« Je voulais tourner dans les Vosges », confie Erwan Le Duc, qui y a réalisé un très joli film, une « comédie amoureuse » particulièrement attachante.
« L’amour existe », dit une voix, dans le noir. Une voix de radio, une émission de libre antenne en direct depuis un garage, avec le grand amour pour sujet favori. Une voix instantanément reconnaissable, celle de Fanny Ardant. C’est avec cette voix que s’ouvre « Perdrix » (sortie le 14 août), le premier long-métrage réalisé par Erwan Le Duc, qui est également journaliste au service des sports du Monde.
« Perdrix », c’est en fait Pierre Perdrix, joué par Swann Arlaud, un capitaine de gendarmerie dont la vie change le jour où on lui dit : « Il y a une fille dans votre bureau ». Cette fille, une Juliette interprétée par Maud Wyler, vient porter plainte pour le vol de sa voiture, volée lors d’une pause par une femme nue sortie de la forêt. Dans cette voiture, il y a toutes ses affaires et surtout tous ses carnets, dans lesquels elle raconte sa vie au jour le jour.
C’est dans les Vosges qu’il connaît bien, dont le Lac des Corbeaux qui figure sur l’affiche, qu’Erwan Le Duc a tourné cette « comédie amoureuse ». « Il fallait définir le film, comédie romantique c’est déjà une case, même si j’espère qu’il sort des cases justement. Comédie amoureuse, oui, c’est une comédie, c’est un film d’amour. C’est un film de rencontres et de contrastes, c’est aussi un film de dialogues où les personnages finissent par se parler », confiait le réalisateur lors de l’avant-première au Caméo, à Nancy.
Car l’imperturbable gendarme ne peut que tomber amoureux de cette Juliette, « fille d’une liberté ravageuse », venue de nulle part, une charmante tornade, aussi bavarde qu’envahissante. Juliette rencontre ainsi la famille « bizarro » de Pierre Perdrix : la mère Thérèse, radio amateur (Fanny Ardant), le frère Julien (Nicolas Maury, vu dans la série « Dix pour cent ») biologiste spécialiste des vers de terre, la nièce Marion championne de ping-pong (Patience Munchenbach), et même le père défunt dont le grand portrait les observe tous. Dans cette petite ville, il y a aussi un groupuscule de zadistes, nudistes révolutionnaires, et de faux soldats qui jouent à la fausse guerre.
Avec ces personnages improbables, et de formidables incarnations (notamment Swann Arlaud et Maud Wyler), tout cela fait un très joli film, au ton réellement singulier dans le cinéma français. C’est effectivement une « comédie amoureuse », particulièrement attachante et enthousiasmante, burlesque, poétique, fantaisiste, tendre, où il est question des immenses solitudes, de l’amour, la vie, la mort… En vrac, Erwan Le Duc cite parmi ses influences le cinéma asiatique, Kaurismaki, Kitano, Wes Anderson, Nanni Moretti, la Nouvelle Vague, The Monty Python… Et cela nous fait un très bel envol de « Perdrix ».
Erwan Le Duc : « Tout le monde avait envie d’un film singulier »
Commencer un film avec la belle voix de Fanny Ardant, c’est particulièrement chic…
Erwan Le Duc : Effectivement, le début du film n’était pas comme ça au scénario, c’est une idée de la monteuse. Avec ce début sur fond noir, et cette voix qui nous enveloppe et qu’on reconnait, on sait tout de suite à qui on a à faire, elle nous parle d’amour, du sujet du film, c’est elle qui nous prend par la main pour entrer dans le film. Elle a accepté très facilement ce rôle, ce qui lui a plu c’est l’impertinence du film et du personnage, ça l’amusait beaucoup.
Par la nature, les forêts, les lacs… les Vosges sont particulièrement mises en valeur dans votre film, pourquoi avez-vous choisi d’y tourner ?
