Laurent Mucchielli, Aix-Marseille Université
Après avoir examiné les programmes de Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron dans l’article précédent, nous poursuivons et terminons ici notre revue critique avec l’analyse des programmes de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.
Benoît Hamon, toutes les délinquances dans le viseur
Benoît Hamon, vainqueur de la primaire à gauche et allié au parti écologiste, présente un programme avec, d’emblée, une différence par rapport à François Fillon et Emmanuel Macron. Sur son site Internet, il présente en effet l’équipe qui l’a aidé à constituer ce projet. Le citoyen ordinaire peut ainsi savoir qu’il a été conseillé par le député Dominique Raimbourg sur les questions de sécurité, par l’ancien procureur de la République Éric de Montgolfier sur les questions de justice et par un tandem constitué du député Yann Galut et de l’ancienne magistrate devenue élue écologiste Eva Joly en matière de « lutte contre l’évasion fiscale ».
Ce dernier point est important dans la mesure où, aux côtés des paragraphes du programme consacrés à la sécurité proprement dite, Benoît Hamon annonce vouloir faire de cette lutte contre la fraude et l’évasion fiscales « une priorité », avec des engagements concrets beaucoup plus détaillés que ceux proposés – nous l’avons vu – par Marine Le Pen : renforcement des moyens du parquet national financier et des brigades financières, professionnalisation du métier d’enquêteur financier, dénonciation des paradis fiscaux, instauration d’une « taxe sur les bénéfices détournés par les multinationales » et d’une taxe sur les « superprofits » des banques.
On remarque également que Benoît Hamon s’engage, d’une part, à renforcer le statut des lanceurs d’alerte, d’autre part à réformer le statut pénal du chef de l’État. À tous ces égards, on peut donc dire que son programme a intégré le problème des délinquances des élites politiques et économiques. Le reste est également très différent des programmes précédents, avec toutefois des engagements précis et d’autres qui restent beaucoup plus flous.
Benoît Hamon est très précis sur un autre point qui fait son originalité : la lutte contre les violences faites aux femmes. Là encore, il promet d’en faire une « priorité nationale » et prend plusieurs engagements très concrets tel que la création de 4 500 places d’hébergement spécialisé. Benoît Hamon propose, ensuite, de rétablir la police de proximité et d’améliorer les relations entre la police et les jeunes en introduisant le récépissé de contrôle d’identité (reprenant donc une promesse du candidat Hollande en 2012, que les ministres de l’Intérieur Manuel Valls et Bernard Cazeneuve ont fait par la suite échouer). Concernant les forces de l’ordre, il prévoit également la création de 5 000 nouveaux postes dans la police et la gendarmerie nationales, ainsi qu’une prime à la pénibilité pour ceux étant affectés dans les quartiers les plus difficiles ainsi qu’Outre-mer (sans plus d’explication).
Après ces propositions souvent très précises, le programme de Benoît Hamon est en revanche plus flou lorsqu’il aborde les questions de justice. Il parle en effet de « modernisation », de « simplification » et d’« augmentation des moyens » mais sans donner aucun détail. De même, la volonté de « faire un effort pour la dignité dans les prisons » apparaît comme bien peu concrète et le lien direct qui est fait avec « la préparation de la réinsertion » n’est du coup pas très intelligible. Généralité encore – mais aussi rappel d’un principe fondamental – avec l’engagement de « préserver la spécificité de la justice des mineurs ».
On remarque, enfin, une proposition certes générale mais néanmoins originale :
« J’inscrirai dans le Code de procédure pénal un droit de la victime définissant l’ensemble des droits reconnus à celle-ci lors de son procès. »
Le programme redevient plus précis sur deux points qui intéressent tout particulièrement la prévention de la délinquance. Sur la prévention de la récidive, Benoît Hamon promet d’accroître les moyens des services de probation et d’insertion de l’administration pénitentiaire. Ajoutons, pour finir, un élément qui n’est pas conçu comme tel dans ce projet (il est présenté au titre de l’égalité des chances) mais que les recherches sur la délinquance juvénile permettent de considérer comme très importants : sur ce que l’on appelle la prévention primaire, il promet de créer « un service public du soutien scolaire ».
