Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.
Par Gilles Voydeville
Cher lecteur,
Nous sommes en avril 2023 de notre calendrier grégorien.
Aurore Kepler 452b écrit à sa sœur Gaïa pour la soutenir dans sa lutte perpétuelle contre son petit humanoïde qu’elle dénomme « Charmant ».
Chez nos ancêtres les Grecs, Gaïa, notre Terre, est considérée comme un être vivant.
Aurore Kepler, elle, a été découverte en 2015 par le satellite observatoire Kepler de la NASA. Elle tourne dans la constellation du Cygne à 1400 années lumières de la nôtre et porte le matricule 452b.
Par sa taille, sa masse, son âge (elle est seulement plus ancienne de 1,5 milliards d’années) et la similitude de son orbite autour de son étoile, Aurore Kepler possède des caractéristiques communes avec Gaïa.
D’après la communauté scientifique, Aurore Kepler pourrait être habitée.
Ces deux planètes communiquent par intrication quantique, celle décrite en 1982 par le Français Alain Aspect. Il vient d’être récompensé 40 ans plus tard par le Prix Nobel 2022 de Physique.
Ce mystérieux phénomène quantique lie de façon instantanée deux particules, quel que soit leur éloignement. En 2015 à l’université de Delft, cette fantomatique action à distance a été réalisée et établie par une expérience de Ronald Hanson. En 2022 une information instantanée a été constatée entre deux ordinateurs quantiques intriqués.
Ma chère Gaïa
Ta dernière missive me prouve que tu t’inquiètes de plus en plus pour ton avenir qui semble assez sombre. J’ai l’impression que l’oncle Xi est devenu le gendarme de ton monde multipolaire c’est-à-dire qu’il est en capacité de régir les velléités martiales de nombreux acteurs en prenant le leadership des non alignés sur la politique occidentale.
Tu m’avais renseignée il y a fort longtemps sur la puissance de la pensée chinoise.
Cela fait plus de deux mille de mes cycles autour de mon astre que tu me parlais déjà de l’ouvrage de « L’Art de la guerre » rédigé par l’un des penseurs de l’Empire Céleste, le dénommé Sun Tzu. Si je me le rappelle bien, il écrivait que la plus belle victoire s’obtient sans combattre et que la meilleure reddition d’une place forte se négocie sans devoir donner l’assaut.
Comme l’Ours brun ne se sent pas assiégé, j’ai l’impression qu’il a laissé rentrer l’oncle Xi sur son territoire sans comprendre qu’il faisait pénétrer le Cheval dans la nouvelle Troie. Car même s’il n’a pas enlevé la fille d’un des princes du PCC, l’Ours noir de Moscou est bien le ravisseur de la plus belle fille de ton monde, la Liberté. L’oncle Xi n’en est pas le meilleur protecteur, mais c’est un habile tuteur qui la dirige et la contrôle alors que l’Ours est un pataud qui la piétine. L’ursidé n’a pas encore perçu la ruse de cet oncle matois qui s’est présenté à sa porte comme un lointain parent heureux de le visiter pour qu’il puisse s’épancher au coin du feu, alors que l’oncle vient simplement voir si le logis est à son goût. L’oncle Xi a renoué avec la tradition de discrétion et de duplicité de l’Empire Céleste, celle qui n’a pas besoin d’étaler sa puissance pour exercer son pouvoir. Il use de modestie et de gestes amicaux pour tromper son hôte qui évaluera mal la puissance de ses pièges. Dans les prochains jours, tu verras l’oncle assurer son vassal de son indéfectible amitié. Mais sans lui livrer pour autant les armes pour surpasser son adversaire. L’oncle encouragera l’Ours au regard vide à poursuivre sa guerre pour qu’il épuise à petit feu et ses forces et son crédit. Et quand l’Ours sera bien affaibli, il devra rechercher en l’indéfectible amitié de son parent adoptif un recours pour ne pas sombrer. Mais il devra aussi se soumettre à son généreux mentor et lui ouvrira les portes de sa cité.
L’Art de la Guerre est un art majeur, un art de longue patience, un art de lente évaluation, un art de discrète pertinence.
C’est l’art de gagner sans régner, de tirer profit sans priver, de jouir sans détruire, c’est un art de vivre pour soi mais sans avoir besoin que cela se voit.
Dans le même temps, l’oncle Xi encouragera l’engagement du camp occidental qui, constatant la faiblesse de l’Ours tout en sachant le refus de l’oncle de vraiment s’engager, pourra croire à la victoire et ainsi épuisera ses stocks. L’oncle Xi appréciera ainsi à distance l’efficacité et la létalité des armes occidentales. Et ce sans donner un seul coup de canon. Si ces armes occidentales s’avèrent trop redoutables, il pourra attendre encore un peu que ses ingénieurs progressent avant de les exhiber pour intimider ou déclencher, en dernier recours, une opération sur Taiwan, son île chérie.
