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Viggo Mortensen : « J’ai grandi avec le western »

Star internationale, l’acteur réalisateur est venu aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer présenter son film « Jusqu’au bout du monde », un beau western romantique avec Vicky Krieps. « Je trouvais que c’était intéressant de placer l’histoire d’une femme libre, indépendante, dans l’ouest des États-Unis au XIXᵉ siècle, où la société était un peu sauvage, dominée par des hommes », confie Viggo Mortensen.

Vicky Krieps joue la douce Vivienne, une femme forte et indépendante, et Viggo Mortensen incarne Olsen, un ancien militaire danois. « Vicky est capable de transmettre beaucoup dans les silences, c’était génial de l’avoir », confie l’acteur-réalisateur.

« Je n’avais jamais vu ça, c’est beau ici », s’exclamait Viggo Mortensen, depuis le Manoir du Lac à Gérardmer, profitant d’une superbe vue sur le lac et la forêt vosgienne. Un peu plus tard, l’apparition de l’acteur réalisateur déclenchait une standing ovation aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où les spectateurs enchantés venaient de découvrir en avant-première son film « Jusqu’au bout du monde » (sortie le 1er mai). Un joli coup pour la cité vosgienne et les organisateurs de ces Rencontres qui avaient concocté la belle surprise, la venue de cette star de renommée internationale, notamment depuis son incarnation d’Aragorn dans la saga du « Seigneur des Anneaux ».

Vu également dans quatre films de David Cronenberg, dans « Captain Fantastic », « La Route », « Green Book »… Viggo Mortensen est passé à la réalisation avec « Falling ». « Jusqu’au bout du monde », son second film en tant que réalisateur, est dédié à sa mère ; citant pour références les grands maîtres du genre, Howard Hawks et John Ford, il a tourné un beau western à l’ancienne dans la forme. Mais un western romantique, avec Vicky Krieps dans le rôle de la douce Vivienne, une femme forte et indépendante, que l’on découvre mourante au début du film, une larme coulant sur son visage.

C’est sur le port de San Francisco que Vivienne, jeune fleuriste québécoise, a rencontré Olsen, un ancien militaire danois joué par Viggo Mortensen. Ces deux-là décident de partir ensemble jusqu’au bout du monde, jusqu’à une maison isolée dans le Nevada, près d’une petite ville en construction dirigée par un maire corrompu, un homme d’affaires influent, un cow-boy psychopathe… Lui travaille comme charpentier et elle au saloon, quand elle ne fait pas pousser des fleurs au milieu du désert. Mais leur début de vie commune heureuse est interrompue lorsqu’Olsen décide de s’engager dans l’armée, et de prendre sa part à la Guerre de Sécession, laissant Vivienne seule dans ce bout du monde.

Si Jeanne d’Arc est évoquée dans son film, ce n’est pas si loin de Domrémy-la-Pucelle, à Gérardmer, que Viggo Mortensen a accordé une conférence de presse, répondant d’une voix douce et en français.

« Je voulais être fidèle à la vraie histoire des Etats-Unis »

Il y a beaucoup de nostalgie dans votre film, est-ce que vous aviez la nostalgie du western ?

Viggo Mortensen : Je ne sais pas si c’est de la nostalgie, mais c’est vrai que j’ai grandi comme beaucoup de garçons de ma génération avec le western, à la télé, au cinéma, c’était la fin de l’âge d’or du western dans mon enfance. J’aime le genre en général même si je sais que la plupart des westerns ne sont pas très originaux ni bien conçus, c’est la même chose dans n’importe quel genre. J’ai appris à monter à cheval quand j’avais quatre ans, et c’est à cet âge que ma mère m’a amené au cinéma, j’ai vu des westerns, des autres films aussi. Je trouvais que c’était intéressant de placer l’histoire d’une femme libre, indépendante, un peu têtue, dans un moment et un endroit, l’Ouest des Etats-Unis dans le XIXème siècle, où la société était un peu sauvage, hors-la-loi, dominée par des hommes, le contraste était intéressant.

