Solveig Fenet, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm); François Hirsch, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Hervé Chneiweiss, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
Révolution en cours pour les biotechnologies : la technique d’édition des génomes CRISPR/Cas9 pourrait permettre de grandes avancées dans les domaines de la médecine, de l’agriculture, et, plus largement, impacter la société tout entière.
Qu’est-ce que CRISPR/Cas9 et comment cela fonctionne ?
Le ruban d’ADN de 3 milliards de lettres et 1 mètre de long qui porte le patrimoine génétique d’un être humain est une chose fragile, sans cesse rompu par les multiples stress que subit une cellule. Heureusement de puissants mécanismes de réparation veillent et œuvrent, parfois mis en défaut et c’est la maladie, cancers ou vieillissement accéléré. À partir de découvertes sur les mécanismes de réparation de l’ADN, les chercheurs ont tenté depuis longtemps de mimer cette fonction. Mais les techniques développées jusque-là étaient coûteuses, peu efficaces, peu précises et fastidieuses.
CRISPR/Cas9, ce sont deux éléments biologiques : CRISPR et Cas9. CRISPR – pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats– est un système naturel utilisé par les bactéries pour se protéger des infections virales. Quand une bactérie est attaquée par un virus, elle se protège en découpant son ADN et en garde la mémoire en conservant quelques fragments. CRISPR est une sorte de disque dur pour stocker ces fragments. Quand la bactérie est de nouveau attaquée par le même virus elle possède alors sa « fiche d’identité » stockée dans CRISPR. Les fragments « mémoire » vont agir comme un aimant en reconnaissant l’ADN du virus et permettre l’intervention d’un ciseau moléculaire, Cas9, qui découpe et détruit le virus. La bactérie est ainsi protégée du virus.
En 2012, plusieurs équipes ont adapté le principe aux cellules animales et développé des systèmes CRISPR/Cas9 pouvant être programmés pour cibler n’importe quel gène. Grâce à de multiples variants, naturels ou bricolés par des ingénieurs en biotechnologie, il est devenu possible non seulement de couper un gène mais aussi de le réparer, de le modifier ou d’en moduler l’expression, en l’augmentant ou en la diminuant. La méthode est redoutablement efficace, relativement simple, très rapide et peu coûteuse. Une révolution biotechnologique est en marche.
Quelles sont les applications de CRISPR/Cas9 ?
Comme on le devine, les possibilités d’application de CRISPR/Cas9 sont multiples, voire infinies en biologie et en médecine. Cette technique s’applique à n’importe quelle espèce, à toute la biodiversité du vivant sur la planète.
En juin 2016, l’Institut National américain de la Santé (NIH) a donné son accord pour porter le premier essai clinique utilisant CRISPR/Cas9 sur l’humain, pour créer en laboratoire des cellules immunitaires génétiquement modifiées afin de combattre trois types de cancer. Le cancer se produit lorsque les cellules ne meurent plus et se multiplient tout en se cachant du système immunitaire. Avec CRISPR, les scientifiques pourraient modifier en laboratoire des cellules immunitaires de notre organisme, une fois réinjectées dans notre corps, ces cellules génétiquement modifiées seraient alors capables de combattre les cellules cancéreuses. Ainsi, CRISPR pourrait aussi nous débarrasser du virus VIH et d’autres rétrovirus qui se cachent dans l’ADN humain, comme le virus de l’herpès.
CRISPR/Cas9 offre aussi beaucoup d’autres espoirs sur le plan thérapeutique pour guérir les maladies rares et héréditaires. De ce fait, la technique intéresse beaucoup les associations de patients atteints de maladies rares et héréditaires (l’Alzheimer, maladies de Parkinson, de Huntington, etc.). Avec cette technique, la modification du génome de cellules germinales (les cellules sexuelles) et de l’embryon devient accessible à tous.
Sur les animaux, la technique de CRISPR/Cas9 peut être utilisée pour les rendre plus résistants aux maladies, mais aussi pour augmenter la production de viande en les rendant plus corpulents. En Australie, CRISPR a également été testé pour modifier le gène responsable de l’allergie aux œufs de poule et rendre alors les œufs hypoallergéniques.
