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« C’est ça l’amour » d’un père

« J’avais envie de montrer un homme sensible, vulnérable », confie la cinéaste Claire Burger, qui a tourné un film extrêmement touchant dans sa ville, à Forbach, en Lorraine.

« C’est ça l’amour » est un film bourré d’humanité, l’histoire d’un père attentionné qui se démène pour élever ses deux filles au mieux.
« C’est ça l’amour » est un film bourré d’humanité, l’histoire d’un père attentionné qui se démène pour élever ses deux filles au mieux.

Tout sur son père. C’est ce que raconte Claire Burger dans son film « C’est ça l’amour » (sortie le 27 mars). Un père patient, attentionné, dévoué, dévoreur de culture, incarné par le formidable Bouli Lanners. Un père qui est « un mec bien », Mario, fonctionnaire, qui « gère » comme il peut ses deux filles, Frida et Niki (jouées par Justine Lacroix et Sarah Henochsberg), 14 et 17 ans, depuis que madame a quitté mari et maison.

C’est d’ailleurs dans la maison de son père que la cinéaste a tourné ce film hommage à son papa, à Forbach, cette ville de Moselle dont elle est originaire. C’est dans ce coin de Lorraine que Claire Burger a filmé ses premiers courts-métrages (« Forbach », « C’est gratuit pour les filles »…) et son premier long, « Party Girl », co-réalisé avec Samuel Theis et Marie Amachoukeli. Le personnage principal y était celui d’une mère, Angélique, la mère de Samuel Theis dans son propre rôle, une mère « dysfonctionnelle » comme diraient les manuels d’éducation.

Le vrai père de Claire Burger fait une discrète apparition dans « C’est ça l’amour », mais son rôle est donc joué par un vrai acteur. « Bouli a une espièglerie, quelque chose d’enfantin dans le regard, il a ça en commun avec mon père », estime la réalisatrice, « J’avais envie de montrer un homme sensible, de donner à voir ces hommes sensibles qu’on ne voit pas beaucoup, j’ai été élevée par un homme comme ça, je sais que ça existe ».

Un magnifique diffuseur d’affection et de chaleur humaine

« Repose-toi de moi », dit Mario à sa femme passée « prendre quelques affaires ». « Toute ma vie, c’est de vous aimer », dit-il encore à ses filles, la grande qui a l’âge de la conduite accompagnée, et la petite qui a celui de l’appareil dentaire, des premières cigarettes et du premier amour (une fille). Frida, jouée par Justine Lacroix, dénichée dans un lycée de Metz, est un double de Claire, le personnage ressemblant à l’ado en colère qu’elle était alors. Des filles traînées par leur père aux concerts, musées, expos… « L’idée de quelqu’un qui la boulimie de la culture vient de mon père. Si je fais du cinéma, si j’ai pu quitter Forbach, je le dois à mon père », dit la cinéaste.

Avec un casting mélangeant pros et amateurs, Claire Burger fait un cinéma authentique, elle fait le portrait d’un homme, d’une famille, d’une classe sociale, d’une ville … « J’avais envie de parler de gens qu’on ne voit pas souvent au cinéma, cette classe moyenne peu représentée », dit-elle. « C’est ça l’amour » évoque l’amour sous toutes ses formes, l’amour paternel bien sûr, filial, et l’amour pour l’autre, quel qu’il ou elle soit. « J’ai essayé de trouver un ton qui puisse être dans la légèreté », dit-elle. Avec ce ton si original dans le cinéma français, son film est extrêmement touchant, bourré d’humanité, et a la tendresse d’une chanson de Paolo Conte. Le final, avec un grand baiser général lors du spectacle participatif auquel participe Mario, « Atlas », est un magnifique diffuseur d’affection et de chaleur humaine.

Rencontre avec Claire Burger, au lendemain de l’avant-première de son film au Caméo à Nancy, où des proches et des membres de sa famille avaient pris place parmi les spectateurs. Interview.

Claire Burger : « J’avais envie de faire une déclaration d’amour à mon père »

Un bon père, une mère partie, deux sœurs, vous avez tourné dans la maison de votre enfance, à Forbach, il y a une grosse part d’autobiographie dans ce film ?

