C’était il y a un an, jour pour jour, la cathédrale gothique de la capitale était ravagée par les flammes. Voici les images spectaculaires que nous avons publiées ce jour-là. Et ci-dessous l’entretien que nous accordait Patrick B. un spécialiste du bois.
Notre-Dame de Paris : « Prenons le temps de la réflexion »
Patrick B. appartient à la troisième génération d’une famille qui s’est consacrée aux métiers du bois. Il fut longtemps spécialisé en sécurité et prévention des accidents du travail dans le bâtiment. A ce titre, il a suivi de nombreux chantiers de restauration de Monuments historiques tels que Lunéville, la cathédrale de Reims etc. Nous lui avons posé quelques questions trois jours après l’incendie de Notre-Dame de Paris.
– Vous avez suivi en direct les images de l’incendie de NDDP. Avez-vous une idée des causes du départ du feu dont on dit qu’il aurait pris au pied de la flèche ?
– La localisation ne me paraît pas illogique. Pour qu’il y ait un incendie qui embrase des poutres de chêne de très forte section, il faut une source de chaleur importante, un feu qui aurait couvé plusieurs heures. Un tel incendie en quelques minutes est exclu. L’origine de ce feu, d’après ce que l’on sait du chantier, pourrait provenir d’un point chaud, genre utilisation de chalumeau ou disqueuse pour le métal. Mais cela paraît peu vraisemblable puisque l’échafaudage est monté à l’extérieur. Autre possibilité : un problème électrique. Mais on nous dit qu’il n’y avait pas d’électricité…
– Quelle autre possibilité ?
– Je ne vois pas d’autre explication que ces deux hypothèses : point chaud provoqué à l’occasion des travaux ou dysfonctionnement électrique.
-Depuis trois jours on entend de nombreux « experts » s’exprimer. L’un d’eux affirme que le chêne en vieillissant se transforme en aubier, lequel serait particulièrement inflammable…
-Cet ‘’expert’’ est très surprenant puisque tout professionnel du bois sait que l’aubier est, au contraire, du bois en formation à la périphérie de l’arbre et que celui-ci est totalement purgé lorsque les bois sont mis en œuvre.
-La reconstruction en cinq ans est-ce jouable ?
-Franchement je n’y crois pas. Aujourd’hui, la première urgence est de faire un diagnostic complet de la structure ce qui va demander beaucoup de temps à des experts de différentes professions. En fonction des résultats de ce diagnostic et des choix techniques retenus pour la reconstruction, on pourra commencer à parler de délais. Même si c’est un militaire, le général Jean-Louis Georgelin, qui est nommé »Monsieur reconstruction », il y a des étapes incontournables. Il ne faut pas aller trop vite. Donnons-nous le temps de la réflexion.
-Quelles sont les premières opérations à mener ?
-D’abord, la sécurisation de l’ouvrage. Il s’agit de s’assurer que ni les voutes restantes, ni les pignons, ni les statues et autres gargouilles ne risquent de tomber et d’entraîner la ruine de l’ouvrage. Ensuite, il faudra mettre l’ensemble de la construction à l’abri des intempéries grâce à un ‘’parapluie’’, énorme structure qui coiffera l’ensemble. C’est après, et seulement après, que l’on pourra commencer à parler techniques de reconstruction.
-Quelles techniques sont envisageables ?
-Il y a trois domaines principaux : la maçonnerie (les pierres), la charpente et la couverture, tout cela à l’échelle d’une cathédrale.
S’agissant de la maçonnerie, il faudra changer les pierres qui ont souffert de la chaleur et de l’eau et qui risquent de se déliter.
En ce qui concerne la charpente, techniquement, on peut envisager plusieurs solutions :
– la refaire à l’identique. On saurait le faire car on a en France les hommes et les entreprises compétentes. Mais serait-ce un bon choix ? Je n’en suis pas sûr. Les charpentes du moyen-âge étaient faites de manière empirique, sans calcul de résistance des matériaux. Aujourd’hui, pour faire une charpente ‘’traditionnelle’’, il y a des règles normatives qui s’imposent : l’Eurocode 5. Autrement dit, même si on sait faire, les bureaux d’études et bureaux de contrôle technique imposeraient des renforcements métalliques et des dimensionnements spécifiques incontournables qui n’existaient pas au 13ème siècle.
-Peut-on reconstruire la charpente en bois ?
-Oui. On peut imaginer une structure en bois mais de manière plus actuelle en utilisant une charpente en lamellé-collé, ce sont des poutres reconstituées à partir de lamelles en bois massif mince. Elles seraient tout aussi solides et plus légères. Elles montreraient aux générations futures d’autres techniques que celles du moyen-âge.
-Y a-t-il d’autres techniques ?
-On peut penser à une solution béton pour la charpente. Peut-être pas celle utilisée à Reims, réalisée après la première guerre mondiale, mais on peut fabriquer des portiques en béton armé précontraint (ou non) qui seraient des techniques actuelles.
Il y aussi la solution d’une charpente métallique, comme pour la cathédrale de Toul ou l’abbaye des Prémontrés de Pont-à-Mousson.
-Reste la couverture…
-La solution du plomb utilisée au moyen-âge est une technique éprouvée. Reste à récupérer ce plomb dans les gravats, le refondre et le couler sur sable pour le réemployer, comme cela été fait à Reims après la première guerre mondiale.
J’ai entendu parler de titane à la place du plomb, cela serait d’un coût exorbitant et sans grand intérêt.
-A combien estimez-vous le montant des travaux ?
-Prenons une large fourchette, entre 500 millions et un milliard d’euros me paraît réaliste.
Propos recueillis par Marcel GAY
A propos de la flèche de la cathédrale
-Que pensez-vous de l’idée de lancer un concours d’international d’architectes pour redessiner la flèche de Viollet-le-Duc ?
-Même si la flèche de Viollet-le-Duc me plaisait beaucoup et correspondait bien à l’architecture de la cathédrale, je ne serais pas choqué par une flèche plus moderne mais dans le respect de l’unité architecturale de l’ensemble. Cependant je m’interroge sur la nécessité d’un concours international puisque en France nous avons certainement suffisamment d’architectes de talent qui ne demandent qu’à s’exprimer.
-Pourrait-on refaire cette flèche à l’identique ?
-Bien évidement, à condition de respecter les règles de l’Eurocode 5. Car les schémas de principe de Viollet-le-Duc nous sont parvenus dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du 11ème au 16ème siècle.
En outre, nous disposons d’une maquette (voir ci-contre) sous la forme du chef d’œuvre de réception de trois compagnons de l’association ouvrière des compagnons du devoir et du tour de France (AOCDTF).