On envisage aussi d’utiliser CRISPR/Cas9 pour modifier les moustiques Anopheles, qui transmettent le paludisme. Par la technique du « gene drive » ou « forçage génétique », on pourrait modifier des milliers de moustiques Anopheles pour les empêcher d’être vecteur de parasites. Ceci devrait permettre d’éradiquer en quelques générations les maladies affectant essentiellement les populations des pays aux économies les plus fragiles.
Sur les plantes, CRISPR/Cas9 viendrait remplacer les OGM, les herbicides et pesticides. Au lieu d’injecter un composant étranger, on pourrait directement modifier l’ADN de toute son espèce pour la rendre définitivement résistante aux maladies, comme le mildiou, ou pour la rendre plus productrice.
Sur les micro-organismes, des scientifiques essaient de modifier le génome de certaines levures pour qu’elles puissent produire des biocarburants. À ce propos, la firme Monsanto vient de signer le premier accord de licence industrielle avec le Broad Institute d’Harvard qui possède les brevets déposés par l’équipe de Feng Zhang, concurrent des co-découvreuses Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier.
Quelles sont les enjeux techniques et éthiques de CRISPR/Cas9 ?
Le principal enjeu technique de CRISPR/Cas9 est qu’on ne connaît pas encore suffisamment le rôle de tous les gènes, et donc les conséquences à long terme de telles modifications sur le génome, que ce soit chez l’être humain, les animaux, les plantes. La modification du génome peut juste se transmettre sans variation mais elle pourrait dans certains cas entraîner une réaction en chaîne de changements dans l’ADN qu’on ne saurait contrôler. La technique du « gene drive » modifierait-elle seulement le génome de la population visée ou pourrait-elle être transmise à d’autres espèces ? La disparition d’une population jugée nuisible entraînerait-elle le déséquilibre de tout un écosystème ?
Sur le plan sécuritaire et militaire, la technique est simple et à faible coût, ce qui la rend accessible à tous les scientifiques et amateurs de « biologie dans un garage », soulevant des questions sécuritaires nationales non négligeables à l’heure du terrorisme. CRISPR a été déclarée découverte scientifique de l’année 2015, mais a aussi été classée au rang des armes de destruction massive par les Agences de sécurité américaines.
Déjà d’autres techniques de modification du génome ont été développées depuis CRISPR/Cas9. Ainsi, ce n’est pas la technique en elle-même qui soulève le plus de questions éthiques, mais la possibilité de pouvoir modifier simplement et de créer le vivant à façon, ouvrant par exemple la porte à un eugénisme sans limite.
Cette découverte s’inscrit dans un débat plus large sur notre société, agitant des questions relevant du transhumanisme, de l’expérimentation animale et de la protection de l’environnement. La science a dépassé la fiction : n’avons-nous pas déjà accepté la pré-sélection de nos bébés avec le dépistage précoce de la trisomie 21 ? Quelle est la limite à ne pas dépasser, en sachant qu’aujourd’hui nous sommes capables de réaliser les fantasmes les plus fous de nos aïeux ? Quelles sont les applications des techniques de modifications du génome que nous pouvons autoriser et celles que nous devons interdire, et celles que nous pouvons autoriser, contrôler et surveiller ?
Tel est le débat d’ores et déjà engagé par de nombreuses institutions publiques françaises dont l’Inserm, et étrangères tel l’institut Harvard. Par exemple, les chercheurs de Harvard, dans leur accord avec Monsanto, ont imposé à cette compagnie des restrictions éthiques d’utilisation de CRISPR (interdiction de créer des semences stériles, limitation de la manipulation des feuilles de tabac…). Seule une recherche importante et dynamique pourra répondre aux multiples questions scientifiques ouvertes, permettre d’élaborer les outils d’évaluation de la sécurité de la méthode et ainsi éclairer le public et les décideurs politiques pour autoriser ou non le transfert vers des applications utiles et sures.
Solveig Fenet, Ingénieur d’études, chargée de missions, Missions éthiques de l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm); François Hirsch, Directeur de recherche, responsable de la mission éthique de l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et Hervé Chneiweiss, Directeur de recherche UMR 8246 – Neurosciences, Président du comité d’éthique de l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.