Claire Burger : Oui, dans son point de départ, c’est un film qui s’inspire de ma famille, des membres de ma famille, et d’un événement qui est survenu pendant mon adolescence, le départ de ma mère. Le point de départ est autobiographique, mais après, le film s’autorise vraiment plein de libertés et il y a plein de choses qui ne sont pas du tout réelles. J’avais envie, après la Caméra d’Or, de m’assurer que je reste dans quelque chose qui soit personnel et pas de basculer dans un professionnalisme qui serait moins proche de moi, moins sincère. D’une certaine façon, tourner encore à Forbach, autour d’une histoire personnelle, c’était le meilleur moyen de ne pas basculer dans l’opportunisme.

Vous évoquez la Caméra d’Or reçue à Cannes pour « Party Girl », le succès et l’impact de ce film ont été plutôt dopant ou plutôt paralysant ?

« Party Girl », ça a été une chance, cette Caméra d’Or a permis certainement aussi au film d’après de se faire plus facilement. Evidemment il y a un peu de pression, mais comme j’ai eu la chance pour l’instant d’avoir des prix sur plusieurs de mes films, j’avais déjà connu un peu cette pression après le César pour « C’est gratuit pour les filles ». Du coup, je n’ai pas eu si peur que ça, je sentais que j’avais besoin de passer à la suite, il fallait prendre le risque éventuellement de se tromper, mais il fallait y aller.

« Party Girl » avait été co-réalisé à trois, avec Samuel Theis et Marie Amachoukeli, pour « C’est ça l’amour » vous avez retrouvé la réalisation en solitaire…

En fait, je n’ai pas réalisé tous mes films à trois, j’ai commencé en faisant un film seule, ensuite j’ai co-réalisé des films, et il y a eu ce moment à trois avec des proches. C’était possible pour ce projet-là, qui était un projet singulier, je ne pense pas qu’on aurait pu faire d’autres films dans une telle harmonie, c’est quand même compliqué de réaliser à plusieurs. Nous avons toujours su que le film d’après ne serait pas à trois.

Claire Burger : « Je suis Forbachoise, j’ai passé vingt ans de ma vie là-bas, j’ai tout fait pour en partir et quand je travaille j’y retourne ! ».
Claire Burger : « Je suis Forbachoise, j’ai passé vingt ans de ma vie là-bas, j’ai tout fait pour en partir et quand je travaille j’y retourne ! ». (© dorothée smith, courtesy Galerie les Filles du Calvaire)

Le personnage du père est quelqu’un de bien, il essaie de faire au mieux avec ses filles, cela fait du bien de voir un homme positif…

J’avais envie de faire le portrait d’un homme et de faire une déclaration d’amour à mon père, nos rapports sont compliqués et c’est une façon de lui parler alors que je ne peux pas forcément le faire dans la vraie vie. Je suis quelqu’un par ailleurs très féministe, qui soutient vraiment la plupart des causes féministes, mais j’avoue que j’ai toujours pensé que c’était important de faire participer les hommes à ce féminisme. Il y a plein d’hommes sensibles, vulnérables, je me dis que c’est juste dommage que ce soit parfois aussi compliqué pour eux de pouvoir l’exprimer, le montrer, et surtout c’est très peu représenté, c’est important qu’il y ait des modèles.

Pourquoi avoir mis l’accent sur l’accès à la culture, très vivante en province et notamment dans une ville comme Forbach ?

C’est quelque chose à laquelle je tenais beaucoup, comme je m’inspirais de mon père et qu’il est véritablement comme ça, obsédé par la culture dans une consommation presque boulimique de tout, faire son portrait c’était donc aussi forcément parler de culture. Mais ça m’intéressait de le faire parce que finalement ce n’est pas évident de mettre en place au cinéma des personnages qui aiment la culture ; quand c’est fait c’est souvent effectivement assez parisien, assez élitiste, ou alors pour marquer socialement les personnages dans une catégorie très bourgeoise. J’ai eu un peu peur, mais ça m’a très vite excitée de me dire que j’allais travailler en utilisant des œuvres des autres, créer quelque chose en intégrant d’autres créations, et surtout avoir un discours sur la culture de région, et pour les classes moyennes, des gens qui vivent aussi émotionnellement des choses grâce à la culture, il y a plein de gens comme ça pour qui la culture c’est vraiment important.

