« J’avais envie de parler de la masculinité et des injonctions de virilité », confie le réalisateur Benjamin Parent, « De montrer comment on est entouré de références à des hommes forts et comment finalement ça nous atteint ».
Tom (joué par Thomas Guy) se prépare à son premier jour dans son nouveau lycée. Ado « timide et sensible », il veut donner l’impression d’être « Un vrai bonhomme », titre du film de Benjamin Parent (sortie le 8 janvier 2020). Tom suit les conseils précieux de son grand frère, Léo le beau gosse (incarné par Benjamin Voisin), mais le petit frère n’est pas aussi cool ni détendu que l’est son aîné. Ou plutôt était, car on comprend vite que ce frangin est mort, et qu’il n’apparaît que pour son cadet, tel un ami imaginaire.
Maladroitement, Tom essaie d’intégrer la bonne bande, d’être populaire, comme l’aurait été son frère ; mais il a beau enfiler le blouson de Léo, il ne parvient pas à être « un vrai mec », tombe amoureux de la jolie fille de la classe, bien trop stylée pour lui, et devient copain avec le geek le plus « bizarre » du lycée. Dans cette famille endeuillée, les parents sont interprétés par la douce Isabelle Carré et Laurent Lucas, Tom tente de se rapprocher de son père, qui pleure encore son fils préféré.
Cocréateur de la série « Les Grands », Benjamin Parent poursuit son exploration de l’adolescence avec ce premier long-métrage ; à défaut de devenir « Un vrai bonhomme », Tom va finalement trouver sa place, s’affranchir de la présence de son frère, de l’exemple de celui qu’il ne sera jamais, et s’échapper à jamais de « la fabrique à macho ».
Rencontre avec le réalisateur lors de la présentation de son film au Caméo, à Nancy
« C’est comme ça qu’on change la société »
Devant un public de jeunes lycéens en section cinéma, vous avez dit que vous saviez ce que vous vouliez raconter avec ce film, que vouliez-vous donc raconter ?
Benjamin Parent : J’avais envie de parler de la masculinité, mon court-métrage évoquait ça déjà, parler des injonctions de virilité, c’est-à-dire de montrer comment chez les garçons et les adolescents, il y a une culture basée autour de la domination, de la violence, une forme de sexisme même, il y a ce truc des petits garçons qui jouent aux policiers, aux cow-boys. A un moment donné, ça empêche les garçons d’exprimer leurs émotions, ce qui conduit à des comportements excessifs et parfois à des drames. On est dans une époque où il y a une prise de conscience avec me too, au niveau des violences faites aux femmes, mais c’est un problème d’hommes, on parle de violences faites par des hommes. C’est bien que les hommes adultes prennent conscience, revisitent leur passé, et reconstruisent les choses, mais c’est très important, et c’est en train d’arriver, que les nouvelles générations, les petits garçons, soient au fait de ces choses-là, c’est comme ça qu’on change la société, qu’on réduit ses excès. Je trouve ça plus intéressant de filmer une histoire plus intime, avec de la légèreté, de l’émotion, du drame, et d’avoir un sous-texte qui est plus engagé mais qui n’est pas le sujet apparent du film.
Le film s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui, mais il doit y avoir beaucoup de votre propre adolescence, qui n’est pas forcément la même ?
Complètement, je n’ai pas connu les réseaux sociaux, les selfies, mais ce que j’aime c’est faire un film qui va parler aux ados mais qui va aussi parler aux adultes, en tout cas à l’adolescent qu’ils ont été. Même si les choses changent, le sentiment d’exclusion, être harcelé, vouloir être populaire, mal supporter une humiliation, c’est éternel, c’est universel même ; l’idée c’est d’être juste pour qu’on comprenne, qu’on ait seize ou quarante-six ans. La force du cinéma, c’est créer l’empathie et comprendre ce que vivent les personnages, même sans avoir vécu certaines choses.
