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Louis Garrel : « L’écologie, je n’y connais rien »

L’acteur-réalisateur a tourné une fable fantaisiste et écolo, « La Croisade », où avec son épouse Laetitia Casta ils jouent un couple. « Un film comique parce qu’optimiste », dit-il.

« Le film est un peu gigogne, il y a une comédie de boulevard, un mini film d’aventures, une petite crise conjugale, un conte moral, une fable écologique, et un fond d’optimisme », estime Louis Garrel.

Elle est où ta trottinette, s’inquiète le père ? « Je l’ai vendue », répond le fiston, qui a aussi bradé d’autres objets inutilisés dans la maison, des trucs qui ne servaient à rien, la robe Dior de maman, les montres de papa, des bijoux, des livres, des bouteilles de vin, des chaussures… Tête désespérée des parents ! C’est avec cette délicieuse première scène que débute « La Croisade » (sortie le 22 décembre), film de Louis Garrel, dans lequel il joue le père, Abel, et son épouse Laetitia Casta, la mère, Marianne.

Comme dans leur film précédent, « L’homme fidèle », le jeune Joseph Engel incarne leur fils, celui qui « vend des choses » pour une bonne cause : « sauver la planète ». Le gamin fait partie d’un réseau de mini Greta Thunberg, en fait une véritable organisation internationale, des enfants qui ont choisi de ne pas rester inactifs en ces mauvais temps de crise climatique. S’ils vendent des choses, c’est pour financer un projet secret, une mission écologique : remplacer le désert par de l’eau et créer une mer au Sahara. Si le père est un peu circonspect, la mère est plutôt sensible à l’utopique projet de cette jeunesse décidée, résolue, qui fait la leçon aux parents.

Seule fiction parmi une série de documentaires sélectionnés par le Festival de Cannes, dans la section éphémère « Le cinéma pour le climat », « La Croisade » est à l’origine une idée de Jean-Claude Carrière, co-auteur du scénario. Présenté également en clôture du Festival Cinémaplanète à Metz, organisé par l’Institut Européen d’Ecologie, ce film est une fable écologique, sympathique, fantaisiste, à peine de l’anticipation dans ce monde où les adultes embourgeoisés et plutôt passifs sont dépassés par leur progéniture agissante. « Je pense que le film est un peu gigogne, il y a une comédie de boulevard, un mini film d’aventures, une petite crise conjugale, l’idée qu’une femme se met à plus admirer son enfant que le père de son enfant, il y a un conte moral, une fable écologique, et un fond d’optimisme », estime Louis Garrel.

Interviews au Rosa Bonheur, bar-péniche sur la Seine, accosté près des Invalides à Paris.

Louis Garrel : « Je n’ai pas de leçon à faire aux gens »

Est-ce que c’est l’influence écologique de Jean-Claude Carrière qui vous a embarqué dans ce film ?

Louis Garrel : Oui. On était en tournée de « L’homme fidèle », le précédent film que nous avions fait ensemble, et il me dit qu’il a eu une bonne idée en voyage et qu’il m’envoie la première scène du film. Je la lis, je la trouve super bien écrite, super drôle, mais quand je vois des enfants qui se passionnent pour le changement climatique je me dis que ça ne marche pas, je n’y crois pas, je ne trouve pas ça juste. Il continue dans son coin à écrire, c’était le seul truc qui l’intéressait avant qu’il ne meure, et quelques mois après arrive l’histoire de la jeune suédoise Greta Thunberg qui fait la grève de la faim. J’appelle Jean-Claude un peu en flip, et après Greta ça va très vite plein de gosses dans le monde font des grèves, on a donc développé le sujet. Je ne voulais pas faire un truc militant, je ne savais pas comment l’aborder. En fait, l’écriture du personnage que je devais interpréter est vraiment à la hauteur de ma bêtise sur le sujet écologique, il est comme tout le monde, il est à l’ouest.

A quelle hauteur votre bêtise sur le sujet ?

Comme tout le monde. Intelligent quand on écoute des scientifiques qui parlent, on est plus renseigné sur cette histoire de changement climatique, mais je n’ai pas de leçon à faire aux gens, je ne suis pas là en train de dire le bien, le mal, je n’y connais rien, je suis nul. Je suis comme tout le monde face à un océan d’impuissance dans lequel on se retrouve lorsque le journal télévisé nous dit que c’est la merde noire, qu’il y a des méga-incendies, la fonte des neiges, que l’écosystème est déréglé… Ou on n’y pense pas parce que c’est trop violent, ou quand on y pense on a envie d’agir mais on ne sait pas quoi faire. Mais ce que le film raconte, c’est qu’une partie des jeunes gens de quatorze ans, qui eux sont débarrassés des contingences matérielles dans lesquelles on se trouve, qui ont le sens du collectif et encore un désir profond de changer, et parce qu’ils sont menacés physiquement, les ressources sont développées, l’imagination est développée, la volonté est décuplée pour s’en sortir.

