Une assemblée générale décisive se tiendra le 5 novembre à Pont-Saint-Vincent, à environ 15 km de Nancy, pour décider des actions collectives à mener contre le projet d’extension de la carrière du plateau Sainte-Barbe.
En partant du fort Pélissier, un chemin caillouteux longe une corniche de verdure. Sur la droite, en contre-bas, Pont-Saint-Vincent borde la Moselle canalisée. Quelques maisons s’échappent à flanc de colline et lézardent sous le soleil. Devant, au loin, l’aéroclub d’où s’envolent de grands oiseaux blancs lorsque le temps le permet. Le randonneur averti préfèrera franchir une petite bute, sur sa gauche, en se faufilant sous un arbre rabougri. Voici la lande millénaire du plateau Sainte-Barbe de Bainville-sur-Madon, en Meurthe-et-Moselle, à une quinzaine de kilomètres de Nancy. Marcher ici est interdit. Sacrilège, même, en raison de l’intérêt écologique de cette pelouse calcaire de 180 ha classée Espace naturel sensible et même Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).A quoi s’ajoute l’APPB (Arrêté préfectoral de protection du biotope du plateau Sainte-Barbe).
Ici, le temps s’est arrêté pour offrir à des espèces rares et protégées, le milieu naturel dont elles ont besoin pour s’épanouir. On y trouve à foison plusieurs espèces d’orchidées, comme l’Orchis brûlé. Mais aussi des peuplements entomologiques remarquables : sauterelles, grillons, criquets ; des papillons comme le Flambé ou le Grand damier ; des reptiles, comme la coronelle, le lézard des murailles ; ou encore le crapaud sonneur à ventre jaune. Un univers aussi fascinant que fragile.
Une carrière à ciel ouvert
En traversant la lande, des bruits d’engins de chantier viennent troubler la quiétude du lieu. Il s’agit d’une carrière en exploitation. Jadis, furent extraites ici les pierres qui ont servi à la construction de l’église Saint-Epvre de Nancy. Depuis une vingtaine d’années, l’entreprise Carrières & Matériaux Nord Est (CMNE), propriété du groupe Société des Carrières de l’Est (filiale du groupe Colas-Est), produit et vend aux professionnels du BTP et aux particuliers des granulats naturels, matériaux calcaires de différentes granulométries pour la construction (routes et immeubles).
Des dizaines de milliers de tonnes de caillasse sont extraites chaque année de cette carrière à ciel ouvert. Tous les jours de la semaine, un ballet ininterrompu de gros camions monte et descend la petite route sinueuse qui conduit de la RD 974 au plateau Sainte-Barbe et à la carrière de Bainville-sur-Madon. Parfois, un tir de mine ébranle les habitations alentour.
Demande d’extension contestée
L’autorisation d’exploiter la carrière arrive à terme à la fin de l’année 2024. L’exploitant a donc logiquement demandé une autorisation de renouvellement mais aussi d’extension de la carrière pour une durée de 30 ans dont 28 ans d’exploitation (9 920 000 tonnes sur 28 années, soit 350 000 tonnes par an) et deux ans pour terminer la remise en état et le réaménagement du site.
L’extension porte sur une zone de 14 ha de pelouse calcaire. Les élus de la communauté de commune Moselle-et-Madon ont modifié le PLU (plan d’occupation des sols) en conséquence. Ils prennent en compte l’intérêt économique d’une telle entreprise sur leur territoire. Et les royalties qui vont avec pour la seule commune de Bainville. Pourtant, de nombreux riverains des villages alentour s’opposent aux autorisations sollicitées. Et ils le font savoir.
Associations, manifestations, pétitions…
Regroupés au sein de plusieurs associations, ces riverains mécontents demandent à la préfecture de Meurthe-et-Moselle de refuser les autorisations de poursuite de l’exploitation et surtout d’extension de la carrière. Le Collectif citoyen de protection du plateau de Sainte-Barbe (CCPPSB) qu’anime Joëlle Herrault, [composé de l’association Chaligny en Transition et Résister et Agir en Moselle et Madon (R§Agir)] mènent le combat. Leurs arguments ? La nécessaire sauvegarde des pelouses calcaires, la préservation des espèces protégées, les risques d’effondrement des galeries souterraines alimentant en eau potable la commune de Pont-Saint-Vincent, les nuisances sonores des camions bennes, les risques des tirs de mine pour les habitations, etc.
Ils redoutent aussi le remblaiement de la carrière existante avec des déchets issus du BTP qui « transformera le plateau en une énorme déchetterie avec un risque éventuel de pollution des eaux souterraines » comme le souligne René Denille, coprésident de R§Agir.
