Ils placent la priorité de l’action syndicale sur ce terrain (32 % classent la question hiérarchique en premier et 34 % en second). Ce groupe ressent un besoin de protection, qui se manifeste par une plus grande propension à se syndiquer (+ 16 points). D’ailleurs, les militants consacrent un temps proportionnellement plus important à défendre cette catégorie d’enseignants, en faisant appel aux strates administratives supérieures : rectorats voire ministère.

Enquête Militens CERAPS Lille/DEPP/IR FSU
Enquête Militens CERAPS Lille/DEPP/IR FSU

Symétriquement, un groupe plus conséquent (13 %) déclare une relation « amicale, de confiance » avec le CE. Comme le montre la thèse en cours de Léa Palet, certains de ces enseignants entretiennent des rapports étroits avec leurs chefs, qui débordent de la sphère professionnelle. Logiquement, les personnels jamais syndiqués sont surreprésentés (+ 6 points) et cette catégorie rejette moins le renforcement du rôle du CE (- 6 points). Cependant, elle n’est pas acquise à la cause d’un management plus vertical (66 % sont hostiles tout de même), car elle puise sa satisfaction dans sa proximité relationnelle avec l’autorité. Ces enseignants sont beaucoup plus fréquemment des hommes (figure 1) : des rapports plus étroits avec le management constituent l’un des facteurs à l’origine des différences sexuées de carrière.

Enquête Militens CERAPS Lille/DEPP/IR FSU

Une relation dégradée par la réforme du collège ?

Un sondage Ipsos/SNES réalisé en mars 2018 auprès de 603 enseignants montre une forte augmentation du sentiment que « les CE interviennent trop dans le domaine pédagogique au détriment de la liberté des enseignants ». Le soutien à cette proposition est passé de 17 % à 40 % en quatre ans ! Certes une majorité d’enseignants la rejette encore, mais l’idée que « le chef d’établissement joue un rôle important dans l’augmentation de la charge de travail » est aussi approuvée par 70 % des professeurs (+ 10 points). Comment expliquer la fragilisation spectaculaire de l’image des chefs d’établissement auprès de leurs subordonnés, qui concorde avec la hausse des conflits liés au management constatée par le SNES-FSU ?

Le contexte politique a peut-être joué : les résultats apaisés du sondage CSA/SNES de 2014 auraient été influencés par l’action de Vincent Peillon, un ministre issu de l’enseignement secondaire, qui comprenait sa culture. Mais l’hypothèse la plus évidente repose sur l’affrontement généré par la réforme du collège en 2016-2017, rejetée par les professeurs et soutenue par les chefs d’établissement. Philippe Tournier, secrétaire général du principal syndicat des CE, le SNPDEN UNSA, n’a-t-il pas ouvert son congrès en déclarant que cette réforme a provoqué « une crise qui a profondément marqué nos collègues, dont les traces sont loin d’avoir disparu » ?

Toutefois, l’évolution des opinions entre professeurs de collège et de lycée est strictement parallèle, au lieu d’être plus importante chez les premiers. Même si le durcissement des relations au collège a forcément un écho au lycée, du fait de la circulation des enseignants, il faut chercher d’autres raisons.The Conversation

Laurent Frajerman, Chercheur spécialiste de l’engagement enseignant, Centre d’histoire sociale du XXème siècle, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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