Le film a toujours été écrit pour les Vosges, je voulais tourner dans les Vosges parce que ma mère vient de là, elle est originaire de Saulxures-sur-Moselotte, pas très loin de Remiremont, à côté de là où on a tourné beaucoup d’extérieurs, au Haut-du-Roc. C’est un film de famille, qui raconte une famille un peu coincée dans son confort, on est bien et en même temps c’est quand même un peu routinier, un peu sclérosant, on s’ennuie un peu. C’était cette sensation que je cherchais à retranscrire, ce mélange doux amer, cette ambiance-là, je venais tout le temps en vacances chez mes grands-parents à Saulxures, c’était à la fois joyeux et parfois un peu long. Donc ça me paraissait cohérent de venir traiter ces sentiments-là dans un endroit où je les avais vraiment ressentis. Et puis après, la deuxième raison, c’est vraiment par rapport aux paysages, j’avais envie d’un film assez ample, lyrique, que la nature soit très présente, qu’elle soit plus grande que les personnages, qu’il y ait de grands espaces, que ça décolle, et qu’il y ait une variété, les montagnes, les forêts, les lacs… Je savais que je trouverai tout ça, ma connaissance des lieux faisait que j’avais des endroits assez précis en tête.
Et puis il y aussi Plombières-les-Bains, station thermale jadis fréquentée par Napoléon III…
Ma mère m’avait raconté qu’elle était allée voir Jacques Brel au Casino de Plombières dans sa jeunesse, mais je ne connaissais pas spécialement. Je suis venu en repérages tout seul, pour arpenter la région, et je suis tombé sur Plombières par hasard, un matin d’avril où il pleuvait des cordes. Il n’y avait personne dans la rue, je trouvais l’endroit assez étonnant, il y a une architecture très singulière pour la région, on a l’impression que c’est un bout de décor posé comme ça au fond de la vallée encaissée. Je suis allé prendre un café au Bar des Vosges qu’on voit au début du film, et un p’tit vieux qui s’appelle Marcel m’a dit ‘’Entrez, ça vous fera une sortie’’, je me suis dit qu’on était au bon endroit, on était pas loin de l’esprit du film.
« La Région Grand Est a été un des premiers à nous soutenir »
Justement, votre film a un ton très singulier, avec de l’extravagance, de la poésie, du burlesque…
J’espère, c’était l’idée, ça fait longtemps que je porte ce film, la première version du scénario date d’il y a six ans, j’ai fait quatre courts-métrages entre-temps, je travaille aussi comme journaliste à côté. On s’est vraiment battus pour le faire, ce n’était pas évident à financer, parce qu’on avait d’emblée l’envie de faire quelque chose d’assez singulier qui ne rentrait pas dans les cases habituelles. A partir du moment où on a réussi à trouver les soutiens et les partenaires financiers, dont la Région Grand Est qui a été un des premiers à nous soutenir, quand on a su qu’on pouvait le faire, il fallait vraiment avoir confiance et aller à fond dans cette singularité. Tout le monde a voulu travailler dans ce sens, que ce soit les comédiens, l’équipe technique, les producteurs, tout le monde avait envie d’un film singulier, et d’assumer cet humour, ce décalage, cet univers assez étrange. Ce qui était joyeux dans le tournage, c’est que c’était assez inventif, tout le monde était ouvert à ce qu’on essaie des choses.
Pour incarner Pierre Perdrix, vous aviez choisi Swann Arlaud avant qu’il ne soit le « Petit Paysan » du film d’Hubert Charuel ?
Non, mais c’était avant qu’il ait un César pour « Petit Paysan ». Je cherchais quelqu’un pour incarner le personnage de Perdrix et ce n’était pas simple, parce qu’il n’est pas évident à jouer, il fallait quelqu’un qui ait à la fois une espèce de droiture, de simplicité, quelque chose d’assez terrien, et en même temps une grande intériorité, qu’on puisse juste en le filmant se dire qu’il se passe quelque chose d’autre là-dessous, et que ce soit intense, Swann avait ça. Pour le personnage, j’avais en tête une phrase de Churchill à propos de de Gaulle : ‘’C’est une casserole qui bout à vide’’.
Et Maud Wyler, qui joue votre drôle de Juliette ?
