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« Le facteur Cheval m’a profondément retourné»

« C’était une grande aventure humaine, ce personnage m’a bouleversé », confie l’acteur Jacques Gamblin, qui incarne l’artiste naïf dans le film de Nils Tavernier.

Le film de Nils Tavernier raconte l'histoire extraordinaire d'un homme qui a bâti seul un palais, le facteur Cheval, formidablement incarné par Jacques Gamblin.
Le film de Nils Tavernier raconte l’histoire extraordinaire d’un homme qui a bâti seul un palais, le facteur Cheval, formidablement incarné par Jacques Gamblin.

« Pour arriver au bout, il faut être têtu ». Cette phrase est gravée dans le ciment du « palais du fou », l’étonnant « Palais idéal » imaginé, conçu, bâti, pierre par pierre, par le facteur Cheval, dans la campagne de la Drôme. Têtu, il l’était assurément, Joseph Ferdinand Cheval, facteur de métier, et artiste de vocation, qui a consacré 33 ans (de 1879 à 1912), 93.000 heures de travail, à l’élaboration et la fabrication de ce palais (classé Monument Historique par André Malraux en 1969), créé pour sa petite princesse, sa fille Alice.

« Son palais, c’est un truc dingue, l’architecture est folle, il y avait l’âme d’un enfant derrière, je trouvais ça très romantique », dit le réalisateur Nils Tavernier, qui a consacré un film à ce « héros de cinéma », « L’incroyable histoire du facteur Cheval » (sortie le 16 janvier). Pour incarner ce « taiseux » qui se consacre entièrement à sa grande œuvre, Nils Tavernier a tout de suite pensé à un acteur « très terrien », Jacques Gamblin, qu’il avait dirigé dans son film précédent, « De toutes nos forces ».

« Il fallait quelqu’un qui puisse faire en sorte que le public tombe en empathie, sans être dans la séduction, et en gardant le mystère ; il fallait un acteur qui puisse jouer des choses joyeuses sans entamer la profondeur, il me fallait aussi un acteur qui soit capable de dire huit phrases sans mots », précise le réalisateur.

« Encouragé par le vent, les arbres, les oiseaux »

Gamblin a donc enfilé l’uniforme du facteur, marchant des dizaines de kilomètres pour effectuer ses longues tournées, et s’est fait le masque de cet homme effrayé par « le monde des gens », emprunté, maladroit, jusqu’avec son propre fils, et si peu expansif avec sa seconde épouse Philomène, jouée par Laetitia Casta (lire par ailleurs l’interview de l’actrice), qui pourtant soutient son homme envers et contre tout, et tous : « Il est comme il est, différent, une belle âme ».

Tout commence avec une pierre à la forme bizarre sur laquelle bute un jour le facteur. Ce sera la première de son futur édifice. Au fil de ses tournées, il en ramassera des tonnes d’autres, assemblées avec du ciment, du fil de fer, pour bâtir son palais unique au monde, inspiré d’images du temple d’Angkor, de cartes postales, de revues illustrées… « Encouragé par le vent, les arbres, les oiseaux », ce solitaire rêve en marchant, laisse voyager son imaginaire, puis façonne un formidable bestiaire, féerique, foisonnant, chef d’œuvre de l’art naïf.

A sa façon, Jacques Gamblin a donc apporté sa pierre à ce palais, puisqu’on voit beaucoup dans le film le travail de ses mains, qui façonnent la pierre, pétrissent la terre, poussent la brouette, manient les outils… « Pour que Jacques puisse travailler sur le palais, on a reconstruit des choses qu’on a collé au palais, on a détouré le palais à la palette graphique, et on a collé des arbres, des ciels », raconte Nils Tavernier, « On a reconstitué très peu de choses, on n’a pas reconstitué le palais, il est trop difficile à faire, en 3D ça n’aurait pas été possible ». Son film est certes d’un grand classicisme, mais il a le mérite d’évoquer l’histoire d’un homme, d’un artiste, hors du commun, formidablement incarné par Jacques Gamblin. Interview de l’acteur, réalisée lors de l’avant-première du film à Nancy, au Caméo et à l’UGC.

