Le dernier livre de Claude Vautrin, Sept voyages initiatiques publié aux édition Kaïros*, nous emmène dans des contrées lointaines où se rejoignent le monde visible et la sphère invisible. Des voyages pour mieux comprendre les autres et, partant, mieux se connaître soi-même. A lire absolument.
Couvrir l’actu aux quatre coins du monde, c’est le lot de tous les grands reporters, comme l’a fait des années durant, Claude Vautrin. Pourtant, à chacun de ses reportages, le journaliste vosgien ne s’est pas contenté de décrire les événements auxquels il assistait. Il a voulu comprendre. Cela suppose d’aller au-delà de ce que l’on voit, de ce que l’on entend, de ce que l’on sait. Il faut raccrocher les faits, les hommes, les paysages aux contes, aux mythes, aux légendes, parfois millénaires, parfois insaisissables. Il faut aller au-delà du visible et scruter la sphère invisible. C’est au prix de cet effort que le journaliste perçoit une autre réalité des faits, des hommes, de leur histoire. En y ajoutant son propre imaginaire, Claude Vautrin nous livre Sept voyages initiatiques : du Costa-Rica à la Nouvelle-Zélande, de la Patagonie à une Chine méconnue, de la Namibie au Liban déchiré, la réalité nourrit la fiction. Et inversement. Entretien avec l’auteur.
M.G.
En quoi les voyages dont vous parlez dans votre dernier ouvrage, ont-ils une portée initiatique ?
L’actualité, d’hier et d’aujourd’hui, m’inspire en fait. Mes notes de voyage, les interviewes effectuées lors de reportages, les rencontres improvisées au bout du monde m’ont inspiré cette série de nouvelles. En Chine, des menaces – c’est récent – pèsent sur le barrage des Trois Gorges, l’un des plus audacieux et destructeur jamais construit au monde, cadre de la nouvelle « Les semences du ciel ». Acteurs d’un autre de ces sept voyages initiatiques, « Le soufre rouge », les Ouïgours, comme le rappelait récemment le journal Libération à la Une, vivent un génocide. Le Liban n’en finit pas de souffrir, mais ce beau pays dégage une énergie sacrée, sujet de « La pierre noire ». Dans cet ouvrage, l’actualité nourrit donc la fiction. En Namibie, un jeune ethnologue enquête sur les anciens nazis qui y sont réfugiés. Mais un serpent, et toute sa forte symbolique, va le hanter. Une belle occasion d’ouvrir la réflexion sur ce symbole universel. Chaque nouvelle est ainsi sujette à réflexion.
Voulez-vous ainsi faire découvrir à vos lecteurs une partie de la sphère invisible qui entoure chaque culture, chaque société et donc chaque individu ?
Aller à la rencontre de l’autre n’est jamais anodin. Amérique latine, Afrique, Proche-Orient, Asie, Océanie … : la planète regorge de mythes, de légendes, d’imaginaires. Occupé à relater l’actualité du monde, le journaliste, l’homme, n’échappe pas à ces dimensions occultes, pourtant constitutives d’un groupe humain, d’une communauté, d’une société. Parcourir la planète ouvre ainsi, à condition d’être en quête de soi et d’autrui, des opportunités insoupçonnées de rencontres parfois étonnantes, questionnant sur la condition de l’être humain, son rapport aux autres, sa relation à l’univers, une vérité à quérir. Elles ont en cela valeur initiatique.
Le serpent dont vous parliez figure d’ailleurs sur la couverture, sous la forme d’un ouroboros !
En mordant sa propre queue, cet ouroboros rappelle que chaque fin est un nouveau début. Il est question de métamorphose. Chaque reportage, toute rencontre m’ont construit et transformé, faisant ce que je suis aujourd’hui. En formant sur la mappemonde un 8 couché, l’ouroboros mène aussi le lecteur du très pacifique Costa-Rica à la mystérieuse Patagonie, sur la Côte des squelettes de Namibie jusqu’aux cèdres d’un Liban déchiré, du désert du Taklamakan où le rouge a force de symbole, au Barrage des Trois Gorges en Chine, pour trouver peut-être le centre du monde aux confins du Pacifique, en Nouvelle-Zélande ! Beautés de la nature et humanité en mouvement cohabitent pour le meilleur et le pire !
Est-ce une réflexion philosophique… ?
