La Commission des Affaires étrangères de la chambre des Communes vient de publier un rapport sur l’intervention britannique en Libye. En termes clairs, les parlementaires affirment que la politique britannique envisageait la protection des civils, mais s’est transformée en politique de changement de régime par la force.
Mise en cause de la France
Ce rapport accable la France dont la stratégie aurait été de reconnaître le Conseil de Transition Nationale (CNT) libyen afin de forcer le vote de la résolution 1973 et d’imposer une zone d’exclusion aérienne. Les parlementaires britanniques citent, dans leur document, une conversation entre un membre des services de renseignement français et une conseillère du Département d’Etat américain qui explique l’attitude française :
- Gagner une plus grande part de la production pétrolière libyenne,
- Augmenter l’influence française en Afrique du Nord,
- Améliorer sa (Nicolas Sarkozy) situation politique interne en France,
- Offrir une occasion à l’armée française de renforcer sa position mondiale,
- Donner suite aux inquiétudes des conseillers (de Nicolas Sarkozy) quant aux plans de Mouammar Kadhafi de supplanter la France dans l’Afrique francophone.
Selon le rapport, le Royaume-Uni a suivi la politique française sans la questionner suffisamment. Ensuite, les deux pays ont influencé les Etats-Unis pour soutenir la résolution 1973. Cette théorie va dans le sens des courriels d’Hillary Clinton publiés dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de l’ambassadeur Stevens à Benghazi.
Fausse urgence
Le rapport indique qu’a posteriori, aucun élément ne soutient la thèse d’une nécessaire intervention à Benghazi pour protéger les civils. Au cours des opérations de février 2011 pour la reprise des villes tombées entre les mains des révolutionnaires, « les troupes de Mouammar Kadhafi n’ont pas visé les civils« , poursuivent les auteurs. Les renseignements étaient maigres et les seuls éléments mis en avant pour justifier l’imminence de l’action sont issus des discours violents du leader. Il s’agit donc bien d’une bulle médiatique ayant fait pression sur l’opinion publique et les décideurs afin d’intervenir.
Détournement des objectifs
En outre, reconnaissant que la politique avait viré vers un changement de régime, les auteurs dénoncent n’avoir eu recours qu’à la force. La coalition a effectué plus de 25 000 sorties aériennes en soutien à des rebelles totalement désorganisés, mais généreusement armés par le Qatar et les Emirats arabes unis, indique le rapport. Ils ajoutent qu’il aurait été possible de trouver d’autres solutions, notamment en utilisant l’influence et les contacts de Tony Blair en Libye.
Financement de la révolution
Le financement de l’opposition, le Conseil de Transition National, a été organisé par le groupe des Amis de la Libye. Le rapport lève partiellement le voile entourant le Mécanisme Temporaire de Financement (TFM) qui a fonctionné de juin 2011 à janvier 2012. Environ 1,6 milliard de dollars ont transité au travers de ce véhicule de financement, dont l’essentiel provenait des avoirs gelés. La révolution libyenne a été financée avec l’argent libyen !
Présence djihadiste
Le rapport reconnaît également qu’avant 2011 la connexion entre la Libye et les groupes extrémistes militants transnationaux était notoire et n’aurait pas dû être sous-estimée. Au passage, les auteurs soulignent que la proportion par habitant de Libyens partis combattre aux côtés d’al Qaeda en Iraq et en Afghanistan était de loin supérieure à celle de tout autre pays arabe.
Fractionnement sécuritaire et chaos actuel
Suite à la chute du régime de Tripoli, le Royaume-Uni a mis en garde les Libyens en leur déconseillant de suivre l’approche du général Mangoush. Ce dernier a financé les brigades (Libyan shield) au détriment d’une armée unie. Depuis, une guerre civile est en cours opposant différentes brigades, dont celle au nom trompeur d’Armée Nationale libyenne du général Haftar, précise le rapport. Dans ces circonstances, une crise humanitaire s’est développée dans le pays et a aggravé celle des migrants livrés à l’arbitraire des trafiquants.
Vide politique
La gestion politique du pays a incombé à la mission de l’ONU en Libye, l’UNSMIL, même si son mandat ne le prévoyait pas. La Libye n’avait aucune institution adaptée pour reprendre le contrôle du pays après Mouammar Kadhafi et les Libyens n’étaient pas en mesure de tenir des élections dont l’enjeu même leur était étranger. La réussite de l’entreprise aurait été un miracle. D’ailleurs les spécialistes dépêchés en Libye pour aider à sa reconstruction en étaient conscients. Il n’y avait aucune capacité institutionnelle ni ressources pour mettre en œuvre ces plans occidentaux qui s’accumulaient sur la table des ministres libyens, comme le décrit le rapport.
Politique actuelle : soutien au gouvernement d’union nationale
L’esprit de la déclaration commune du 16 mai 2016 en soutien au gouvernement Sarraj mis en place par l’ONU reste la ligne de conduite britannique. Dans ce cadre, le rapport suggère de prendre ses distances avec le général Haftar car ce dernier ne soutient pas le gouvernement d’union nationale. Ainsi, la Chambre des Communes dénonce l’action française en soutien au général Haftar, dévoilée, en juillet 2016, suite à l’accident d’hélicoptère qui a coûté la vie à trois membres de la DGSE selon Le Monde. Le rapport suggère de mettre l’accent sur un soutien aux autorités afin qu’elles développent les capacités de lutter contre l’extrémisme violent et l’Organisation de l’Etat islamique (EI). Néanmoins, le Royaume-Uni restera présent pour aider directement dans cette lutte lorsque le gouvernement aura stabilisé le pays et qu’une demande officielle aura été faite. Les auteurs dénoncent également les activités militaires britanniques, en cours actuellement, qui n’ont pas été approuvées par le parlement.
Conclusion
En minimisant la réalité et sans véritable « service après intervention », la communauté internationale a échoué dans le soutien de la Libye après la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Aveuglée par l’appât du gain et des contrats potentiels avec le nouveau régime, elle est responsable du chaos actuel sur lequel a fleuri l’EI. Même si ce mea culpa rend justice à la vérité historique, l’urgence reste avant tout, de pacifier le pays, de contrôler ses frontières et le trafic d’armes, d’endiguer l’EI ainsi que la crise migratoire.
Bruno Husquinet