« C’est dramatique que le Front national fasse de tels scores »

Effectivement, vous montrez aussi cette classe moyenne, qu’on ne voit pas beaucoup dans le cinéma français…

Je voulais faire le portrait de mon père, qui est un petit fonctionnaire de sous-préfecture, c’est la classe moyenne inférieure, avec un petit salaire. J’ai tout de suite senti que ça allait être compliqué, parce que c’est plus cinégénique d’aller filmer une femme qui travaille dans un cabaret qu’un fonctionnaire de sous-préfecture, mais cette difficulté m’a un peu excitée. C’est vrai que cette classe n’était pas très représentée, et qu’il y avait un challenge aussi pour moi de ne pas filmer une classe populaire qui aurait beaucoup d’obstacles ou alors une classe bourgeoise qui offrirait de super décors. On a toujours envie d’essayer d’explorer des choses qui ne se sont pas faites ou qui se font peu, donc l’idée d’aller filmer un homme sensible, la classe moyenne, d’essayer de représenter la culture, c’étaient des choses pas très sexy sur le papier, mais pour moi vraiment intéressantes à tenter.

Même si votre film n’est pas directement politique, c’est aussi une réponse au vote Front national dans la région ?

Bien sûr, je sais que je ne me fais pas beaucoup d’amis dans la région quand j’affirme que pour moi c’est vraiment triste et dramatique de constater que le Front national fait de tels scores là-bas, mais je n’y peux rien, je trouve ça insupportable. Pour être retournée à Forbach, je me rends bien compte que la réalité des gens sur place est dure, encore plus dure que celle que j’ai connue quand j’ai grandi là-bas, je vois bien que ça c’est vraiment polarisé, et que les tensions sont extrêmes, mais pour moi c’est tellement une évidence que le Front national ne peut pas être une solution, ce serait catastrophique à tous les niveaux, et entre autres au niveau de la culture, ça me rendrait tellement triste de savoir que Forbach bascule aux mains du Front national. Je ne voulais pas masquer la réalité, mais les Forbachois ont peur qu’on ne montre que le côté glauque. A force de faire des films là-bas, je me rends compte qu’il y a une responsabilité, je n’ai pas voulu mentir mais j’avais aussi envie de donner à ma ville la possibilité de parler d’amour.

Est-ce que vous pourriez tourner ailleurs qu’à Forbach, ou est-ce que vous avez besoin de cette accroche, de ce repère ?

Honnêtement je ne sais pas, à chaque film je me dis que le prochain je ne le ferai pas à Forbach, et à chaque fois j’y retourne quand même. Je me dis qu’il faudrait que j’arrête, parce que ce serait intéressant d’explorer d’autres territoires, et en même temps il y a quelque chose de fascinant à avoir toujours le même décor et de changer les histoires, c’est passionnant. Quand j’écris, j’ai besoin d’incarner des lieux, donc je ne sais pas si je vais y arriver. Je vis à Paris mais j’ai grandi à Forbach, je n’ai pas encore envie de tourner à Paris, c’est un lieu qui a été trop filmé, je n’arrive pas à le saisir d’une façon singulière et personnelle. Je suis Forbachoise, j’ai passé vingt ans de ma vie là-bas, j’ai tout fait pour en partir et quand je travaille j’y retourne !

Forbach devient d’ailleurs un vrai territoire de cinéma, puisque votre complice Samuel Theis va y tourner cet été son nouveau film, « Petite nature »…

Samuel, c’est un peu comme mon frère, lui a grandi à Saint-Avold, moi à Forbach, on s’est rencontrés à 18 ans, on est montés ensemble à Paris, et on a ce parcours de jumeaux, c’est un territoire qu’on explore tous les deux, on essaie tous les deux d’avoir une pratique de cinéma assez sincère et authentique. Mais on n’est pas les seuls, il y a aussi Régis Sauder qui a fait un film là-bas, « Retour à Forbach », Marie Dumora aussi, « Forbach forever » ; c’est assez drôle de penser que la ville devient d’une certaine façon un territoire de cinéma.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« C’est ça l’amour », un film de Claire Burger, avec Bouli Lanners, Justine Lacroix et Sarah Henochsberg (sortie le 27 mars).

« Bouli Lanners a une espièglerie, quelque chose d’enfantin dans le regard, il a ça en commun avec mon père », estime la réalisatrice.
« Bouli Lanners a une espièglerie, quelque chose d’enfantin dans le regard, il a ça en commun avec mon père », estime la réalisatrice.
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