« Ce qui est fou c’est que le film qui, il y a trois ans, était un film de science-fiction, très rapidement il devient quasiment un film d’époque », constate Louis Garrel.

Avez-vous l’impression que cette jeune génération se sent plus concernée que les générations précédentes, y compris la vôtre ?

Oui, les découvertes scientifiques, les analyses scientifiques, les courbes, commencent à avoir fait le tour du monde. Le monde est quand même peuplé de gens logiques, intelligents. Il y avait le président des Etats-Unis qui était un négationniste du climat, il y a encore des gens qui disent que c’est faux, mais la prise de conscience est devenue collective. Maintenant on arrive dans une situation qui était le sujet d’un livre de Jean-Claude Carrière, qui aurait dû s’appeler « Crise contre crise », crise économique contre crise climatique. Le film est optimiste, comique, comique parce qu’optimiste, l’espèce humaine a une pulsion de vie très forte. Mais face à ce problème écologique, on ne peut pas développer autant d’imagination que les gens concernés, qui sont pour le moment les enfants, et il va falloir déléguer le pouvoir à des gens qui ne seront plus des enfants dans six ans. Le happening de Greta Thunberg a été tellement fort, tellement spectaculaire, que des gens ont pensé qu’elle était manipulée, que c’était une marionnette ; mais non, c’est à la fois elle, son talent, sa malice, et aussi un sursaut biologique qui fait qu’il y a une génération spontanée qui ouvre les yeux.

La solution proposée par les jeunes dans le film, une mer en terre africaine, est-elle imaginaire ?

Ce ne sont plus des enfants qui manifestent, ce sont des enfants qui agissent, pas en destruction, ils ont un projet pharaonique. Celui-là est viable, je suis allé voir des géographes, et ce projet de mer intérieure a déjà existé, notamment en Algérie, pour refroidir le climat et favoriser les cultures, c’était pas pour des enjeux climatiques mais pour des enjeux commerciaux. Jean-Claude était sûr qu’on utiliserait cette solution, il va falloir la stocker cette eau qui est en train de recouvrir des continents.

Cette séquence sur l’alerte aux particules à Paris renvoie à ce qu’on vit depuis deux ans avec le covid …

Ce qui est fou c’est que le film qui, il y a trois ans, était un film de science-fiction, très rapidement il devient quasiment un film d’époque. On a dû interrompre le tournage pendant le confinement, mais je me suis filmé tout seul dans les rues, pour coller ces images à la scène d’alerte aux particules, ça donnait une espèce de synchronicité objective étrange.

La fabrication de ce film vous a-t-elle incité à modifier vos comportements ?

Ce serait faux que de dire oui. Ne serait-ce que de trier c’est parfois compliqué, comme citoyen il me semble qu’il faudrait que ce soit draconien, que je n’ai plus le choix. Tous ces petits changements ont l’air infimes par rapport au défi que les scientifiques annoncent, il faut le faire de manière beaucoup plus massive. Le film aime rêver, le projet des enfants est pharaonique, il a l’air à la hauteur du péril climatique. Les petites gouttes d’eau ne sont pas suffisantes, il faudrait que ce soit accompagné d’une impulsion beaucoup plus forte, mais je me dis qu’il ne faut pas désespérer.

Vous pensez qu’avec le ton léger de la comédie, il est finalement plus efficace que les documentaires militants au ton parfois un peu plombant ?

Je crois que c’est une forme cinématographique plus plaisante, plus agréable à regarder, que le bien désigné dès le début, où on est un peu acculé. Il me semble qu’il y a dans ce film une plus grande liberté dans l’identification. Le film raconte aussi ce moment de l’enfance qu’on a tous eu, la conviction que le monde était mauvais, et qu’on allait faire un truc tous ensemble pour le changer, c’est cette idée qui perdure dans le film.

L’écologie serait la nouvelle croisade des temps modernes ?

Oui. La première croisade était religieuse, là c’est une croisade de survie, c’est pour ça que j’ai emprunté ce titre.

Laetitia Casta : « La nature fait partie de moi »

« Je ne pensais pas faire un film avec Louis, ce n’était pas dans mon karma », confie Laetitia Casta, « Mais le plaisir d’être ensemble, d’aimer être ensemble, de fabriquer ensemble, c’est rare au cinéma ».

Vous jouez une mère plus réceptive, plus compréhensive avec les enfants, c’est un réflexe maternel ?