Le Collectif a organisé des réunions, des manifestations devant le siège de la communauté de communes de Neuves-Maisons, notamment le 7 juin 2024. Et même une pétition qui, à ce jour, a recueilli plus de 3400 signatures.
L’enquête publique « favorable »
L’enquête publique a duré 53 jours. Elle a recueilli 1116 visiteurs et un nombre incalculable d’observations. Elle s’est achevée le 7 juin 2024 avec un « avis favorable » du commissaire-enquêteur, Jean-Michel Hablainville.
Ce dernier émet cependant deux réserves :
- Réaliser le plus tôt possible des relevés sismographiques dans la propriété des plaignants du secteur des hauteurs de Pont-Saint-Vincent (rue Albert Munier et voisines) afin de mesurer les vibrations lors des tirs de mine. Faire les mesures pendant deux mois minimum et communiquer les résultats à la DREAL ;
- Demander au préfet de Meurthe-et-Moselle la création d’une CSS (Commission de Suivi de Site), suivant l’article L125-2-1 du Code de l’Environnement, dès l’autorisation éventuelle d’exploitation, en y intégrant les associations locales et les communes de Bainville-sur-Madon et Pont-Saint-Vincent, avec une réunion annuelle au minimum.
Les arguments de l’exploitant
Dans ce document, l’exploitant CMNE précise qu’il se conforme à tous les textes règlementaires en vigueur, notamment des Installations classées pour la protection de l’Environnement (ICPE). Il sollicite une autorisation environnementale pour :
- Une exploitation sur 28 ans avec extraction de 350 000 tonnes/an en moyenne (max 500 000 tonnes/an)
- Des tirs de mine contrôlés par sismographes selon les normes de l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques).
- Le remblaiement progressif du site utilisant : o 2 millions m³ de matériaux du site, o 4,5 millions m³ de déchets inertes externes
- Un recyclage limité (1-2% soit 2 500 à 5 000 tonnes) des matériaux reçus
- Un réaménagement en pelouse calcaire avec sentiers et panneaux pédagogiques
Pour limiter l’impact, l’exploitant propose :
- Un impact visuel limité depuis le village et la route,
- L’installation de merlons protecteurs autour du site
- Le contrôle strict des matériaux inertes reçus
- L’impact paysager temporaire sur le plateau, compensé par la renaturation finale
La CMNE précise : « Le projet s’inscrit totalement dans la notion de développement durable car il entend répondre aux besoins de la population locale tout en préservant l’environnement pour les générations futures. Le projet vise donc à poursuivre l’approvisionnement du marché local en permettant d’économiser les matériaux alluvionnaires. Cette substitution des matériaux alluvionnaires par des calcaires a été encouragée par le Schéma Départemental des Carrières et cette orientation est poursuivie dans le Schéma Régional des Carrières en cours de finalisation. »
« Une atteinte à l’environnement »
Les opposants ne sont pas convaincus. « Quelle garantie avons-nous que les déchets du BTP qui seront apportés pour remblayer seront réellement inertes et qu’il n’y aura pas d’apports toxiques, demande le Collectif ? Qui contrôlera ? ».
D’autres ajoutent : « Une carrière, c’est en soi une atteinte à l’environnement, nous n’en voulons pas. »
Ils ont dressé un catalogue d’arguments en 20 points (voir ci-dessous). L’argument le plus solide consiste à dire que de nouvelles extractions de granulats ne se justifient pas. « La référence au Schéma Départemental des Carrières est complètement caduque » affirment les opposants. »
Après plusieurs courriers à la préfète de Meurthe-et-Moselle, les riverains mécontents ont décidé de se réunir, le mardi 5 novembre à 18 heures, à Pont-Saint-Vincent. Il s’agit de « réactiver l’Association de défense de l’environnement du plateau Sainte-Barbe (ADEP) aujourd’hui en sommeil » précise René Denille. L’ADEP, présidée par Thierry Barateau, pourra collecter des fonds et mener différentes actions contre le projet.
Une vue sublime sur la plaine
Ils entendent protéger ‘’leur’’ pelouse calcaire d’une grande richesse biologique. Le petit chemin caillouteux du plateau s’éloigne de la carrière et conduit jusqu’au fort Pélissier, remarquable domaine de loisirs et de détente. Depuis le belvédère, à 420 m au-dessus des vallées de la Moselle et du Madon, la plaine offre au regard une mosaïque de formes et de couleurs avec des maisons bien rangées le long de la route, des champs aux contours géographiques irréguliers, une forêt sombre au pied de la colline de Sion. Et, au loin, là-bas, à l’horizon, la ligne bleue des Vosges.
Affaire à suivre…