Jacques Gamblin : « J’ai eu l’impression de tout donner de moi-même »

« Ce personnage me touche toujours, et c’est pas mal de se sentir transformé, c’est rare », confie Jacques Gamblin.
« Ce personnage me touche toujours, et c’est pas mal de se sentir transformé, c’est rare », confie Jacques Gamblin.

Comment avez-vous travaillé pour vous glisser dans la peau de ce « drôle de bonhomme » ?

Jacques Gamblin : C’était une grande aventure humaine, jamais si grande aventure ne m’était arrivée, jusqu’au point où j’hésite à dire que je suis rentré dans la peau du personnage, parce qu’il m’est bien entré dans la peau aussi. Il y a l’aspect formel, bien sûr, la ressemblance, le vieillissement, les heures de maquillage, la moustache, tout ça… En fait, j’étais sur ce personnage depuis un moment déjà, entre le moment où Nils me l’a proposé et celui où le film s’est tourné, il s’est passé deux ans. Ce personnage, j’avais très envie de le jouer, mais il n’arrivait pas tout à fait encore, néanmoins il travaillait tout seul dans son coin, dans mon coin, dans un coin de ma peau, l’air de rien. C’est un personnage qui est quand même assez intrusif, il ne dit pas grand-chose mais il vous transperce de son silence et de sa quête, ça a été un gros investissement émotionnel, une plongée dans le silence de Cheval.

Le personnage du facteur Cheval vous a vraiment remué ?

Comme beaucoup de scènes sont très fortes, il y avait le Gamblin qui aux répétitions était très touché par les scènes, très ému, et ensuite le Cheval qui retenait toute cette émotion au moment du moteur et de l’action, ça a été un voyage incessant entre cette émotion naturelle que j’avais et cette retenue qu’il avait lui, et que j’avais aussi, au final. Plus les jours passaient, plus j’investissais ce personnage, et plus il m’a profondément retourné, c’est ça surtout qui m’a intéressé. Je n’ai pas toutes les réponses, comme on n’a pas toutes les réponses sur le pourquoi il a construit ce Palais Idéal, dans le film il le fait clairement comme un cadeau d’amour à sa fille ; c’est une des réponses et il y en a bien sûr d’autres. Je n’ai pas non plus tous les pourquoi ce personnage m’a si fort bouleversé, mais il semble qu’il ne bouleverse pas que moi, c’est ça qui est important, ce n’est pas d’être auto-bouleversé par son personnage mais qu’il soit en train, semble-t-il, de bouleverser pas mal de gens.

Qu’est-ce qui touche ainsi, en-dehors de l’histoire extraordinaire de la création de ce palais ?

Je pense que cette quête, ce qu’il fait, ce désir qu’il a tellement fort, qu’il nous pose la question de ce qu’on désire nous, dans notre vie, quelle est la liberté qu’on prend de faire les choses, contre vents et marées, contre le qu’en-dira-t-on, comment on assume sa différence, sa folie, ou sa fantaisie… Je crois que c’est ça qui, au fond du fond, m’a touché, et peu à peu, comme une vrille qui s’enfonce en moi, ce qui m’a permis, je crois, de donner le maximum à ce personnage. Oui, j’ai eu l’impression de tout donner de moi-même, au point sur une scène en particulier où je ne savais même plus jouer, tellement j’étais investi et que j’avais l’impression d’être aspiré par le personnage. Ce personnage me touche toujours, et c’est pas mal de se sentir transformé, c’est rare, même si je m’engage toujours beaucoup dans mes personnages dans les films auxquels j’ai eu la chance de participer. En plus d’être un doux-dingue, il a aussi construit ça sans imaginer que 170.000 visiteurs allaient visiter ce palais chaque année, et que tout le monde allait être surpris, étonné. C’est un être qui cherche, qui a le besoin, ce désir d’être unique, il a cette folle ambition au service d’une chose qui peut paraître gratuite pour d’autres, c’est une œuvre, l’oeuvre d’une vie, mais ça ne sert à rien.

