Prix du Jury à Deauville, le film de Babak Jalali est mélancolique, empathique, et élégant. Embauchée dans une fabrique de biscuits, une jeune réfugiée afghane est chargée de rédiger de courtes maximes glissées dans les cookies.
« Le moment est venu de s’aventurer », une phrase imprimée sur un petit bout de papier, glissé au milieu d’un gâteau, est tel une consigne fixée au personnage principal du film de Babak Jalali, « Fremont » (sortie le 6 décembre). Donya (jouée par Anaita Wali Zada), jeune réfugiée, vit depuis quelques mois aux Etats-Unis, dans une petite ville californienne, Fremont, où est rassemblée une petite communauté venue d’Afghanistan. Traductrice pour l’armée américaine à Kaboul, elle a été embauchée dans une fabrique de gâteaux, des « fortune cookies », dans le quartier chinois de San Francisco.
Timide, solitaire, sa famille est restée en Afghanistan, le quotidien de Donya se limite à son travail répétitif, des soirées dans un resto vide devant un feuilleton télé, et des nuits d’ennui. « J’ai juste du mal à dormir », dit-elle à un psy qui veut à tout prix lui trouver un trouble post-traumatique, et qui pleure à la lecture de « Croc-Blanc ». Le moment de s’aventurer est venu lorsque tombe soudainement sur le clavier la tête d’une vieille dame, jusqu’alors préposée à la rédaction des petites maximes glissées dans les biscuits porte-bonheur. Donya va alors passer de la fabrication pâtissière à l’écriture de ces fameux messages, de courtes maximes empreintes d’espoir et de sagesse, « ni trop optimistes, ni trop longs, ni trop originaux », du genre « La vertu se situe au milieu ».
Du charme et de l’empathie
Espérant un coup de pouce du destin, la jeune fille en profite pour inscrire son numéro de téléphone sur un petit bout de papier inséré dans un biscuit, comme une bouteille à la mer. Prix du Jury au Festival de Deauville (ex-aequo avec « The Sweet East », de Sean Price Williams), « Fremont » est un film qui a du charme et de l’empathie, c’est un délice. S’il cite les premiers films de Jim Jarmusch et Wes Anderson parmi ses influences, le réalisateur Babak Jalali se réfère surtout à Aki Kaurismaki : « C’est vraiment le réalisateur qui m’a donné l’envie de réaliser moi-même », dit-il, emplissant son film de mélancolie et d’humour, comme son modèle.
Actrice débutante, la jeune Anaita Wali Zada, qui incarne Donya, était journaliste à la télé afghane, et n’était arrivée aux Etats-Unis que cinq mois avant le tournage de « Fremont ». Sa grande présence à l’écran est magnifiée par une élégante image carrée et noir-et-blanc : « C’est un format qui rappelle l’isolement du personnage principal, elle est comme enfermée », précise le cinéaste, qui raconte la solitude de l’immigrée et des relations humaines simples, bienveillantes, sans méfiance ni haine. La morale de l’histoire est inscrite dans un de ces « fortune cookies », que les festivaliers deauvillais avaient pu goûter après la projection du film : « Le bonheur que vous cherchez est dans un autre biscuit ».
Patrick TARDIT
« Fremont », un film de Babak Jalali, avec Anaita Wali Zada (sortie le 6 décembre).