J’ai travaillé sur plusieurs courts-métrages avec elle, elle est sur le projet depuis longtemps. Elle est à la fois déconcertante, déroutante, je la voyais comme une météorite qui venait faire exploser cette planète qu’est cette famille. Je voulais qu’il y ait le moins d’explication possible sur d’où elle venait, où elle allait, pourquoi, il n’y a aucune référence socio-professionnelle, on ne sait pas ce qu’elle fait dans la vie, on est vraiment sur du sentiment et du rapport humain, et rien d’autre pour l’expliquer. Maud Wyler s’est emparée du personnage, elle a été à la fois très libre, très inventive ; c’est assez rare au cinéma, en France, de voir des personnages féminins principaux qui se permettent d’entrer dans un film sans être dans la séduction, mais au contraire dans quelque chose d’un peu rugueux, un peu râpeux, un peu désagréable au début, dans un truc un peu brutal qui secoue les autres. J’avais envie de proposer ça et Maud aussi.
« J’espère que je vais pouvoir faire d’autres films »
Autour de Perdrix et Juliette, il y a aussi une galerie de personnages tout aussi farfelus les uns que les autres, les nudistes, les faux soldats, le biologiste spécialiste des vers de terre…
J’avais envie d’une richesse de personnages, d’une richesse d’univers qui se côtoient, se rencontrent, qui parfois se confrontent, et qu’il y ait au milieu de ça une histoire d‘amour très simple, très classique. Un garçon rencontre une fille, il se passe quelque chose et c’est irrémédiable, et qu’autour ça pullule, que ça bouillonne, que chacun des personnages soit mû par un engagement. Le personnage du frère qui est géodrilologue est inspiré d’un vrai géodrilologue, Marcel Bouché, que je n’ai jamais rencontré mais j’avais lu son livre, que je trouvais intéressant, ça parle de l’époque aussi d’une manière un peu décalée, avec des questionnements écologiques assez forts, une inquiétude légitime, en partant de vers de terre. Après, le personnage de Fanny Ardant, j’aimais bien l’idée de cette femme qui fait son émission de radio de manière un peu associative, ça part de quelque chose très réaliste, très quotidien, et ça se mêle à des questionnements sur l’amour, elle parle de ça tout le temps. Ensuite, les nudistes et les reconstituteurs, pour moi ce sont un peu les deux faces d’une même pièce, le dénuement et la table rase d’un côté, l’uniforme et l’artifice de l’autre. Comme le film est traversé par des questions sur l’identité, ça joue avec ça.
Comment avez-vous vécu la sélection de « Perdrix » à La Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes ?
C’est magnifique de montrer le film là-bas et d’avoir ce soutien ; à Cannes, ça rigolait tout le temps, c’est assez joyeux, alors que dès le départ je voulais faire un film qui traite de choses pas très drôles, qui peuvent paraitre tragiques, avec des personnages très mélancoliques ou même désespérés, d’en parler avec une certaine légèreté, une sincérité, et qu’à la fin ce soit solaire. Je suis très heureux de voir que c’est partagé, parce que je fais le film que j’ai envie de voir.
Un des thèmes du film c’est « La vie que vous vivez est-elle la vôtre ». Quelle vie va être désormais la vôtre entre le journalisme et le cinéma ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Journaliste sportif, ça me va très bien de faire ça dans un quotidien qui n’est pas un journal sportif. Après, c’est un questionnement qui est aussi le mien, qui a été le mien pendant longtemps, mais je crois que c’est le cas pour beaucoup de gens, lorsqu’on s’est engagé dans une voie, est-ce que c’est la bonne et est-ce qu’on peut changer ? C’est une question que je me pose encore, on va voir comment se passe la sortie du film. J’ai travaillé dans d’autres secteurs que le journalisme avant de faire des films, je trouve que le fait de travailler à côté ça nourrit aussi l’écriture. Je suis un peu à chaque fois à côté, dans le journalisme je fais mon truc, et dans le cinéma c’est pareil.
Vous avez déjà la confiance du magazine « Première » qui vous prédit « une grande carrière »…
J’espère qu’ils ont raison, j’espère que je vais pouvoir faire d’autres films, et qu’on pourra proposer ce genre de cinéma de manière plus régulière. Je travaille sur d’autres projets, j’essaie de garder ce ton qui m’intéresse, c’est mon premier film, j’espère que c’est le début, il y a plein de choses à creuser, à développer, à affiner, et d’histoires à raconter, bien sûr.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Perdrix », un film de Erwan Le Duc, avec Swann Arlaud, Maud Wyler, et Fanny Ardant (sortie le 14 août).