Un Danois et une Québécoise, Olsen et Vivienne, vos deux personnages principaux, sont des migrants au Far West…

Pendant les premiers cinquante ans de l’histoire du cinéma, on a fait plus de 7000 westerns et c’est toujours un peu la même histoire. C’est une mythologie, l’imaginaire des Etats-Unis, la croissance du pays, l’ouverture de la frontière, mais ce n’est pas souvent qu’on voit des personnages principaux qui sont des étrangers, qui ne sont pas des anglo-saxons, je voulais montrer la vérité, être fidèle à la vraie histoire des Etats-Unis, c’était comme ça, c’était un mélange de gens, d’accents, de nationalités, de races…

Tous les deux sont à la recherche d’un paradis ?

Oui, ça commence comme ça, c’est un paradis pour eux, c’est l’idée, ils sont contents ensemble. C’est l’histoire d’une femme et c’est aussi une histoire d’amour entre deux personnes un peu différentes, indépendantes, têtues les deux, c’est l’histoire d’une relation de confiance. Le pardon à la fin est plus important que la vengeance, que la violence, c’est différent de ce qu’on voit dans un western classique. Je voulais que la façon de faire le film, de voir ce qui se passe soit de la tradition du western classique, l’image est simple, élégante, on voit les personnages dans les paysages, la musique est d’époque, toute l’équipe a fait un grand effort pour que tout ce qu’on voit soit correct dans un cadre classique.

« J’ai un grand respect pour le spectateur »

Viggo Mortensen à Gérardmer : « L’image qui m’est venue, c’est une petite fille qui jouait seule dans la forêt, comme ce que ma mère a connu dans son enfance ».

Jeanne d’Arc est une personnalité importante pour Vivienne, c’est une figure exceptionnelle dans un western…

Dans la scène entre elle et sa mère, sa mère lui lit un livre sur Jeanne d’Arc en 1838, c’est un livre que j’ai trouvé en France, publié en 1817 ; ça me semblait logique pour une famille francophone, à la frontière canadienne dans l’est des Etats-Unis, c’était normal pour l’imagination de cette fille spéciale qui grandit avec Jeanne d’Arc comme idole, elle est différente.

Vivienne est d’ailleurs une guerrière à sa façon…

Oui, libre, indépendante, têtue. L’image qui m’est venue, c’est une petite fille qui jouait seule dans la forêt, comme ce que ma mère a connu dans son enfance dans le nord-est des Etats-Unis. J’ai commencé avec ça, je ne savais pas où l’histoire allait se terminer, j’ai décidé que c’était au XIXème siècle, et qu’une fois adulte cette fille allait à l’Ouest des Etats-Unis, je voulais montrer les effets des choses avant les causes, c’est pour ça que je commence avec Vivienne à la fin de sa vie.

La narration du film est spécifique puisque vos deux personnages disparaissent du récit chacun leur tour ?

J’ai un grand respect pour le spectateur, je pense que c’est intéressant d’essayer dans les quinze ou vingt premières minutes d’un film de faire quelque chose pour essayer d’attirer l’intérêt des spectateurs. Je n’aime pas souligner tout, raconter tout, j’ai fait le film pour moi, pour un spectateur à vrai dire. En tant que spectateur, j’aime aller au cinéma, et si j’aime ce que je vois au début, j’aime essayer de participer ; à la fin, si c’est un bon film c’est mon film, c’est mon interprétation de ce que j’ai vu, mon ressenti à la fin de la séance, et c’est ça que je veux faire pour les autres. Je suis très conscient du fait que quand vous voyez le film, c’est votre film, ce n’est pas mon film. J’ai fait un film pour moi et j’espère que les autres vont s’y intéresser un peu, mais ils auront des idées différentes des miennes.

En tant que spectateur, vous condamnez le personnage que vous jouez d’être parti à la guerre ?