Jean-Luc Mélenchon, droit à la sûreté et justice
Jean-Luc Mélenchon présente un programme sur un site Internet qui valorise assez fortement l’ensemble de son équipe. Il est ainsi aisé de repérer et lire la présentation des personnes en charge de tel ou tel aspect. La démarche même d’élaboration du programme de ce candidat se veut résolument collective, participative, et sa coordination générale a été confiée à deux universitaires (Jacques Généreux et Charlotte Girard).
La sécurité et la justice ne constituent pas l’un des sept axes programmatiques de ce candidat. En revanche, le programme se décompose en une série de « livrets thématiques » parmi lesquels un livret intitulé « Sécurité : retour à la raison » et un autre intitulé « Une justice au nom du peuple ». Le premier a été préparé par un groupe de travail animé par Lise Maillard, juriste, François Pirenne, professionnel du renseignement et Ugo Bernalicis, fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Le second par Hélène Franco, magistrate, et Xavier Robert, avocat. Ces deux livrets constituent de fait une réflexion beaucoup plus construite et argumentée que tout ce que nous avons passé en revue jusqu’à présent. Résumons leur contenu.
Concernant la sécurité, le texte part du principe que nous vivons depuis de nombreuses années un « affolement sécuritaire » à la fois « inefficace et liberticide », il dénonce ainsi la « politique spectacle » et « l’échec du sarko-vallsisme ». Il propose en retour « une démarche rationnelle plutôt que sensationnelle », repartant du principe du « droit à la sûreté » (énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et de faire respecter par l’État sa mission fondamentale de « sécurité publique » à travers trois concepts : prévention, dissuasion et sanction.
L’analyse est assez longue, mêlant dénonciation générale et argumentation précise, mais arrivons plutôt aux propositions afin de respecter l’équilibre de traitement entre les cinq candidats. À travers des « États généraux de la sécurité et de la sûreté générales », Jean-Luc Mélenchon propose de commencer par évaluer les problèmes et l’état des institutions, raison pour laquelle il ne donne aucun chiffre particulier. Il propose, en revanche, comme Benoît Hamon, de rétablir la police de proximité, en se montrant plus explicite sur les moyens d’y parvenir : formation, code de déontologie, évaluation de la police par la population, accueil du public, dédommagement des victimes collatérales, récépissé de contrôle d’identité, création d’une instance de contrôle externe, interdiction du taser et du flash-ball, suppression des brigades anti-criminalité (BAC), création d’une garde nationale composée de jeunes volontaires.
Le candidat prévoit, par ailleurs, d’en finir avec la guerre des polices en unifiant police et gendarmerie nationales dans une seule et même « garde républicaine », laquelle absorberait également les policiers municipaux (gardes-champêtres et agents de surveillance de la voie publique restant aux municipalités). Le tout permettrait de restaurer l’égalité de protection publique des différents territoires.
Afin de « lutte contre la petite délinquance », ce programme prévoit ensuite de s’appuyer sur la police de proximité, sur une politique de prévention afin de « bloquer à la racine les parcours délinquants ». Il prévoit également « la légalisation contrôlée et encadrée du cannabis » afin de sortir de l’échec du tout-répressif, la fin de la politique du chiffre et l’aide au développement des recherches universitaires indépendantes sur toutes ces questions.
Pour mettre en œuvre ce programme, le candidat propose de recruter 5 000 nouveaux policiers et gendarmes ainsi que 5 000 agents administratifs qui pourront libérer les précédents de postes sur lesquels ils ne remplissent pas leur mission, de même que la fin des emplois précaires (type adjoints de sécurité) et « la titularisation de ceux qui le souhaitent ». Le programme prévoit, enfin, de « traquer la délinquance financière » à travers une série de mesures parfois identiques à celles proposées par Benoît Hamon.
