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Le grand voyage de Gabriel

Rencontre avec Fellipe Barbosa, le réalisateur brésilien de « Gabriel et la montagne »

Par Patrick TARDIT

"Gabriel et la montagne" (sortie ce mercredi)
« Gabriel et la montagne » (sortie ce mercredi)

Il voyageait en solitaire, Gabriel. Etudiant brésilien, embarqué pour un tour du monde d’un an, Gabriel Buchman a chassé les gazelles avec des Massaïs au Kenya, a grimpé  le Kilimandjaro, a été éclaboussé par les chutes Victoria, et a disparu dans « le domaine des esprits », au Malawi. Après 19 jours de recherche, son corps fut retrouvé l’été 2009, sur les pentes du mont Mulanje. Lemayan était son nom africain, « béni de tous ».
C’est la fin de ce grand voyage, jusqu’à la mort, que raconte Fellipe Barbosa dans son film « Gabriel et la montagne » (sortie le 30 août), primé à la Semaine de la Critique, au Festival de Cannes. « Sa disparition était un événement très important au Brésil, je crois qu’il y a le symbole de la montagne, pourquoi on fait ça, c’est un geste de beauté, symbolique, de paix, quand quelqu’un se perd, ça devient mythique, il y a une espèce d’envie d’avoir ce courage », confiait le cinéaste lors de la présentation de son film au Caméo, à Nancy.
Fellipe Barbosa parle avec douceur, lenteur, et un accent charmant, un très bon français appris à l’Alliance française. « Ma mère était notre prof, à Gabriel et moi », précise-t-il. Car Fellipe et Gabriel étaient copains d’enfance. « Depuis l’âge de sept ans, jusqu’à dix-huit ans, on était dans la même école, à Saint-Benoît, parfois dans la même classe. Après, on a fait des études d’économie, et je suis parti aux Etats-Unis étudier le cinéma à 20 ans, là on a perdu le contact. Je suis rentré au Brésil fin 2008, alors que Gabriel était déjà en voyage depuis août-septembre », raconte le jeune réalisateur brésilien, 36 ans, « Gabriel aussi aurait 36 ans aujourd’hui ».

L’âme de l’Afrique

Le réalisateur, Fellipe Barbosa (DR)
Le réalisateur, Fellipe Barbosa (DR)

Dans « Gabriel et la montagne », Barbosa a recréé le voyage de Gabriel (interprété par le comédien João Pedro Zappa) au plus près de ce qu’il a vraiment vécu, grâce ses écrits, ses photos. « J’avais accès à tous les mails qu’il avait écrits pendant son voyage,  et surtout grâce à ce que m’ont raconté les gens qu’il avait rencontrés. Cristina, son amie, m’a aussi beaucoup aidé pour toute la partie où elle était sur place avec lui ».
« Je connaissais déjà cette partie du monde, j’étais allé en Ouganda, au Malawi, en 2005, pour donner un cours de montage, et j’avais rencontré cette félicité qu’il décrit, dans les premiers mails qu’il envoie d’Afrique, j’ai rencontré cette joie, j’ai senti que j’avais le droit de raconter cette histoire, je voulais aussi raconter l’histoire de cette Afrique, une Afrique très belle, sans stéréotypes ni préjugés », dit Fellipe Barbosa, qui a marché dans les traces de son ami. « J’étais très ému de découvrir les lieux où il a été, les gens avec qui il était, pendant les repérages surtout, je sentais parfois sa présence, c’était très fort. Pendant le tournage, je sentais qu’on était en train de faire un travail spirituel, en retraçant son chemin, avec les mêmes vêtements parfois qu’il avait utilisés, les mêmes chambres d’hôtel… ».

« Il voulait embrasser le monde »

Et ces mêmes gens avec qui le « Mzungu », « le blanc », a fait ami-ami, jouant leur propre rôle dans le film, recréant les moments passés avec Gabriel, ce voyageur solitaire mais pressé, souriant toujours, agaçant parfois. « Il se rajoutait des buts pendant le voyage, de plus en plus, trop de buts, trop de choses à faire en un petit espace de temps. Il y a aussi ce sentiment d’être invincible, d’être Superman, quand on est sur la route on se sent très fort », raconte Fellipe Barbosa, « Ce désir, cette volonté de vivre est proche de la volonté de mourir peut-être. Il voulait embrasser le monde, manger le monde, comme s’il sentait déjà qu’il était proche de la mort ; vivre intensément, c’est s’exposer beaucoup. Il était très pressé, comme s’il savait, qu’il sentait, que quelque chose lui arriverait ».
Repassant là où Gabriel était passé, l’équipe a souvent pleuré pendant le tournage, comme ce jour où a été retrouvé son gant dans la grotte où il a passé une de ses dernières nuits. « Il n’avait que 28 ans, il était plein de vie, il avait l’expérience de la montagne, il avait monté des trucs beaucoup plus difficiles. Je pense qu’il s’est endormi en pensant qu’il allait se réveiller le jour prochain, il est mort d’hypothermie », précise Fellipe Barbosa, « Il faisait très froid, il a eu des jours horribles, on sait qu’il a survécu trois soirs, on ne sait pas combien de jours il a survécu après sa dernière photo, on se demande pourquoi il n’a pas bougé pendant deux jours, peut-être qu’il était épuisé, il y a beaucoup d’hypothèses ».

« Une recherche d’absolu »

Même s’il a filmé la découverte de son corps comme « une résurrection », Fellipe n’a pas fait de Gabriel un saint en sandales et tunique africaine, montrant aussi son impatience et son arrogance. « La mère et la sœur de Gabriel ont beaucoup aimé le film, j’avais peur parce que je ne savais pas comment elles allaient réagir, finalement sa mère était plus légère à la fin de la séance. C’est plus facile d’accepter la mort de quelqu’un qui a fait ses choix, ses erreurs, que d’accepter la mort d’un saint. Il y a une part de fuite et aussi une recherche d’absolu, il était très intéressé par les religions, lui aussi il cherche dieu ».

Copains sur les mêmes bancs d’école, Fellipe et Gabriel étaient supporters du même club de foot, le Flamengo, dont Gabriel portait fièrement les maillots. A leur tour, les joueurs du Flamengo devraient porter la chemise de Gabriel avant un prochain match. « Après qu’on ait retrouvé son corps, il y a eu une minute de silence pour lui dans le stade de Maracana. Flamengo a gagné ce match 1-0, et après ça le club est remonté de la neuvième jusqu’à la première place, on a été champions en 2009, la première fois depuis 1992 », se réjouit Barbosa. Sûr que c’est un peu « grâce à Gabriel ».

Patrick TARDIT

« Gabriel et la montagne », un film de Fellipe Barbosa (sortie le 30 août).

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