Il avait ses raisons, comme dit la mère de la petite Vivienne, les hommes se battent et ont leurs raisons. Ce sont des raisons morales, il pense qu’il doit le faire, elle n’est pas d’accord mais c’est une relation de confiance, il ne ment pas. Quand il revient de la guerre, il pense que c’était une erreur, c’est à lui d’accepter d’évoluer, d’accepter la nouvelle situation, c’est important de pardonner, de se pardonner et de pardonner à l’autre.

Comment expliquez-vous ce besoin des hommes de toujours partir à la guerre ?

Ce sont des hommes !

« Le cinéma, c’est un univers total des arts »

« C’est vrai que j’ai grandi comme beaucoup de garçons de ma génération avec le western », confie Viggo Mortensen.

Pourquoi avoir choisi Vicky Krieps pour incarner Vivienne ?

Quand j’ai fini l’écriture, j’ai pensé à elle immédiatement, je ne la connaissais pas mais j’avais vu son travail, je pensais que je pouvais croire qu’elle venait du XIXème siècle, elle avait un talent, une présence devant la caméra, j’avais vu ça dans ses films, elle est capable de transmettre beaucoup dans les silences, par exemple, de transmettre à travers sa peau ce qu’elle sent ou pense. C’est une qualité que j’avais vu au début de ma carrière comme acteur dans le travail de Meryl Streep. Je pensais que si elle pouvait faire ce personnage, nous avions l’opportunité de créer un beau film avec une femme libre au centre de l’histoire, c’était génial de l’avoir.

Vous n’aviez pas écrit le rôle d’Olsen pour vous, à qui pensiez-vous le confier, et qu’est-ce qui vous a décidé à le jouer ?

Je préfère ne pas nommer, ce n’est pas important, le film c’est le film et c’est tout. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé au début, mais peu avant d’aller au Mexique pour la préparation du tournage, c’était trop tard pour perdre le personnage principal. On a essayé de trouver un autre acteur, du même âge, même type, acceptable par les producteurs, j’ai essayé avec trois acteurs, mais ils n’étaient simplement pas disponibles, même s’ils aimaient l’histoire et l’idée de jouer avec Vicky. J’ai pensé que si on ne le faisait pas maintenant, on ne le ferait jamais, d’ailleurs j’avais une équipe, des acteurs qui étaient disponibles, on avait commencé à préparer les décors, on devait faire le film. J’ai dit aux producteurs que je pouvais le faire mais que je devais changer certaines choses du personnage, plus vieux que ce que j’avais imaginé, j’ai téléphoné à Vicky et elle m’a dit quelle pensait que c’était une bonne idée.

C’est parce que vous vouliez tout maîtriser du film que vous êtes à la fois scénariste, réalisateur, acteur, musicien, coproducteur ?

Je n’arrête pas de travailler mais c’est toujours un travail collectif, c’est ça que j’aime dans le cinéma. Je suis réalisateur mais j’ai écouté mon équipe, les autres acteurs, on a raconté cette histoire ensemble. Le scénario c’est la seule chose que j’ai fait seul, mais j’ai partagé la première version avec deux amis qui sont aussi scénarises et réalisateurs, pour voir s’ils avaient des idées ou des suggestions, c’est toujours une collaboration, c’est ça que j’aime dans le cinéma, c’est un univers total des arts.

Votre premier film en tant que cinéaste est « Falling » sorti en 2020, pourquoi êtes-vous venu tardivement à la réalisation ?

Je voulais le faire avant, j’avais un scénario, une histoire scandinave, c’était il y a trente-cinq ans, j’avais trouvé une partie de l’argent nécessaire pour tourner, mais pas suffisamment, et je l’ai laissé parce que j’ai commencé à travailler plus en tant qu’acteur. Mais c’est peut-être bon que j’ai dû attendre, parce qu’à la fin j’ai appris beaucoup pendant des décennies, avec de grands réalisateurs ; à ce moment-là, je n’avais pas encore travaillé avec Jane Campion, David Cronenberg, Peter Jackson… j’ai beaucoup appris pendant ce temps, c’est peut-être mieux.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Jusqu’au bout du monde », un film de Viggo Mortensen avec Vicky Krieps (sortie le 1er mai).

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