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Macron et Uber, c’était du sérieux !

Point-de-vue. Lorsqu’il était secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert était aux premières loges lorsque se déroulaient les négociations entre les représentants de la plateforme UBER et le ministère de l’Économie dont le ministre de l’époque s’appelait Emmanuel Macron.

Christian Eckert, ancien secrétaire d'Etat au Budget (DR)
Christian Eckert, ancien secrétaire d’État au Budget (DR)

Par Christian Eckert

Il y a bientôt 5 ans, je publiais un ouvrage (« Un Ministre ne devrait pas dire ça » aux éditions Robert Laffont) où je décrivais, entre autres, mes différences et mes différends avec celui qui est devenu Président de notre République et qui était ministre de l’Économie quand j’étais membre du Gouvernement.
Je viens de parcourir les articles découvrant subitement sa proximité (et celle de ses collaborateurs du moment devenus, pour beaucoup, députés et présentés comme issus de la société civile !) avec UBER et le monde des plateformes numériques. J’en souris et me demande pourquoi certaines alertes (dont les miennes) n’ont pas eu plus d’écoute à l’époque. Je reproduis ci-dessous un chapitre du livre (retouché) qui évoque largement UBER et ses soutiens. Les aspects droits du travail sont aujourd’hui mis en avant et tant mieux. Les aspects fiscaux et sociaux sont aussi importants et sont loin d’être traités. Leur « écosystème vertueux » s’apparente à la loi du plus fort ou du plus compromis.

Chapitre 21- Un écosystème faussement vertueux

Je suis convaincu que le Parti socialiste a un impératif majeur, celui de se moderniser et de travailler sur les sujets de ce siècle : révolution numérique, intelligence artificielle, « ubérisation » de l’économie, avenir de l’emploi salarié, partage des richesses et du travail, transition énergétique et protection de la planète, laïcité et place des religions, aide humanitaire et développement du monde, accueil des migrants… Autant de sujets à regarder sans oublier nos valeurs traditionnelles et intangibles, mais avec un œil d’aujourd’hui résolument tourné vers l’avenir.
Pendant les dernières campagnes présidentielles, la plupart de ces sujets fondamentaux qui auraient pourtant dû être au cœur du débat public ont été oubliés.

J’ai un peu réfléchi

Tout d’abord, on peut faire un constat que nos concitoyens ne peuvent plus mettre en cause. Sans trancher sur l’évolution du nombre d’emplois, il est aisé de reconnaître que les mutations économiques et comportementales font évoluer la forme des emplois. L’intérim et les contrats courts explosent pour adapter le potentiel des entreprises à des marchés de plus en plus volatils.

De plus, la multiplication des plateformes numériques bouleverse les modèles. La relation entre employeur et salarié s’efface au profit d’une relation entre un client et un prestataire. Pour un chauffeur Uber, il n’est pas évident que la plateforme soit un employeur. Y être référencé n’est pas formellement un contrat de travail. Les jurisprudences se construisent, au gré des contentieux et des juges saisis, dans une confusion qui n’honore pas une société censée accompagner les mutations plus que les subir.

Les plateformes ne paient pas ou peu d’impôts

L’exemple d’Uber, tout emblématique qu’il est, est loin d’être unique. On trouve aujourd’hui des offres pour toutes les prestations sur internet : cela va de la restauration et du logement, aux travaux ou services à domicile. Et cela met en évidence une série de questions, dont le grand public fait à tort l’amalgame.

Les plateformes gagnent de l’argent, souvent délocalisé, et ne payent que peu ou pas d’impôts sur les bénéfices réalisés en France. C’est évidemment scandaleux, mais renvoie à une question plus large concernant l’optimisation fiscale des multinationales, notamment dans le domaine du numérique. Si aujourd’hui quelques pistes se sont précisées, il n’y a encore rien de mis en œuvre concrètement…

Les prestataires qui trouvent leurs clients via les plateformes en tirent un revenu, qui n’est pas toujours déclaré au fisc. C’est source d’inégalité entre des personnes pratiquant la même activité sous une forme différente. Cette question a été en grande partie résolue en donnant à l’administration fiscale par la loi la possibilité d’obtenir de façon exhaustive les données fiscales à vérifier. Encore fallait-il distinguer les vrais revenus – type Uber – du partage de frais – type Blablacar – ou des différents niveaux d’utilisation d’AirBNB…

Les cotisations sociales, la retraite…

Plus important encore est la question du statut de ces revenus, et de leur assujettissement aux cotisations sociales. La cotisation sociale est perçue comme une contrainte. On oublie qu’elle ouvre des droits, à la retraite, à l’assurance maladie, à l’assurance chômage… Qu’en sera-t-il d’une personne gagnant sa vie chez Uber une fois que l’âge ou la maladie l’empêchera de poursuivre son activité et donc d’avoir des revenus ? Je n’évoque même pas ici le droit de grève ou les droits à la formation des salariés.

