Point-de-vue– L’ancien secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert, pose ici le problème de l’immigration sous un angle humaniste. Vaste débat.
Par Christian Eckert
Les débats sur l’immigration sont toujours délicats. Surtout lorsque la situation sociale (et le Gouvernement actuel semble ne pas le voir) est difficile pour nos concitoyens.
Lorsque la vie est dure parce que trop chère, lorsque le sentiment d’injustice s’impose face aux inégalités choquantes, lorsque l’avenir n’offre plus l’espoir d’un épanouissement un temps espéré, le rejet de l’autre est un réflexe fréquent. La tentation est alors souvent d’expliquer ses propres difficultés par la présence ou l’arrivée de personnes d’origine différente.
L’histoire montre que cela profite toujours aux mouvements extrémistes, le plus souvent de droite, qui surfent sur ces thèmes populaires, voire populistes : « si je souffre, c’est la faute aux juifs, aux immigrés, à celles et ceux qui n’ont pas la même couleur de peau ou la même religion que moi… ».
Raisonnement simpliste et délétère
Beaucoup de guerres sont nées comme cela, allant jusqu’à des massacres organisés, et cela, sur tous les continents du monde.
L’intelligence de l’Homme devrait surmonter ce raisonnement simpliste et délétère.
Concernant les consultations en cours pour rechercher un vote majoritaire sur un texte « immigration », deux sujets m’interpellent :
La suggestion d’accorder des visas à des personnes pouvant occuper des métiers dits en tension :
Pour reprendre une formule désormais célèbre, « notre territoire ne peut accueillir toute la misère du monde ». Alors quels sont les critères qui doivent guider nos choix ? Le principal motif d’accueil doit être d’offrir l’asile à des personnes en grave danger dans leur pays de résidence. Les persécutés de toute nature (politique, religieuse, raciale, sexuelle…) doivent évidemment être mis en sécurité avant toute préoccupation concernant la « rentabilité » de leur accueil.
L’humanisme ne saurait conduire à sélectionner les personnes à recevoir chez nous en fonction de l’apport économique qu’ils représentent. D’autant que cette façon de faire, éthiquement condamnable, fera aussi s’appauvrir le pays d’origine en le privant de ses forces les plus utiles. La droite s’oppose à cette mesure, craignant d’y voir un appel d’air. Une partie de la gauche y semble s’accrocher pour créer une possibilité d’accueil de plus. Les deux positions me semblent surréalistes, comme si les migrations devaient s’avérer rentables économiquement avant d’être guidées par la protection de vies en danger.
L’idée de remettre en cause l’Aide Médicale d’Etat :
L’Aide Médicale d’Etat est une disposition qui consiste à soigner les personnes sur notre territoire sans exiger qu’ils soient assurés sociaux. À charge de récupérer ensuite le montant des soins, soit auprès du patient, soit auprès de son pays d’origine et de son assurance s’il en a une, soit en lui ouvrant des droits s’il est en situation régulière avec, par exemple, la CMU (couverture maladie universelle). Il est vrai qu’une proportion de ces patients ne répond à aucun critère pour obtenir un paiement, et qu’il arrive que les soins ne soient jamais remboursés. Il est vrai aussi que des abus sont relevés, parce que des étrangers viennent en France uniquement pour se faire soigner, parfois lorsqu’ils sont gravement malades.
Un principe d’humanité
En charge du budget, je me souviens que lorsque les dépenses de santé dépassaient les 400 Milliards d’Euros, l’AME se chiffrait au total à environ un milliard. Donc les sommes non recouvrées (forcément inférieures) représentaient moins de 0.5 % des dépenses. Soigner sans préalable sauve des vies, évite la propagation d’épidémies, répond à un principe d’humanité dont s’honore la France.
Je soutiens, quitte à être vilipendé, que le pays des Lumières doit savoir consacrer cette part fort modeste de sa richesse à soigner des femmes, des hommes et des enfants… Dans certaines religions, il est demandé que la générosité atteigne 10 % de ses revenus… À l’entrée de l’hôpital, doit-on renvoyer des êtres humains parce qu’ils n’ont pas une situation administrative précise ?
Faut-il attendre des compromis recherchés au Parlement des réponses autres que celles guidées par la recherche d’accords de circonstance ? Pour éviter un nouveau 49-3, certains sont prêts à accepter l’inacceptable, à perdre leur âme et à prendre les postures populistes à la mode. J’espère encore que la raison l’emportera…