«L’écologie, c’est quelque chose qui doit faire rêver »

Dans la préparation pour le rôle, vous vous êtes imprégné des documents, des archives, qui existent sur le facteur Cheval ?

Oui, des documents, des cahiers que Cheval a écrit, des quelques cartes postales, que j’aime beaucoup, elles m’ont beaucoup inspiré, il est un peu comme un piquet, sans un sourire, sans savoir très bien comment poser. Je me suis inspiré aussi de Pierre Constant, qui a restauré le palais pendant des dizaines d’années. On était bien d’accord avec Nils qu’il ait une innocence d’enfant qui surgit par instant, ce peu de paroles, j’avais même envie d’en enlever encore, parce que chez lui tout s’exprime autrement que par les mots, il s’exprime avec cette œuvre, et pour le reste c’est parfois maladroit. C’est un solitaire qui peu à peu, à pas de fourmi, se sociabilise grâce à l’amour.

En quoi ce personnage arrive-t-il au bon moment pour vous ?

Parce qu’il a fait appel à tellement d’intériorité, c’est un personnage qui demande du vécu, d’avoir vécu des choses, pour retenir ses émotions il faut les avoir vécues. Quand on est jeune acteur, on n’a pas vécu tout ça, ce rôle a plein de couleurs que je peux réunir et que j’ai certainement eues dans d’autres rôles disséminés. Par exemple, il y a aussi des moments où il est un tantinet burlesque et nous fait sourire, quand on arrive à faire ça plus le reste, qui est beaucoup plus dense et profond, je suis heureux. Au cinéma, on ne filme pas des gens qui racontent leur vie, on filme des acteurs qui jouent à jouer, j’aime bien qu’il y ait cette distance qui se sent à peine. Jouer avec peu de mots, c’est encore un autre travail, alors qu’en France on a un cinéma très écrit et très dialogué, parfois bavard. C’est un personnage qui reste une énigme, et pour donner du crédit à un mystère comme ça, c’est bien d’avoir un peu de bouteille.

Le 26 janvier, vous allez refaire une lecture du manifeste « Mon climat » au Centquatre à Paris, c’est important pour vous de participer à la sensibilisation aux questions environnementales ?

Je me demande si je ne vais pas le modifier un petit tout peu, puisque ce texte a été inventé il y a quelques années déjà, et l’atmosphère continue de se réchauffer allégrement. Je me sens engagé dans cette histoire, je viens de faire un voyage magnifique sur le bateau Tara, entre le Panama et New York, pour voir le travail de ces gens. Toutes ces aventures me touchent, il y a vraisemblablement un pas en avant qui n’est pas encore fait, je ne parle même pas des politiques dont je n’espère plus grand-chose, mais de la masse des gens qui ont envie d’un autre système, de pensée, de vie. L’écologie, ça doit tellement être une autre façon de penser, être non pas un idéal impossible à trouver, mais une autre façon de voir les rapports entre les gens ; on voit tellement l’écologie en termes de restriction et de tout ce qu’on va perdre, que tant qu’on en sera là, on n’en sera nulle part. L’écologie, c’est quelque chose qui doit faire rêver, à de nouveaux systèmes, de nouveaux matériaux, de nouvelles façons de vivre… c’est ça que je trouve intéressant. Or, la peur du nouveau est terrible, je ne la comprends pas toujours.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« L’incroyable histoire du facteur Cheval », un film de Nils Tavernier, avec Jacques Gamblin et Laetitia Casta (sortie le 16 janvier).

Le Facteur Cheval et les siens devant son incroyable Palais idéal, à la façon des cartes postales d'antan.
Le Facteur Cheval et les siens devant son incroyable Palais idéal, à la façon des cartes postales d’antan.
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