Laetitia Casta : Non, j’ai rencontré ça auprès d’hommes qui se sont retrouvés dans la situation de devoir élever tout seul leurs enfants, ce n’est pas du tout plus propre à une femme. Mais j’ai envie de vous dire que cette sensibilité-là est féminine, que ce soit pour un homme ou pour une femme, c’est-à-dire l’instinct de survie, l’écoute, la sensibilité, le respect de l’autre, l’empathie…

Avant ce film, vous aviez déjà une sensibilité à l’écologie ?

Je ne suis pas une militante, mais mon grand-père était garde-forestier et je le voyais pleurer quand les forêts étaient dévastées par le feu en Corse, et c’est lui qui replantait des forêts entières. J’ai eu la chance de vivre en Normandie, au milieu de la forêt, de voir les saisons défiler, les animaux, connaître le nom des plantes, c’est quelque chose qui fait partie de mon enfance, c’est l’endroit où je me ressource. Quand je suis en contact avec la nature, je me sens bien, j’ai cette notion-là en moi, c’est quelque chose de naturel, ce n’est pas quelque chose que j’ai construit, ça fait partie de moi.

Pensez-vous que le film puisse aider à modifier les comportements ?

Il enlève la culpabilité déjà, et permet de faire passer un sujet profond avec un peu d’auto-dérision, on peut tous se reconnaître en Abel, en Marianne, dans les enfants. Même si c’est une petite goutte dans la mer, faire passer ce message joyeusement c’est toujours intéressant. Dans les gestes, on fait ce qu’on peut, mais les enfants sont élevés aujourd’hui avec cette conscience, ça fait partie de leur quotidien, les enfants m’en parlent, on ne peut pas faire semblant.

Que pensez-vous de ces maisons de couture qui ont décidé de ne plus vendre de fourrure animale ?

Je trouve ça bien, pour moi la mode ça doit être intelligent aussi, que ça ne soit pas qu’une chose superficielle, qu’on arrive à mener les deux en même temps c’est pas mal, c’est de la sensibilité et de la création à la fois. Par exemple, maintenant si une marque ne fait pas d’écologie, elle est mal vue, c’est un peu démodé ; là, je travaille actuellement avec une marque qui ramasse les déchets dans la mer pour en faire des vêtements, ça bouge.

Mais c’est quand même souvent l’économie qui décide…

Malheureusement, c’est le capitalisme qui tue la jeunesse, qui leur renvoie beaucoup d’angoisse sur leur avenir, alors qu’on devrait leur tenir un autre discours, celui de se trouver eux, d’aller dans leurs désirs, la joie. Malheureusement c’est faire de l’argent, de l’argent, de l’argent, tout est gouverné par ça. D’ailleurs c’est le discours de Greta Thunberg, c’est un peu triste parce que c’est très effrayant, c’est comme si on les mutait à devenir une sorte de machine à réussir absolument, c’est la réussite qui compte et plus l’individu.

Vous jouiez déjà un couple avec votre mari Louis dans son film précédent, « L’homme fidèle », c’est comment de tourner en famille ?

Je ne pensais pas faire un film avec Louis, ce n’était pas dans mon karma. J’ai fait beaucoup de choses toute seule, je suis arrivée dans le monde du cinéma mais ma famille n’a rien à voir avec ça, et j’ai un peu appris sur le terrain. D’un coup, avoir quelqu’un de mon intimité qui me propose un film, j’ai eu très peur, c’était bizarre ce mélange de réel et de cinéma, est-ce que cela n’allait pas venir abimer quelque chose. Imaginez que le film ne marche pas, que ça ne se passe pas bien, ça peut être très violent ; et en fait, je me suis rendue compte que de partager ça aussi, le côté créatif, ne pas séparer les mondes, c’est une manière de se découvrir autrement et qu’un objet créé ensemble c’est très fort. Le plaisir d’être ensemble, d’aimer être ensemble, de fabriquer ensemble, c’est rare au cinéma. Louis a l’habitude, moi je ne l’avais pas, il m’a appris quelque chose, et ce deuxième film était encore plus joyeux, encore plus dans la détente, la confiance, ça me fait penser aux films de John Cassavetes et Gena Rowlands, fabriqués chez eux. Et je n’ai pas retrouvé ça sur les autres tournages après.

Au début du film, les enfants vendent des choses appartenant à leurs parents, vous avez un attachement aux objets ?

Non, je ne suis pas attachée tellement aux choses matérielles, je suis peut-être attachée plus à l’histoire d’un objet, ce que ça me raconte personnellement, je n’ai pas besoin de posséder absolument.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« La Croisade », un film de Louis Garrel, avec Laetitia Casta (sortie le 22 décembre).

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