Mais, comme tu le sais, la force est loin d’être sa seule arme et il usera de ses autres avant de se résoudre à l’apocalypse.
La patience, c’est l’art d’avancer ses pions quand le temps de la victoire se présente. De toutes les manières, le temps, mais aussi l’espace jouent pour l’oncle Xi. Tu m’as dit que depuis le dernier congrès du PCC, l’oncle maîtrise les oppositions au sein de ce parti et ce, pour le temps qu’il jugera utile à la réalisation des projets du peuple. Quant à l’espace, il sait que pour annexer son île chérie, ce sera chose aisée car elle est à portée de missile et que sa flotte peut en bloquer le détroit. Comme il n’est pas trop pressé – il a su et saura se perpétuer – il pense que cette perle de la Mer de Chine honorera un jour prochain sa juste mère en venant s’ajouter au collier de nacre que forment les provinces de l’Empire Céleste. Sans la contraindre.
Et l’oncle suivra ainsi les préceptes de Sun Tsu qui a écrit que l’attaque des cités convoitées ne se décide qu’en dernier ressort.
Quand l’oncle sera le plus puissant souverain sur ta terre et que son envergure dépassera l’Orient, aucune fourmi n’osera résister au plaisir de parcourir les routes de la soie qu’il a dessinées du miel le plus fin et qu’il a bordées de la puissance de sa langue de tapir.
Pour décocher les flèches de la victoire, cet oncle possède encore d’autres cordes tendues à l’arc qu’il pense avoir hérité d’Apollon ou d’Artémis. Il sait flatter l’orgueil des uns et agacer les autres. Quand il accueillera le coq gaulois, il lui déroulera le tapis rouge alors qu’il refusera cet honneur à la génisse européenne. L’Art de la guerre, c’est l’art d’éviter soi-même le combat mais d’encourager les luttes intestines des factions ennemies. Le temps long des autocrates qui échappe à tes démocrates, prend des avantages sur le temps court de ces derniers qui tombent au gré des caprices des peuples et ne laisse pas les choses se présenter d’elles-mêmes. La pomme finit toujours par tomber de l’arbre mais il faut être présent pour la ramasser avant qu’elle ne se gâte. Si je me mets bien dans les pensées de ton oncle matois, je devine qu’il fera croire au coq qu’il ne fournira pas d’armes à l’Ours mal léché, si et seulement si le fougueux gallinacé ne s’aligne pas sur la politique américaine de tutelle sur son île adorée. Ce sera un coup de maître car l’oncle séparera ainsi l’aigle américain de la génisse Europe.
Il déclenchera par la même occasion des luttes entre les rejetons de cette dernière.
Et ton coq aura raison de rentrer dans ce jeu car s’il a déjà réalisé une tonitruante entrée en politique, il lui manque encore un coup d’éclat mondial pour démontrer à tous la qualité de son analyse et faire accepter en retour ses décisions de réformateur qui sont nécessaires à son peuple girouette. Il lui faudra marquer les esprits de la puissance de sa pensée puisque sa politique intérieure ne portera ses fruits que dans bien longtemps et qu’il risquera de laisser advenir au pouvoir de son pays des extrémistes aux qualités politiques réduites à l’opportunisme de leur populisme, mais bien décidés à en profiter. Ainsi avec l’oncle matois, ton coq rivalisera de diplomatie confucéenne, celle dont les fruits présentement cachés pourront, pour chacune des parties, se révéler des plus juteux quand l’heure de la dégustation adviendra.
Au sujet des démocraties, ta lune a pris langue avec moi et m’a transmis les écrits du philosophe politique Zhao Tingyang.
Pour lui le suffrage universel a l’avantage de régler un problème par une méthode simple, la suprématie du nombre. Mais elle n’est en rien un système qui permet de faire un choix juste, judicieux et impartial. C’est le choix de la majorité du peuple, son désir, mais c’est rarement un choix raisonné. Cette démocratie peut être pondérée dans ses mauvais choix par le discernement des hommes qu’elle a élu. Ceux-ci doivent prendre les bonnes décisions parfois contraires aux désirs du peuple qui n’est qu’un enfant exigeant toujours un peu plus qu’il ne faudrait.
Comme les élus n’ont pas toujours les idées claires et le cuir suffisamment tanné pour supporter la vindicte de leurs électeurs, le penseur chinois s’appuie sur les écrits de Ji Zi, conseil de la dynastie des Zhou (1048 av JC).
Celui-ci équilibrait la volonté du peuple par la décision des entités célestes.
