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L’enseignement supérieur français : une industrie sans marque et sans direction

Michel Villette, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay

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Des marques mondialement connues

Harvard, MIT, Berkeley, Oxford, Cambridge sont sans doute des organisations compliquées où les décisions sont difficiles à prendre et où, comme chez nous, les chercheurs ont du mal à préserver leur autonomie, mais ce sont des marques mondialement connues, soutenues par une organisation efficace.

Chaque fois qu’un chercheur y publie un article, il fait la promotion de la marque et accroît la crédibilité du diplôme décerné aux étudiants. La concentration du crédit scientifique attire les étudiants, les enseignants et les chercheurs du monde entier.

Le capital symbolique accumulé se convertit aussi en ressources financières qui permettent de lancer des recherches ambitieuses, de financer des campagnes de publicité mondiale, d’organiser de grands événements scientifiques, d’investir dans les systèmes d’information et de distribuer des bourses aux étudiants sans ressources.

Le développement des enseignements à distance accroît encore l’influence de la marque, qui devient indispensable pour crédibiliser ces nouvelles formes d’apprentissage.

Jeu de Monopoly

Face à ces institutions anciennes, autonomes et structurées qui capitalisent sur leur nom, l’enseignement supérieur français aligne un empilement d’institutions multiples, emboîtées les unes dans les autres et ayant chacune leur statut, leur conseil d’administration, leur politique et leurs marques fragiles, sans ancienneté, sans notoriété, sans gros moyens publicitaires de promotion à l’international et surtout, changeantes au grès des luttes internes à l’appareil politico-administratif.

Ce jeu de Monopoly est dangereux. Chaque officine s’épuise dans la lutte avec les autres dans l’espoir de capter quelques ressources et ce ne sont pas les UMR, Labex, Idex, PRESS, COMUE, ANR, Campus France et autres AERES qui vont simplifier le paysage.

Lorsqu’un enseignant-chercheur français publie un article scientifique, au nom de quelle institution doit-il le signer pour que le crédit scientifique qu’il apporte profite à tous ? Les chercheurs signent CNRS, INRA, IRD, Ifremer ou Inserm et cela n’apporte aucun crédit aux étudiants.

Les membres des institutions de prestige comme le Collège de France, L’ENS, l’EHESS, Sciences Po, Polytechnique, ou les Mines gardent leur prestige pour eux mais ils sont trop peu nombreux pour peser sur la scène mondiale.

Mis à part la mythique et disputée Sorbonne, les universités tantôt décomposées, tantôt recomposées ne sont pas des marques ou alors des marques trop jeunes, insuffisamment promues sur la scène internationale et dont on a souvent retiré les vedettes pour les isoler dans la cage dorée des institutions de prestige.

Bref, nous ne sommes toujours pas entrés dans la course à l’enseignement supérieur mondialisé et ce n’est pas seulement un problème de langue ! Les étudiants étrangers viendront étudier en France si, et seulement si, le diplôme délivré a un prestige suffisant sur la scène mondiale : il faut des marques grandes, peu nombreuses et connues !

Comme dans les équipes de football

Humiliés par la publication des classements internationaux – classements contestables mais inévitables – l’État français a décidé de concentrer les moyens et il fait de l’immobilier, cher et long à mettre en œuvre, au lieu d’investir dans l’immatériel.

Construire des mètres carrés de bureaux en espérant que la ribambelle des officines bureaucratiques va se regrouper comme par miracle est la solution la plus chère, la plus lente et la moins sûre.

C’est sur l’architecture des organisations de la recherche et de l’enseignement supérieurs qu’il faut travailler.

Il faut créer des marques mondiales, et vite. Il faut dire à chaque enseignant-chercheur et à chaque chercheur quelle est la marque dont il doit être le champion et ces marques doivent être crédibles, fortement promues et peu nombreuses.

Réciproquement, les marques doivent s’attacher à mettre en valeur et à soutenir les chercheurs talentueux qui sont leurs principales ressources, tout comme les meilleurs joueurs pour les équipes de football.

Investir dans l’immatériel, c’est créer quelques marques mondiales qui concentrent le crédit scientifique, garantissent la valeur des diplômes, concentrent et redistribuent les financements, le tout soutenu par des investissements massifs dans les moyens de communication les plus modernes.

Si nous n’avons pas de marques, c’est parce que nous n’avons pas d’institutions académiques autonomes. Nos établissements d’enseignement ou de recherche, désarticulés, divisés, encombrés d’instances multiples et pseudo démocratiques restent subordonnés aux ministères qui les composent et les recomposent au gré de changements de politique et de luttes internes. Tout le contraire d’une stratégie conséquente et de long terme.

Compte tenu de cette histoire administrative dont nous héritons et qui ne peut se changer en un jour, il faut créer des marques chapeaux -très vite- puis regrouper progressivement les entités administratives dispersées sous ce même chapeau symbolique. C’est l’essentiel. L’immobilier peut attendre.

Tutelles

Au siècle du numérique, les bureaux sont peut-être des dépenses inutiles. Les regroupements juridiques, statutaires, suivront au rythme lent (trop lent) de nos institutions publiques, et seulement s’ils sont vraiment indispensables pour assurer le bon fonctionnement des équipes de chercheurs, sans trop de lourdeur administrative et de conflits, et surtout, sans contrarier la formation de ces « collèges invisibles » qui regroupent librement les personnes qui cherchent ensemble, quels que soient leurs statuts et leurs institutions de rattachement.

La signature de l’auteur de cet article fait mention de six institutions différentes (AgroParisTech, Université d’Orsay et Centre Maurice Halbwachs (ENS/EHESS/CNRS) mais on pourrait ajouter le Labex Tepsis, Paris Sciences et Lettres, ParisTech et Agenium, qui prétendent aussi avoir une marque et une « politique de communication ». Cela ferait neuf tutelles pour un seul homme. N’est-ce pas ridicule ?

The Conversation

Michel Villette, Enseignant chercheur en Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS
, professeur de sociologie, Agro ParisTech – Université Paris-Saclay

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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