L’actrice-réalisatrice a voulu « porter un regard féminin » sur les mecs avec « Hommes au bord de la crise de nerfs », une comédie de groupe tendre et bienveillante.
Thierry Lhermitte, Ramzy Bedia, François-Xavier Demaison, Laurent Stocker, Pascal Demolon, Michaël Gregorio, et le jeune Max Baissette de Malglaive… C’est « une brochette incroyable » qu’a dirigé Audrey Dana dans son film « Hommes au bord de la crise de nerfs » (sortie le 25 mai). « Le point commun de tous ces acteurs, c’est qu’ils viennent du théâtre, c’est vraiment des acteurs de troupe, de collectif, et c’est ça dont j’avais besoin. Il n’y avait pas de premier rôle mais huit premiers rôles, il n’y a pas un rôle plus important qu’un autre, il fallait vraiment trouver le casting de personnes à l’ego bien placé », confiait l’actrice-réalisatrice aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer, où elle présentait son film en avant-première.
Sept acteurs au générique, donc, et une femme : Marina Hands, qui incarne Oméga, sorte de chamane qui parle aux animaux, une coach qui dirige des stages de « développement personnel » dans le Vercors. Les stagiaires, que des mecs mal en point, sept hommes de 17 à 70 ans, qui n’ont qu’un point commun : ils vont mal. Il y a là un célibataire angoissé, un veuf grincheux, un patron névrosé, un jeune papa débordé, un écrivain qui a tout foiré, un ex-scout gay qui voudrait être père, un ado complexé et harcelé… Sept stagiaires lâchés en pleine nature, loin de tout pendant quatre jours, dans une zone blanche, pas de téléphone, pas d’eau, pas d’électricité…
« J’avais envie de parler de vous, les hommes », disait Audrey Dana à Gérardmer. Après avoir évoqué les tourments de ces dames et demoiselles avec « Sous les jupes des filles », ceux du genre et du sexe avec « Si j’étais un homme », c’est aux malheureux mâles qu’elle consacre son troisième film. « De mettre toute cette bande d’hommes avec une femme, au milieu de la nature, c’était une manière de contrebalancer un masculin un peu trop en forme », assure la réalisatrice, qui assume la référence évidente au film de Pedro Almodovar : « J’avais envie de détourner son titre, de manière à ce qu’à partir du moment où on dit Hommes au bord de la crise de nerfs, on entende Femmes au bord de la crise de nerfs ; et hop, je brouille les pistes, c’était ce que j’avais vraiment envie de faire ».
« Nous aussi on est sensibles »
« On avait envie, avec ma co-auteur Claire Barré, de faire un film pour déclarer notre amour, pour rappeler qu’il y a des types chouettes, qu’on les aime, et aussi une envie de montrer la réalité », précise Audrey Dana, « On n’est que 3% de femmes réalisatrices dans le monde, donc 97% des films qu’on voit sont réalisés par des hommes, donc leur regard. Là, on avait envie de porter un regard féminin sur les hommes, et les montrer un peu plus comme on les a à la maison, ils ressemblent un peu plus à nos frères, nos pères, nos mecs. Je n’ai pas la prétention de bien connaître les hommes, j’ai fait 150 interviews anonymes pour entendre des hommes sur des questions très intimes ; mais à la question ‘’Qu’attendez-vous d’un film qui parle des hommes ? », ils ont quasiment tous répondu la même chose : ‘’Qu’il montre que nous aussi on est fragiles, que nous aussi on a peur, que nous aussi on est sensibles’’. Et c’est vrai ».
En Lorraine, Audrey Dana était accompagnée de deux acteurs originaires de la Région, Laurent Stocker et Michaël Gregorio. Le chanteur et imitateur incarne un homme doux en apparence, capable de fulgurantes colères. « C’est une bête de scène, Michaël, il y a une puissance énorme en lui », dit la réalisatrice, « Malgré sa douceur apparente, je savais qu’il n’y aurait aucun problème pour appuyer sur un bouton et que ça explose, et c’est ce qui s’est passé ». Laurent Stocker joue quant à lui un conducteur de métro qui a besoin d’air : « C’est quelqu’un qui passe sa vie sous terre, j’ai discuté avec des chauffeurs de métro qui me disaient que beaucoup tombent en dépression, effectivement. J’ai construit le personnage comme ça, c’est aussi quelqu’un qui a quelques petits problèmes de communication », précise le comédien.
« Depuis quelques années, on me propose souvent des rôles de notables, de politiques, là il y avait ce personnage qui est complètement différent, j’ai beaucoup aimé me plonger dans un univers autiste, et donner la parole à ceux qui ne l’ont pas », ajoute Laurent Stocker, « On donne la parole souvent aux gens qui ont pignon sur rue, mais pouvoir donner la parole à des gens qui sont un peu différents, qui pensent différemment, je suis toujours très content de jouer ces rôles-là, ils ne vont pas s’exprimer facilement, donc il faut que les acteurs, que d’autres, les représentent ».
Plutôt dans la douceur que la moquerie
Si elle s’est inspirée de vrais protocoles chamaniques pour les exercices pratiqués par ses stagiaires, Audrey Dana a aussi imposé un tournage écolo à toute son équipe. « Le cinéma est une industrie polluante, mais je travaille avec Ecoprod, qui a trouvé toutes les manières de faire du cinéma plus propre. Il faut vraiment changer les choses, on peut agir partout », assure-t-elle. « Audrey tient beaucoup à ce qu’on fasse très attention à l’environnement, et c’est bien normal, on avait des toilettes sèches, on a mangé des graines », sourit Laurent Stocker.
En leur faisant prendre un gros bol d’oxygène, Audrey Dana redonne de l’air à ses personnages. Son film est évidemment une comédie, une comédie de groupe tendre et bienveillante ; elle ne cache rien des défauts de tous ces « Hommes au bord de la crise de nerfs », mais on est plutôt dans la douceur que la moquerie, la tendresse plutôt que la caricature, et même le féminisme tout en ne parlant que de mecs.
Patrick TARDIT
« Hommes au bord de la crise de nerfs », un film de Audrey Dana, avec Marina Hands, Thierry Lhermitte, Ramzy Bedia, François-Xavier Demaison, Laurent Stocker, Pascal Demolon, Michaël Gregorio, et Max Baissette de Malglaive (sortie le 25 mai).