Si philosopher, c’est chercher la signification de l’existence humaine, si philosopher, c’est comprendre la raison profonde des choses, alors philosophons. Cela passe nécessairement par la confrontation à l’autre, pour mieux se découvrir soi-même. C’est donc vivre, accepter les différences sociales, culturelles, générationnelles… Sept voyages initiatiques est riche de ces belles rencontres, qu’elles prennent la forme de quête, de passion, de combat, d’amour, mais aussi d’apprentissage, de partage de connaissances … Dans un monde qui change, ce recueil aborde en effet la grande question de la transmission. Je pense par exemple à Kile, le devin volant, champion de surf bien réel rencontré au Costa-Rica, découvrant via Agostinho, le vieux musicos de la côte caraïbe, une tradition au message finalement universel. Comment la Tradition, ses pratiques, ses valeurs s’accommodent-t-elles des bouleversements politiques, sociaux, économiques, culturels en cours ? C’est aussi une question qui transparaît. La fiction s’invite, je l’ai dit, la réalité la nourrit. Une chose est sûre, ces pérégrinations m’ont aidé à découvrir l’homme que je suis. D’où la grande joie de les partager ! Elles ont aussi contribué à façonner le journaliste que je suis. Dans La Pierre noire, Prune, jeune femme grand reporter, prend, au Liban, des distances avec son métier, en tout cas avec les violences qui l’accompagnent au quotidien. La planète regorge d’initiatives fabuleuses, respectueuses de l’autre et de la nature, méritent en cela notre regard, sans le nombrilisme et la recherche du sensationnel qui sont souvent le fait de l’actuel système médiatique.
… ou un conte poético-journalistique ?
Mon humilité eut-elle à en souffrir, un lecteur m’a fait un très beau cadeau, en écrivant à propos de Sept voyages initiatiques : « les mots choisis rendent les illustrations inutiles parce qu’ils sont eux-mêmes, saveurs, odeurs, couleurs et sons, et surtout chargés de sens à méditer. Un véritable diamant à découvrir… ». Alors il y a sans doute une part de poésie dans ces écrits ! Sachant qu’ils se veulent aussi une ode à la nature, si maltraitée, et pourtant si belle. Les glaciers de Patagonie, les lacs de Nouvelle-Zélande, les dunes géantes de Sossusvlei en Namibie, les montagnes de feu du Taklamakan, les forêts de cèdres du Liban ont toute leur place, en communion intense avec celles et ceux qui les protègent et qui valent en cela tous les Nobel de la paix du monde. Cette interdépendance-là est, pour moi, une vraie source d’inspiration.
Un mot sur les personnages ?
Age, sexe, profession, tempérament, projet : toutes et tous sont bien sûr, comme nous le sommes toutes et tous, des êtres uniques. Une curiosité intense, une passion les anime pourtant. Leur point commun est d’être en quête, donc en mouvement. Sur la côte Pacifique, Kile, le champion de surf costaricien reconnu cherche une autre lumière, venue de loin, du passé. En Patagonie, Stéphane, un expatrié part en quête des derniers Selk’man, pour finalement découvrir un rite perdu. En Namibie, un jeune ethnologue s’intéresse aux anciens nazis et tombe finalement sous un autre charme, magique celui-là. Prune, grand reporter, découvre, non sans péril, les vertus du cèdre sacré du Liban. Dans le désert du Taklamakan, Anne, l’archéologue, plonge dans le drame du peuple ouïgour et s’ouvre d’autres horizons de passion. Venu faire des affaires en Chine, un ingénieur s’engage dans la sauvegarde audacieuse du patrimoine. Quant à Alex, il chemine vers la… beauté au cœur de l’île de Jade, en Nouvelle-Zélande. Mais je n’en dirai pas plus !
Dernière question. Pourquoi sept ?
« Sept est difficile », c’est le slogan qu’arbore Marlon, un des personnages de cet ouvrage. Enigmatique, la phrase s’inscrit en arrondi, dans un globe terrestre au centre duquel jaillit en rouge le mot « Zuni », l’une des branches de la tribu des Pueblos. Au Nouveau-Mexique, dans le relief aride, le premier clan, dit des perroquets, occupe le milieu de la cité appelé mystérieusement « l’ici », une cité conçue en fait de la réunion de sept anciens villages. Nous sommes en Amérique indienne. Macumba, Bouddha, chakras, La Mecque, Jéricho, Thèbes… : le sept s’invite partout sur la planète, dans des territoires parfois inconnus, mystérieux. Comme l’ouroboros, ce chiffre-là symbolise un cycle, une dynamique, une transformation, un passage du connu vers l’inconnu. Il est en cela prise de risque, porte en lui une remise en cause de ce qu’on est. Aller à la rencontre de l’autre n’est pas innocent. Le sept me parle sans doute pour cette raison.
« Sept voyages initiatiques » de Claude Vautrin (Editions Kaïros) 131 pages. 15 euros.