Point-de-vue- La dette dite « COVID » alimente le débat politique. Certains affirment que cela sera un enjeu de la prochaine campagne présidentielle… Ou pas… L’avis de l’ancien secrétaire d’État au Budget.
Par Christian Eckert
La question n’est pas de savoir si le « Quoi qu’il en coûte » était nécessaire, ni de pointer les excès ou les manquements inhérents à des dispositifs élaborés en urgence et qui doivent uniformément s’appliquer à des situations spécifiques et hétérogènes… Mon point de vue est d’ailleurs d’en approuver les grandes lignes. Ma seule vraie réserve est de regretter que pour des grandes entreprises (de type Air France…), les prises de participation n’aient pas été privilégiées par rapport aux P.G.E. (Prêts Garantis par l’État). Cela aurait permis de mieux imposer des contreparties.
Les vrais enjeux
Toujours est-il que la dette a très fortement gonflé, en volume comme en pourcentage d’un P.I.B. naturellement lui-même en chute libre. Cette situation nouvelle imposera, lorsque la crise sera jugulée, une approche responsable et volontariste.
Comme souvent, quand les choses sont compliquées, il faut chercher quelques éléments simples pour tenter de comprendre les vrais enjeux.
Il faudra être attentif au recensement des montants à inclure dans la vraie dette « COVID » :
La gestion de notre pays (avec des nuances inutiles à développer ici) génère depuis des années une dette croissante avec le temps. La plupart des gouvernements ont inscrit la maîtrise voire la réduction de la dette comme objectif et tous ont échoué (là encore avec des nuances). Les Français ont conscience du risque que crée une dette trop lourde. Ils considèrent souvent que le renoncement aux dépenses récurrentes et que le consentement à de nouveaux prélèvements sont individuellement pour d’autres qu’eux-mêmes et collectivement pour plus tard. La tentation du gouvernement est donc de « profiter » de la dette « COVID » pour mettre sur le dos du virus ce qui relève de décisions sans rapport direct avec la crise sanitaire.
Des sommes gigantesques
S’il est incontestable que le virus est la cause de pertes de recettes fiscales ou sociales, il n’est pas admissible d’y inclure – et ce n’est qu’un exemple – les pertes de recettes structurelles liées à l’abandon à hauteur de 10 milliards PAR AN, d’impôts dits de production pour les entreprises (essentiellement les plus grosses). De même, le gouvernement a inclus dans des transferts à la CADES, des déficits prévisionnels de comptes sociaux, à des niveaux estimatifs qu’il conviendra de comparer le moment venu à la réalité d’exécution. On atteint vite des sommes gigantesques faute de précision ou suite à des amalgames intellectuellement malhonnêtes.
La question du cantonnement de la dette est un faux-débat :
Mettre dans une structure de type CADES les dettes COVID ne change pas grand-chose à la question. Comme le passé éclaire l’avenir, il faut remarquer que les transferts de dette dans un compartiment censé étanche ont fluctué avec le temps. De même, les recettes affectées à ce réceptacle pour rembourser son contenu ont été ajustées au fil de l’eau. Les gouvernement ont changé les « règles intangibles » censées conduire à l’extinction des dettes dans des délais eux-mêmes variables. Bref, ce qu’un gouvernement avait voulu figer, un autre a pu légitimement le modifier.
Structurel et conjoncturel
La crise sanitaire majeure d’aujourd’hui ou tout autre événement exceptionnel autorisent heureusement de déroger à des planifications de longue durée. L’avantage d’un cantonnement (sous la réserve faite plus haut) a un avantage psychologique : il permet une lecture plus objective des questions de finances publique en distinguant le structurel du conjoncturel. Mais pour autant, les comptes publics sont intangibles et quels que soient les lignes, affectations ou compartiments, le pied de colonne reste le même et ne trompe personne.
La dette perpétuelle est une pratique curieuse et en fait déjà largement pratiquée :
On ignore souvent qu’une majorité des emprunts conclus pour couvrir notre dette publique sont des emprunts dits « in fine » : on ne paye annuellement que les intérêts. Le capital lui, est exigible en totalité à la fin de la durée de l’emprunt souscrit. Comme notre pays reste largement déficitaire, il lui est impossible de rembourser ce capital. Il le fait en souscrivant un nouvel emprunt de même montant et… On repart pour un tour. Ainsi, tous les ans, notre pays emprunte pour couvrir son déficit et EN PLUS, il réemprunte pour rembourser le capital des emprunts arrivant à échéance.
Une dette perpétuelle
C’est en fait une dette qui est déjà et demeurera perpétuelle, sauf si nos budgets devenaient excédentaires ! Cette idée de dette perpétuelle (déjà largement en vigueur) a, de plus, l’inconvénient moral de donner aux prêteurs des rentes perpétuelles… Certes l’arrivée de taux négatifs intervertit actuellement le bénéficiaire comptable, mais le taux consenti – fût-il négatif – n’est certainement pas perdant pour le prêteur ! L’idée de rente perpétuelle interpelle également sur la nature du prêteur, sa nationalité, son caractère public, parapublic ou privé…
Les pertes engendrées par des annulations de dettes toucheraient aussi concrètement les français :
Il n’est pas simple d’identifier ceux à qui la France doit au final payer ses dettes. Les dettes se vendent, s’échangent, se rachètent, se titrisent, se donnent en garantie, s’agglomèrent… au gré des marchés financiers d’une inventivité extrêmes. Pour autant, directement ou par ricochet, les assurances-vie ont largement investi dans les emprunts d’État. L’Assurance-vie française représente des encours arrivant aux trois quarts de la dette publique française. L’annulation de tout ou partie de la dette de la France impacterait significativement les encours des épargnants français.
Des pertes considérables
L’Assurance-vie souffre déjà des faibles taux. Elle a des réserves qui cachent encore ces difficultés. Mais l’annulation de titres détenues sur la France entrainerait des pertes considérables pour elle. En aval, les épargnants français (qui ne sont pas tous des nantis loin s’en faut) se verraient sans doute lourdement pénalisés. Ce serait sans doute plus injuste qu’un remboursement classique, assuré par une recette ciblée (comme par exemple une taxation des grosses successions).
Les banques centrales peuvent pour autant être sollicitées :
La Banque Centrale Européenne détient une part de nos dettes suite à ses rachats destinés à faciliter leur gestion. Une neutralisation de cette fraction (autour de 15 à 20 %) parait possible par une gestion dans la durée, sans présenter d’inconvénients pour les épargnants. Outre une gestion dans le temps, un autre avantage serait de pouvoir afficher une forme de mutualisation au niveau européen. Souvent rejetée, aujourd’hui remise à l’ordre du jour, cette mutualisation pourrait sur ce sujet commun à tous les pays, redorer le blason de l’Europe sérieusement écorné par sa gestion de la crise sanitaire. L’absence statutaire de compétences juridiques en matière de santé a entrainé la faiblesse des compétences humaines dans la gestion des vaccins dans une intention louable. En matière de finances, pareil paradoxe semble inimaginable. Encore faudra-t-il affirmer la volonté politique.
Ces quelques réflexions sont volontairement dépouillées de considérations trop techniques et dépourvues des chiffrages habituels qui ne parlent pas à nos concitoyens tant ils portent sur des volumes à des années lumières de leur quotidien. Elles peuvent pour autant éviter de laisser dire n’importe quoi sur le sujet. Dans l’idéal, elles pourraient aussi constituer le socle d’un consensus qui ne règle pas tout mais qui circonscrit la question.