Arnaud Viard a adapté au cinéma les nouvelles d’Anna Gavalda, « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part ». Un « mélodrame assumé », avec des rires et des pleurs, petits bonheurs et grands malheurs.
« On n’est pas pareils », constatent les frères et sœurs du film d’Arnaud Viard, « librement adapté » du recueil de nouvelles d’Anna Gavalda, « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part » (sortie le 22 janvier). « Quand je l’ai lu, ça m’a bouleversé », confie le réalisateur de « Clara et moi » et « Arnaud fait son deuxième film ». En 2000, il pensait en faire une adaptation théâtre, il aura fallu finalement une décennie pour que ça devienne un film, qui débute par un anniversaire, les 70 ans de la mère (Aurore Clément), avec ses quatre enfants autour d’elle dans sa maison de Fixin, en Côte d’Or, tout près de là où a grandi Arnaud Viard.
C’est ensuite une chronique familiale, avec des tranches de vie des uns et des autres. Jean-Pierre, le grand-frère joué par Jean-Paul Rouve, qui s’occupe de tout le monde sauf de lui et retrouve son amour de jeunesse, devenue une actrice connue (Elsa Zylberstein). Juliette, incarnée par la rayonnante Alice Taglioni, une prof qui écrit des nouvelles, enceinte à 40 ans. Mathieu, le frangin interprété par Benjamin Lavernhe, jeune homme maladroit avec les filles et fou amoureux d’une collègue. Et Margaux, jouée par Camille Rowe, la petite sœur fauchée, l’artiste de la famille, qui photographie « de drôles de visages ».
Le film évoque ainsi les choses de la vie, les liens fraternels, les dits et non-dits de toutes les familles, la difficulté de parler avec ses proches, le fait aussi de s’apercevoir qu’on est passé à côté de sa vie, « que ça aurait pu être différent ». C’est le constat que fait Jean-Pierre, tandis que sa soeur Juliette va aller au bout de sa vocation, écrire, telle un double de fiction d’Anna Gavalda. Arnaud Viard a gardé la sensibilité, la petite musique de l’écrivain, et a tourné un « mélodrame assumé », avec des rires et des pleurs, de la comédie et du drame, des blagues et des engueulades, de petits bonheurs et de grands malheurs, même si l’on reste malheureusement au bord de l’émotion. « Ca nous remue la famille, on n’y peut rien c’est comme ça, je pense que j’ai dû y mettre pas mal de mes angoisses, de mes peurs ou de mes chagrins », confie le réalisateur.
Rencontre avec Arnaud Viard lors de l’avant-première de son film à l’UGC Ludres et Nancy.
Arnaud Viard : « Ne pas passer à côté de sa vie »
Anna Gavalda vous a laissé une entière liberté d’adaptation de son livre, a-t-elle vu le film ?
Arnaud Viard : Elle le verra en salles, quand il sortira, on va en parler avec elle et j’espère qu’elle ne sera pas déçue. C’est son œuvre, ses personnages, je pense qu’ils sont très proches d’elle et de sa famille quand elle a écrit, elle m’a toujours dit « Je ne veux pas m’en mêler », donc elle n’a jamais lu le scénario, je l’ai envoyé à l’éditeur qui l’a lu et qui a dû en parler avec elle. Pour moi, ce film c’est un peu le bébé d’Anna et moi, je m’en suis très largement émancipé puisque je ne raconte pas les nouvelles, je raconte certaines situations mais je mélange tout, et à la fois il y a quelque chose sur l’émotion qui, je crois, nous ressemble à tous les deux.
Est-ce que la difficulté à l’écriture était d’assembler le puzzle de ses nouvelles pour en faire un long-métrage ?
C’était difficile et facile. J’ai mis beaucoup de temps à trouver l’angle, l’axe, c’était comme un Rubiks’cube qu’on n’arrive pas à finir, et puis un jour il y a eu une évidence de partir de la nouvelle qui s’appelle « Clic Clac » où il y a deux sœurs et un frère. La fratrie me semblait être le sujet de ce recueil, c’est un recueil sur le désir, « Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part », c’est je voudrais être aimé, reconnu. Après, s’il y a une chose dont je suis fier, c’est d’avoir su faire une histoire qui se tienne, un peu universelle, à travers douze nouvelles qui n’avaient rien à voir les unes avec les autres, il y en a cinq ou six que j’ai traitées. Pour moi, le motif du film c’est comment ne pas passer à côté de sa vie ; si on ne va pas vers son désir on est un peu perdu, un peu mort, et il faut aussi gagner sa vie financièrement, parfois c’est un peu difficile.
