Ludovic Fabre, Centre de Recherche de l’Armée de l’Air (CReA) et Yves Auffret, Centre de Recherche de l’Armée de l’Air (CReA)
Un drone est un engin inhabité capable de s’élever ou de circuler dans les airs et pouvant être piloté à distance ou disposer d’autonomie. Les Anglo-saxons les nomment unmanned aerial vehicle (UAV) ou remotely piloted aircraft systems (RPAS). Même s’ils suscitent aujourd’hui l’attention, l’idée n’est pas nouvelle : le concept militaire de drone est né durant la Première Guerre mondiale avec les « avions-cibles » et le premier emploi militaire de cette technologie remonte aux années 1970 durant la guerre du Vietnam.
Depuis l’année 2014, le drone est également associé à d’autres usages : commerciaux par exemple. Côté militaire, les applications sont nombreuses. Ce qui confère à cet aéronef son caractère « militaire » est la « charge utile » qui est définie en fonction des besoins des différentes missions : surveillance, renseignement, transport et combat.
Le système anglo-saxon fait une distinction entre les « drones de combat » ou unmanned combat aerial vehicle (UCAV) et les unmanned aerial vehicle (UAV). La diversité des emplois potentiels de cette technologie a conduit à classer les différents types de drones militaires : du mini-drone au drone de combat en passant les drones de transports et les drones tactiques. L’autonomie, elle, décrit la capacité du drone à agir selon des algorithmes plutôt que selon les commandes d’un opérateur. Chaque modèle de drone possède un degré d’autonomie relative.
Actuellement, l’État français mobilise des systèmes de drones comme les drones MALE (moyenne altitude longue endurance) de type MQ-9 Reaper (modèle de General Atomics) au Niger sur la base aérienne de Niamey dans le cadre de l’opération Barkhane qui consiste à lutter contre les groupes armés terroristes dans la bande sahélo-saharienne. La Loi de programmation militaire 2014-2019 fixe pour objectif à l’Armée de l’air la possession de quatre systèmes commandant une douzaine de vecteurs de surveillance de théâtre (auxquels s’ajouteront trente drones tactiques).
Ces systèmes ne sont pas armés à l’heure actuelle, mais ils pourraient le devenir dans le but d’augmenter l’efficacité des forces en termes de réactivité immédiate. Outre les drones armés des États-Unis, leMQ-9 Reaper a été mobilisé dans sa version armée en Irak et en Syrie par le Royaume-Uni. L’Italie a également obtenu en 2015 une autorisation de l’agence américaine d’exportation d’armement (DSCA) afin de doter ses six vecteurs de missiles américains (type AGM-114 Hellfire).
L’avènement de ces « drones de combat » (ou drones armés) autonomes a soulevé et soulève de nombreuses interrogations tant sur le plan politique que sur le plan éthique. Il serait donc question de savoir s’il est utile et concevable, de laisser à la machine la décision d’ouvrir le feu sur une cible. Le ressort principal de ces débats tient finalement dans une seule question vivement débattue : sur un champ de bataille, un drone armé peut-il faire preuve d’autant, voire plus « d’humanité » qu’un militaire humain ? Plus précisément, un robot doté de l’autonomie de feu est-il capable d’employer son armement de manière aussi juste, ou plus, que l’être humain dans les mêmes conditions ?
Drones armés et « guerre juste »
Les doctrines de la guerre juste recouvrent l’ensemble de règles de conduite morale définissant les conditions pour lesquelles la guerre devient moralement acceptable. En particulier, l’œuvre de Michael Walzer (Guerres justes et injustes, 1999) aboutit à séparer les règles de différentes phases du conflit : le Jus ad Bellum (causes de la guerre), le Jus in Bello (comportements durant le conflit), et le Jus post Bellum (phase terminale et accords de paix).
Ces travaux et ceux qui ont suivis nous indiquent qu’à partir du moment où l’autorité est légitime et la guerre engagée en dernier ressort pour de rétablir la Paix et le Droit, le caractère « juste » du recours à la force réside dans le croisement des probabilités de succès par rapport aux dommages imposés avec la proportionnalité des moyens employés, notamment marquée par la volonté de préservation des populations civiles. Cette dernière idée se retrouve également dans les principes de distinction, de proportionnalité et de précaution dans le recours à la force qui sont au cœur du droit international humanitaire.
L’argument essentiel avancé par certains en faveur de l’utilisation de drones armés réside dans l’idée qu’ils permettent une meilleure sécurité du combattant et diminuent le nombre de victimes collatérales. Cependant, ces deux critères sont actuellement loin d’être vérifiés. Bien qu’il permette sur le moment de fournir un appui à moindre coût et dans des délais plus courts que l’avion, le drone et son armement sont souvent pointés du doigt du fait des dommages collatéraux qu’ils provoquent. Les données manquent à ce sujet et sont largement débattues. La forte intégration de ces technologies dans les forces ne facilite pas la lecture des faits : à titre d’exemple, les États-Unis ne distinguent plus les bombardements effectués par des drones ou des avions dans leurs communiqués.
Du drone armé au « chasseur-tueur »
Il faut distinguer la question générale de l’emploi des drones armés de la question particulière des usages que l’on peut faire de cet outil. Les critiques du drone armé, par exemple celles de l’ONG Amnesty International au sujet du Pakistan, mettent en avant des interrogations sur le respect du droit national et en particulier sur l’absence de procès.
Il en ressort une certaine opacité sur l’utilisation des drones en mission, ce qui complexifie les débats éthiques et politiques. Indépendamment du manque de précision, le drone armé permettrait à l’État de sortir du paradigme de la guerre en réduisant la distinction entre combattant et non-combattant. D’aucuns évoquent enfin la technologie du drone : par son investissement en recherche et développement qu’il nécessite, il participe à creuser l’écart déjà existant entre les grandes puissances et les acteurs défavorisés.
La résolution 2051 du 23 avril 2015 prise par le Conseil de l’Europe s’oppose à l’utilisation des drones pour des exécutions ciblées. Dans un sens similaire, le Parlement européen a adopté une résolution le 27 février 2014 sur l’utilisation de drones armés.
À l’heure actuelle, la France se focalise sur l’utilisation combinée de l’avion Rafale et du drone Neuron à l’horizon 2025. Il n’est pas encore question de sortir l’humain de la boucle pour laisser la place à des vecteurs autonomes qui auraient la capacité de sélectionner et traiter leurs objectifs sans aucune intervention humaine. Plus qu’un débat éthique, c’est un véritable débat politique qui doit s’emparer de la question du drone armé.
Ludovic Fabre, Maître de conférences en sciences cognitives Centre de Recherche de l’Armée de l’Air (CReA) , Centre de Recherche de l’Armée de l’Air (CReA) et Yves Auffret, Doctorant en Science Politique (Rennes 1), Officier enseignant-chercheur à l’Ecole de l’air , Centre de Recherche de l’Armée de l’Air (CReA)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.