Lors d’un voyage aux États-Unis, j’ai été frappé de voir des octogénaires travailler dans des commerces, rangeant des marchandises :
– Pourquoi travaillez-vous à votre âge ?
– Pour survivre mon gars !

L’Angleterre ou l’Allemagne semblent prendre le même chemin. Le président Macron et sa majorité veulent-ils nous amener là aussi ?
L’économie dite numérique va donc, incontestablement, se développer. Vouloir lutter contre ça est vain. Il faut néanmoins y mettre de l’ordre

Macron et le moins d’impôt numérique

En charge des comptes publics, j’ai eu des échanges avec le ministère de l’Économie sur ces questions. Les contacts entre nos cabinets ont été nombreux. Du côté de chez Macron, les partisans de la libéralisation totale veulent un monde numérique sans impôts, sans cotisations sociales, sans droits ni obligations. En face, nous souhaitons défendre l’équité au-delà des différentes façons d’exercer une activité. Emmanuel Macron comme ses collaborateurs, ont toujours eu le même discours : d’une part, l’économie numérique est une formidable source de croissance et de création de valeur ajoutée. D’autre part, elle constitue un « écosystème vertueux » où il serait fou d’introduire la moindre règle.

Si la première affirmation est peu contestable, la seconde, sur la forme comme sur le fond, a été une ligne de fracture entre les différents étages de Bercy. Le mot « écosystème » me semblait réservé à des phénomènes plus naturels. Mais passons sur la forme. Les vertus de cet écosystème ne m’apparaissent pas évidentes. Les propriétaires de taxis payant leurs licences pour exercer en face de chauffeurs libres qui les concurrencent en faisant la même prestation l’ont légitimement dit.

Un long chemin de croix

L’administration s’est vue par ailleurs dotée par la loi d’un droit de communication très large sur les revenus des utilisateurs des plateformes. Un progrès important pour redresser ceux qui « oublient » de remplir correctement leurs déclarations de revenus. Mais nous avons voulu aller plus loin : obligation a été inscrite dans la loi, d’informer les utilisateurs des plateformes de leurs obligations déclaratives, que ce soit en matière d’impôts ou en matière de cotisations sociales. Ainsi, nous avons aussi confectionné des fiches techniques, mises en ligne, pour guider les contribuables dans les méandres des situations particulières à chaque activité.

La réalisation de ces fiches a été un long chemin de croix pour nos équipes, et pas seulement parce que c’était un travail difficile. D’abord, il fallait mettre ensemble cinq ministères : les Affaires sociales pour les cotisations, l’Économie par nature concernée par le secteur, le Numérique évidemment, le Commerce et l’Artisanat et enfin le Budget pour la partie fiscale. Avec le Ministère des Affaires sociales, les nombreuses difficultés techniques ont été traitées. Le Ministère de l’Économie s’est manifestement défaussé et a renvoyé sur ses deux Secrétariats d’État. Ma collègue Martine Pinville, toujours adorable et constructive, a compris les objectifs et l’intérêt de donner à son secteur traditionnel des gages d’équité. Les équipes d’Axelle Lemaire, Secrétaire d’État au numérique, et de son ministre Emmanuel Macron, ont cherché et trouvé tous les prétextes, souvent de forme, pour retarder, voire empêcher les démarches en cours visant à réguler.

Pérenniser les droits sociaux

Après plus de six mois de tergiversations, sur les maquettes des fiches à mettre en ligne, la couleur et la taille de leurs caractères, le niveau de diffusion, Martine Pinville et moi avons enfin publié dans l’indifférence générale une tribune commune pour communiquer un peu.

En allant sur différents sites, j’ai constaté que l’accès aux fiches techniques est la plupart du temps très peu visible, les rares fois où il est mis en ligne.

Considérer que les échanges permis par les plateformes constituent un « écosystème vertueux » est selon moi extrêmement dangereux. Si des personnes en tirent des revenus, quelques fois suffisants pour en vivre, cela se fait pour elles avec une insécurité considérable.

L’économie numérique est une chance pour tous et elle est appréciée notamment par les plus jeunes générations. Il faut l’encourager et l’aider à se développer. Et pour cela, il faut lui donner un cadre réglementaire. Plus on attendra pour le faire, plus les habitudes et les zones de non-droit se seront développées et plus grandes seront les difficultés à y remédier.

Le quinquennat de François Hollande a, sur ces questions, manqué d’audace, même si quelques progrès ont été faits pour s’adapter à ce nouveau contexte. Emmanuel Macron, alors Ministre à Bercy, a pesé pour que l’audace consiste à ne rien faire, à laisser faire…
C’est ce type de sujet qui me motive à poursuivre mon engagement politique : pérenniser les droits sociaux dans un contexte économique nouveau, c’est un formidable défi pour les générations futures.

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