C’est un film sur la famille, mais aussi sur comment s’en émanciper, comment se délester de son poids…
Oui, j’ai trois sœurs et un frère, c’est peut-être pour ça que je suis allé là-dedans, pour ramener le sujet à moi. J’ai fait deux autres films où la famille c’est mon sujet, comme beaucoup de réalisateurs en fait. Comment on s’en émancipe, comment on fait sans, c’est difficile, c’est à la fois un crève-cœur et une chose dont on a besoin. Je suis devenu père assez tardivement, mes parents sont décédés en 2011-2013 ; ce n’est pas politiquement correct ce que je vais dire, mais quelque part c’est bien quand les parents ne meurent pas trop tard, parce que quand ils meurent la personne peut vraiment aller vers sa vie. Mon second film c’était ça, le type n’arrive pas à faire de second film, ni même un enfant avec sa compagne, et quand ça mère meurt tout se débloque, je pense qu’il y a un peu de ça.
« Après un deuil, il y a de la création »
Comment avez-vous composé le casting de cette famille pour qu’elle soit crédible ?
Au départ, le personnage de Jean-Pierre n’était pas du tout comme Jean-Paul Rouve, c’était quelqu’un de solide, presque de rugbyman, c’était Jean Dujardin, à l’époque où il a eu l’Oscar, il était inaccessible, et le film ne s’est pas monté à cette époque-là. J’ai repris le film en 2017, je lui ai renvoyé, il m’a dit non. Ensuite, on partait toujours sur le grand frère et on mettait une famille autour, selon l’acteur que j’avais choisi j’avais composé plusieurs familles. Il y a des actrices et des acteurs que j’adore mais qui ne vont pas ensemble forcément, il fallait que je trouve une famille qui me convienne. J’avais vu Jean-Paul Rouve dans son film « Les Souvenirs » et je l’avais en mémoire. J’ai fait passer des essais extrêmement bouleversants à Alice Taglioni, c’est elle qui a la plus belle histoire, ce mot très à la mode de résilience mais plutôt de renaissance ; c’est un parcours classique quand on vit un deuil, après, il y a de la création. Benjamin Lavernhe c’est un grand acteur, au départ pour ce rôle je voulais quelqu’un de plus émotionnellement fragile, il a fait des essais, il est extrêmement drôle et sous un physique un peu lisse il a un univers ludique et barré extrêmement touchant pour un metteur en scène, il est toujours dans le jeu, il aime le jeu.
Il y a une belle séquence dans votre film, à l’oral du bac, où un lycéen fait pleurer la prof d’émotion…
Cette scène dure trois minutes trente, ce qui est assez long pour une scène toute simple, en face à face comme ça ; la chance que j’ai eue, c’est d’avoir un jeune homme exceptionnel, Quentin Dolmaire, que j’avais vu dans « Trois souvenirs de ma jeunesse » d’Arnaud Desplechin. J’écoute en boucle l’album de Vincent Delerm, et il y a une chanson sur Agnès Varda où il dit « Si on peut vivre comme Agnès, se parler à deux dans la pièce et ressentir une émotion ». Et en fait, c’est ça cette scène, personne ne l’avait vu venir, les producteurs voulaient couper, on a fait deux prises avec le jeune homme, j’étais en larmes, et quand le producteur l’a vu, pareil.
Après ce film, avez-vous d’autres projets ?
Plein. J’ai fait trois films, maintenant je n’ai plus peur d’en faire, je commence à assumer, on a envie de travailler, j’ai envie de vite passer à un autre film pour progresser, pour ne pas refaire les mêmes erreurs, pour m’atteler à d’autres choses. J’ai une histoire d’amour qui est prête, j’ai une histoire qui sera un hommage à mon père, encore la famille, mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Je voudrais que quelqu’un m’attende quelque part », un film d’Arnaud Viard (sortie le 22 janvier).