Antoine Ullestad, Université de Strasbourg; Frédérique Berrod, Sciences Po Strasbourg, and Louis Navé, Université de Strasbourg
Pour le FN, la mondialisation est une chimère économique incontrôlable et incontrôlée inventée par les riches pour prendre de l’argent aux pauvres. L’imaginaire populaire a fini par accepter cette idée. Comment lui en vouloir ? Cette position n’est que le produit d’une rhétorique politique qui fait le procès d’un terme – celui de mondialisation – derrière lequel, à dessein ou par ignorance, le FN a décidé de ranger tous les malheurs du monde.
Or, la mondialisation n’est plus une simple option politique. L’intégration économique mondiale s’accélère et n’est pas prête de s’arrêter : flux d’échanges croissants, multiplication des accords de libre-échange, interdépendance accrue des marchés financiers. Revenir aujourd’hui à une stratégie isolationniste, en plus d’être dépourvu d’efficacité, est sans doute impossible.
Sortir ? Mission impossible
La stratégie du FN face à la mondialisation se résume à vouloir se mettre hors-système pour ne pas ressentir ses effets néfastes. Mais considérer qu’il est possible de se mettre hors-mondialisation, c’est en fait se tromper sur la nature même d’un phénomène devenu inéluctable parce qu’il n’est pas exclusivement économique. En faisant fi de toutes les frontières tracées sur le sol, la mondialisation dépasse largement le champ commercial pour englober le renforcement des interdépendances de toute nature.
Une politique publique ne peut plus, par conséquent, supprimer les effets de la mondialisation. Plaider pour un repli national n’apporte aucune solution au problème mais propose bien plutôt de l’ignorer en s’isolant. Le FN oublie qu’il n’est pas possible de résumer sa participation sur la scène mondiale à un grand jeu de société qui accepterait deux catégories de joueurs mis sur un même pied d’égalité : d’un côté, ceux qui participent et qui lancent les dés et, de l’autre, ceux qui observent, regardent de loin, et font avancer leurs pions plutôt que passer leur tour.
Une option inefficace
L’agenda politique du FN oublie également que la mondialisation est facteur de croissance et de prospérité. Elle soumet les économies à des pressions concurrentielles créatives, stimulant l’innovation, offrant un accès aux nouvelles technologies et augmentant les incitations à l’investissement.
Sortir de la mondialisation est inefficace parce que les économies nationales, et le marché intérieur européen auquel chaque État de l’UE appartient, en ont besoin. L’Union européenne et ses membres ne vivent pas seuls. L’Union ne peut ignorer qu’il existe un extérieur à elle, qui ne lui appartient pas, mais dont elle doit tenir compte.
Alors, pour continuer à exister, que ce soit pour assurer la croissance et l’emploi ou pour parer une crise énergétique, pour développer les énergies nouvelles et renouvelables ou pour lutter contre le vieillissement de sa population, ou assurer le respect de ses valeurs, l’UE a besoin d’agir au-delà de ses frontières. C’est dans la mondialisation que l’Union et ses membres trouvent, et doivent continuer à trouver, leur force.
La muraille d’Europe
La mondialisation, quand elle n’est pas contrôlée, a aussi – il est vrai – des effets violents : fragilisation des liens sociaux, accroissement de la pauvreté et des inégalités, atteintes au climat, catastrophe environnementale, risque de désindustrialisation… Mais le seul moyen pour un État, même de la taille de la France, de se protéger contre la violence de ce monde sans-frontières est, contrairement à ce que préconise le FN, d’accroître son intégration dans l’UE. La question n’est alors pas de sortir de la mondialisation mais de concevoir les moyens de la dompter.
En période de crise ou de turbulence, le recours à des organisations collectives permet en effet une plus grande résistance aux chocs extérieurs qui justifie l’intégration dans des organisations régionales. Ces dernières agissent, en réalité, comme des paratonnerres et conjuguent les efforts de chacun pour la sécurité de tous. Le « splendide isolement » est révolu parce qu’il ne peut plus protéger.
C’est précisément cette qualité protectrice que reconnaît le leader travailliste Jeremy Corbyn à l’UE. Celui qui s’était positionné en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’UE reconnaît que celle-ci n’est pas idéale mais constitue une sorte de rempart à quelque chose de pire. Une muraille protégeant à la fois des formes extrêmes de dérégulations issues de la mondialisation mais aussi du repli sur la nation.
L’Union fait la force
L’UE permet donc de rester dans le jeu de la mondialisation, d’en adopter les codes tout en s’efforçant de lui imposer les standards de protection européens, qui sont aujourd’hui les plus élevées au monde. Ce qu’un État, seul, n’est pas en mesure d’accomplir. Les intérêts nationaux au sein de l’UE forment un ensemble plus à même de peser sur la mondialisation. Réguler la mondialisation, c’est donc s’en prévaloir pour en tirer tous les bénéfices sans en subir les inconvénients, quitte parfois à devoir refermer les frontières de l’UE pour mieux la protéger.
La France doit faire le choix d’approfondir son intégration dans l’UE pour éviter de s’affaiblir face au monde. La voie européenne est la seule capable d’apporter une solution efficace et durable à la violence de la mondialisation. C’est dans cette capacité de projection de son modèle sur le monde que se trouve la sécurité de l’Union, et donc de la France, pas dans un repli protectionniste.
Antoine Ullestad, Doctorant en droit de l’Union européenne, Université de Strasbourg; Frédérique Berrod, Professeure de droit public, Sciences Po Strasbourg, and Louis Navé, Doctorant en droit de l’Union européenne, Université de Strasbourg
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