Sur le volet justice, le programme de Jean-Luc Mélenchon repose, d’une part, sur le constat d’une justice fonctionnant dans la misère et étant dès lors « à la botte des puissants », d’autre part sur la volonté de restaurer au contraire « une justice indépendante au service de l’égalité républicaine », soucieuse de l’intérêt général, vraiment indépendante du pouvoir politique et garante des libertés. S’en suit une longue série de propositions concrètes qui reprennent de nombreuses revendications faites par les professionnels du droit et de la justice depuis des années, ainsi que de nombreux constats établis par les rares recherches scientifiques sur la justice.
Indiquons, enfin, qu’elles s’appuient sur un effort budgétaire sans précédent consenti pour pouvoir y parvenir, avec notamment le recrutement de 18 000 nouveaux magistrats, greffiers et personnels administratifs. Cette préoccupation pour l’état de la justice et cette volonté d’y remédier sont inédites dans notre examen comparatif des programmes.
Trois réflexions conclusives
Cet examen comparatif des programmes des cinq principaux candidats suggère au moins trois réflexions conclusives générales.
- La première est relative aux ressemblances et différences objectives entre les contenus des projets des uns et des autres. Deux tandems se dégagent assez nettement de par leurs ressemblances. Le premier est celui associant Marine Le Pen et François Fillon, chez qui les ressemblances sont beaucoup plus nombreuses que les différences. Et le même constat vaut pour le tandem composé de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon. Il y a bien là deux pôles politiques très marqués, l’un de droite et l’autre de gauche. À côté d’eux, le programme d’Emmanuel Macron apparaît inclassable, reprenant des idées aux uns et aux autres sans véritable cohérence, mettant aussi en avant des lignes directrices autonomes apolitiques.
- La seconde réflexion est relative au degré d’élaboration et au mode de construction de ces programmes. Les cinq candidats peuvent être situés sur une échelle partant du plus construit, argumenté et détaillé, pour descendre en sens inverse. Au sommet de l’échelle se situe alors objectivement le programme de Jean-Luc Mélenchon, qui est le plus abouti, le plus cohérent, celui donnant le plus de transparence sur sa construction, se voulant le plus participatif et associant le plus de représentants de la société civile (qui sont parfois aussi des militants mais pas des élus), en particulier des professionnels et des universitaires. Celui d’Emmanuel Macron se veut également très participatif mais cette dimension apparaît davantage superficielle.
- La troisième réflexion est relative à ce que l’on pourrait appeler le degré d’idéologisation des programmes, défini comme le fait que l’argumentation générale et les propositions qu’ils contiennent procèdent davantage de présupposés idéologiques que d’un diagnostic de l’état de la société française ou d’une démarche évaluative quelconque. Cette empreinte idéologique les conduit du coup logiquement à des aveuglements, des déformations de la réalité voire des affirmations mensongères.
Les programmes de Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon apparaissent, en ce sens, comme très peu idéologiques sur ces questions. Celui d’Emmanuel Macron est complexe. Il associe en effet des principes généraux de réforme et de gouvernement qui ne relèvent pas de la sphère idéologique avec des insistances ponctuelles qui le sont au contraire clairement et ressemblent le plus souvent à des sortes de clins d’œil envoyés aux élus et aux électeurs de droite.
Enfin, deux candidats se distinguent par une forte idéologisation des questions de sécurité et de justice. C’est d’abord Marine Le Pen dont le programme est marqué par une volonté de réprimer et punir, par une défiance envers la justice et par l’hostilité à l’égard tant des étrangers que des musulmans, probable héritage du racisme constitutif de l’histoire de l’extrême droite française.
C’est ensuite François Fillon dont le programme est marqué par la même volonté de réprimer et punir, la même défiance envers la justice mais un bouc émissaire différent en ce que c’est moins sa race que sa classe qui le singularise : c’est ici la figure du mauvais pauvre. En ce sens, on pourrait parler chez François Fillon d’un racisme de classe.
Laurent Mucchielli, Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Aix-Marseille Université
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.