Restauré, le film de Max Ophuls est un vrai mélo à l’ancienne, élégant et mélancolique.
« Lorsque vous lirez ceci, je serai morte… ». Dans Vienne des années 1900, Stefan Brand reçoit une lettre qui commence ainsi. Pianiste, ancien jeune prodige désormais gloire passée, séducteur compulsif, il s’apprête à quitter la ville à l’aube, pour échapper à un duel avec un mari jaloux et certainement bafoué. Mais son destin sera perturbé par la lecture de cette « Lettre d’une inconnue », titre du film de Max Ophuls, adapté d’une nouvelle de Stefan Sweig publiée en 1922. Restauré en en 4K et sélectionné à Cannes Classics, ce grand classique de 1948, qui ressort le 9 février sur grand écran, est le récit d’un amour impossible.
Comédien français devenu une célébrité aux Etats-Unis, Louis Jourdan, « joli garçon, belle prestance », l’image même du french lover, incarne cet inconséquent Stefan Brand. Joan Fontaine joue quant à elle l’inconnue, autrice de la lettre, Lisa, toute jeune fille lorsque le beau et intriguant Stefan avait emménagé dans l’appartement voisin. Et dont elle tombe aussitôt amoureuse. Un temps éloignée de Vienne, après le remariage de sa mère, courtisée par un jeune lieutenant, Lisa se réserve pour Stefan qui n’en sait rien.
Du romantisme en noir-et-blanc
De retour à Vienne, jeune femme séduisante, indépendante et solitaire, elle revoit un soir cet homme qui ne l’avait jusqu’alors à peine remarquée. Ils vont partager un dîner, une promenade dans un parc enneigé, une rose blanche, un voyage immobile dans un train de foire aux décors peints, une danse, et une nuit. Le lendemain, le musicien prend un train pour aller jouer à Milan, doit en revenir quinze jours plus tard. En fait, une décennie passe avant qu’ils ne se revoient, un soir à l’opéra. Entre-temps, Lisa a accouché d’un petit garçon qu’elle a évidemment prénommé Stefan, s’est mariée avec un autre. Et lui ne la reconnait même pas, Lisa est à peine un souvenir pour lui, une femme parmi tant d’autres.
Second film tourné par Max Ophuls aux Etats-Unis (après « L’exilé »), cette « Lettre d’une inconnue » est un vrai mélo à l’ancienne, élégant et mélancolique. Un cinéma hollywoodien qui a disparu, du romantisme en noir-et-blanc, un couple glamour, un décor recréant la Vienne d’époque, et un récit prenant son temps jusqu’à la fin de la nuit. Une voix off nous lit cette lettre déchirante, racontant une passion absolue, les hasards et le désir, les ratés de la vie, et au point final Lisa ne sera plus une inconnue pour son destinataire désemparé.
Patrick TARDIT
« Lettre d’une inconnue », un film de Max Ophuls, avec Joan Fontaine et Louis Jourdan (ressortie le 9 février).