Il y a dans votre film deux façons de flirter avec le fantastique, dont la couleur verte et une transformation façon « Hulk »…
Oui, après, la couleur verte c’était aussi le choix d’une palette de couleurs, c’est trop léger pour qu’on puisse s’en rendre compte, mais c’est là. J’ai grandi avec les super-héros Marvel bien avant que ça ne soit des films, avec les bandes dessinées, j’étais fan de super-héros, je le suis toujours. En fait j’avais envie qu’il y ait beaucoup de thématiques de super-héros, des références dans les costumes, des choses un peu discrètes, que culturellement, on ressente le poids des comics, des films d’action, des références à des hommes glorieux. J’avais envie de montrer comment on est entouré de références à des hommes forts, des hommes héroïques, que ce soit de la fiction ou de la réalité, et comment finalement ça nous atteint.
« Le souvenir du frère décédé »
L’autre biais vers le fantastique, c’est ce fantôme qui n’est pas tout à fait un fantôme…
Effectivement, il est à la fois le souvenir du frère décédé, tel qu’il l’a connu, et en même temps il est son instinct, il représente la petite voix qu’on peut tous avoir dans la tête, qui va peut-être, si on est en confrontation avec quelqu’un, nous pousser à nous défendre, à dire ce qu’il ne faut pas dire, ou à être agressif. Au fur et à mesure que le film avance, il devient de plus en plus négatif, finalement quand on fait le deuil de quelqu’un et qu’on commence à avancer, on peut culpabiliser de certaines choses.
L’adolescence, c’est aussi cette période où il y a à la fois ce besoin d’avoir un modèle et celui de s’en émanciper lorsqu’il devient trop pesant ?
Bien sûr, l’idée dans le film c’est que Tom veut remplacer son frère, et pour le remplacer il veut devenir comme lui, en pensant sans doute qu’il se rapprochera de son père et il se trompe évidemment. Au fur et à mesure qu’il avance, il rencontre des gens qui l’aiment tel qu’il est : JB, qui se fiche de ce qu’on pense de lui, une fille, Clarisse, qui incarne la force. Parfois, quand on est garçon on pense qu’on prend modèle sur son père, mais on peut aussi prendre modèle sur d’autres figures, masculines ou non, qui incarnent certaines valeurs. Tom est attiré par la puissance de son frère et il rencontre une fille qui est tout aussi puissante que son frère. Au moment où il rencontre des gens qui lui permettent d’avancer dans la vie, le souvenir de son frère se rebelle et refuse de disparaître. C’est une manière de dire que changer, se déconstruire en tant qu’homme, et mettre à l’écart une certaine masculinité qui est aberrante, ça ne va pas se faire sans heurts, ça ne se fait pas sans devoir se battre.
Votre galerie de personnages rejoint la typologie qu’il y a souvent dans les films d’ados, tels le sportif beau et séduisant, l’intello malingre et souffre-douleur…
Je voulais partir de certains codes pour les détourner, le méchant n’est pas vraiment méchant, il est dans un rôle, en fait ils sont tous dans des rôles et ils s’en rendent compte, ils sont en train de changer. Je voulais prendre ces personnages d’adolescents au moment où ils commencent à vouloir sortir de leur figure archétypale.
Avez-vous un autre projet de long-métrage ?
Mon prochain film sera un film de super-héros, mais avec très peu d’effets spéciaux et une approche très différente. En tant qu’auteur, je ne peux pas mettre en scène un super-héros qui résoud des problèmes en mettant des coups de poing, ça me gène, j’ai envie de questionner sur le super-pouvoir. Je dois m’emparer de ce sujet qui est celui de mon enfance, je pense que ça a joué sur ma construction. J’ai le sentiment que quelque soit le sujet des films que je vais traiter, j’ai envie de parler de masculinité, j’ai l’impression que je suis prisonnier de ce sujet, c’est un concours de circonstances mais c’est dans l’air du temps, on est en train de s’interroger et de questionner ça. Si on veut changer la société, il faut changer la manière dont on éduque les garçons, et ça va très bien se passer, c’est en train de changer en terme de génération, il faut continuer.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Un vrai bonhomme », un film de Benjamin Parent, avec Thomas Guy, Benjamin Voisin, Isabelle Carré, et Laurent Lucas (sortie le 8 janvier 2020).