Zhao Tingyang remplace les divinités par des experts scientifiques, une voix pour le peuple et deux pour les experts, l’un de la science l’autre de l’histoire, ce qui aboutit à une démocratie de la connaissance. En Chine, l’histoire est considérée comme le premier savoir. C’est la raison pour laquelle il lui donne une telle place. Chez les Grecs c’est la philosophie et dans l’Occident chrétien c’est le christianisme. Le penseur considère que le christianisme a inventé les quatre piliers de toute les idéologies politiques : le prêche qui donnera la propagande, la confession qui s’exprimera par l’autocensure dans la discipline des partis, les masses formatées par l’institution qui produiront les masses rangées sous un slogan et le diable qui se déguisera en l’ennemi politique.
Jusqu’à présent, les démocrates occidentaux ne veulent en rien entendre parler de cette démocratie raisonnée car elle limiterait le pouvoir des élus qui, en fait, font le job pour régner sans partage.
En contrepartie du pouvoir partagé avec les experts, Zhao Tingyang voudrait donner plus de pouvoir au peuple : deux votes par citoyen, un vote pour et un vote contre, sans être obligé d’exercer les deux. L’élu est celui qui obtient le score le plus positif quand on a retranché les votes négatifs des votes positifs. Cela limiterait l’élection d’individus qui emportent le suffrage grâce à leur charisme mais qui récolteraient des scores négatifs par l’extrémisme de leurs propos.
Ma chère Gaïa, je me passionne pour ta vie politique mais si je te parle peu de moi et de mes Ovoïdes c’est parce que mes problèmes sont moindres. Je n’ai pas trop de préoccupations sociopolitiques si ce n’est dans le pays des deux Lunes avec ma petite Utula et tu retiens donc presque toute mon attention. Alors que ton Occident essaie de se donner le beau rôle, j’ai l’impression qu’il a a trop méprisé ton monde oriental et que cela explique les clivages actuels. Les souffrances du passé seront longues à cicatriser.
La Chine et la Russie ont historiquement souffert des mêmes ennemis.
La Chine est un vieux pays gouverné par des intellectuels. Il a régné sur le monde oriental pendant trois mille ans mais il a subi le joug des Mongols qui l’ont vaincue et dirigée durant presque un siècle (dynastie Yuan de 1271 à 1368). La Russie a souffert elle aussi de l’emprise des Mongols de la Horde d’Or : ils l’ont longtemps attaquée, limitée, saccagée et ont même pris Moscou. Les incursions de leurs descendants les Tatars de Crimée, l’ont menacée jusqu’au dix-septième siècle et la Russie leur a payé un tribut jusqu’en 1680.
Au dix-neuvième siècle, l’Angleterre et la France ont mené contre la Chine les guerres de l’opium (1839-1860). Ces nations ont humilié l’Empire Céleste par des traités iniques et des destructions inutiles. Ces deux mêmes puissances avaient dans le même temps – avec l’Empire Ottoman – mené la guerre de Crimée (1853-1856) : elle s’est soldée par une défaite russe.
Le peuple chinois considérant l’histoire comme le premier savoir ne peut avoir ni oublié l’invasion des descendants de Gengis Kan, ni la blessure infligée par le sac du Palais d’été et les accords commerciaux humiliants imposés par l’Angleterre et la France.
L’Ours mal léché se trompe d’adversaire et d’époque mais il subit des sanctions occidentales et cherche à s’entourer de tampons car il craint la contagion de ce mode de vie qui est plus cool et moins violent que le russe.
L’oncle Xi est l’héritier de la sagesse confucéenne matinée de mémoire historique.
Mais tu verras que c’est tout d’abord un excellent commerçant : il saura reconnaitre l’attraction et l’intérêt qu’exerce l’Occident dont le consumérisme a largement profité et profitera à son peuple. De mon point de vue qui prend de la distance (beaucoup) avec tes conflits, l’oncle Xi ne sera pas un va-t’en guerre et devrait modérer l’Ours mal léché, si lui-même obtient quelques manifestations de reconnaissance de son droit sur sa perle de la mer de Chine Orientale. Il persévérera sans doute s’il récolte quelques égards des Occidentaux pour son bon vouloir et sa manière. Encore faudra-t-il que l’ensemble de tes dirigeants occidentaux comprennent son message et sa façon qui leur est parfois insupportable surtout avec certains de ses peuples musulmans. Et il ne faut pas que le temps court des démocraties court-circuite le temps long d’un pays dont la sagesse échappe à l’Occident. Parce qu’elle a été obscurcie par ses apparatchiks qui n’ont pas été brillants dans la gestion de la Covid, et parce que les penseurs occidentaux n’ont pas beaucoup appris des orientaux…
Ici, les pommiers de mon Levant aveuglent et enivrent mes passants quand souffle le zéphyr du septentrion qui soulève des risées de pétales odorants. Ici les rivières d’opalines le disputent aux eaux violines pour serpenter entre les saules noueux et les abreuver d’une lactescence qui fait se confondre dans la brume matinale leur feuillage avec les panaches des myrrhes. Mon printemps est là.
Je t’embrasse.
Ton Aurore.