Mélusine Martin, Sorbonne Université
Écoutez l’émission de RFI « 7 milliards de voisins » sur la déconnexion diffusée le 19 décembre dernier, en partenariat avec The Conversation France.
Mes yeux s’ouvrent et contemplent les palmiers sur fond bleu qui miroitent sous l’éblouissant soleil australien. C’est une belle journée qui commence tranquillement. Machinalement, je cherche mon smartphone des mains sur la table de nuit pour consulter mes messages en attente. Je ne suis pas encore levée que déjà le monde me demande. Je sens une tension diffuse se propager dans ma poitrine, descendre le long de mes bras, et atteindre le bout de mes doigts qui pianotent sur l’écran digital. En une fraction de seconde, la journée est passée au rythme numérique. J’ai quitté le présent pour un monde virtuel.
C’est un fait, nous passons de plus en plus de temps sur Internet. Parallèlement à cela, un nombre croissant de personnes cherchent à s’en déconnecter. Tout en appréciant les avantages des technologies numériques, elles souhaitent établir des limites afin de ne pas être joignables en permanence. Mais pourquoi vouloir se déconnecter d’Internet ? La communauté scientifique avance trois raisons majeures : passer du temps en ligne diminue notre productivité, cela est addictif, et cela nuit à la santé.
Passer du temps en ligne affecte notre productivité
Je dois écrire un article scientifique suite à une conférence sur le réchauffement climatique. Il est temps que je m’y mette. Je m’installe à mon ordinateur. Document Word créé. Études scientifiques sélectionnées. Pile de livres à ma droite. Tisane d’ortie à ma gauche. J’ai une heure devant moi pour travailler sur cet article.
Fatalement, je suis connectée à Internet pour vérifier mes sources et peaufiner mon argumentaire. Fatalement, je reçois un ou cinq e-mails auxquels je ne réponds pas mais qui me déconcentrent. Mon téléphone vibre, mon ordinateur affiche des notifications, ma tablette m’envoie des annonces. Afin de gérer ce pic inattendu de cortisol, je tente de me calmer en regardant des photos sur Instagram, une vidéo sur YouTube et quelques posts sur un blog. Au final, j’ai perdu 20 minutes.
Ce scénario vous paraît familier ? Selon une étude menée par Microsoft, la capacité de concentration de l’homme est passée de 12 à 8 secondes en dix ans. La cause ? L’omniprésence des écrans. Une étude de l’université de Californie à Irvine montre que travailler en étant constamment interrompu augmente le niveau de stress, car on a tendance à travailler plus vite pour rattraper le temps perdu. Aujourd’hui, une personne sur quatre vérifie son smartphone toutes les 30 minutes et 25 % des Millennials le consultent plus de cent fois par jour. Des comportements qui affectent notre productivité et augmentent notre niveau de stress.
Internet est addictif
FOMO (fear of missing out), « digital detox », ou « slow technology » sont des expressions que vous avez déjà peut-être entendues. La société post-industrielle est en train de réagencer ses fondations autour du digital. On l’utilise partout, tout le temps, pour travailler, contacter ses proches, faire les courses, gérer son compte bancaire, préparer les prochaines vacances ou s’occuper des devoirs des enfants.
Ce qui était initialement conçu comme un outil est en train de devenir une obsession. Est-ce que vous perdez la notion du temps quand vous surfez le Web ? Vous ne pouvez pas vous empêcher de regarder votre smartphone lorsqu’il vibre ? Vous paniquez si vous oubliez votre téléphone à la maison ? Vous êtes peut-être accro au digital. Des études menée aux États-Unis et en Europe rapportent que 38 % de la population globale souffre de trouble de dépendance à Internet (TDI), également nommé cyberaddiction. L’une des causes avancées pour expliquer cette addiction est une altération physique du cerveau au niveau structurel. En effet, l’usage d’Internet affecte certaines parties du cerveau préfrontal associées au souvenir de détails, à la capacité à planifier et à hiérarchiser les tâches, nous rendant ainsi incapables d’établir des priorités dans notre vie. En conséquence, passer du temps en ligne devient prioritaire, et les tâches de la vie quotidienne passent après.
Internet nuit à la santé
Une des questions que je pose fréquemment aux participants d’une étude réalisée pour ma thèse sur les relations de l’homme à la nature à l’ère digitale est « Comment vous sentez-vous après une heure et plus passées devant un écran ? » J’attends encore de rencontrer la personne qui me répondra qu’elle se sent mieux. Les réponses oscillent généralement entre « fatigué » et « vidé ».
Des études prouvent qu’il existe une forte corrélation entre dépression et temps connecté. Sur Internet, on cherche à établir une relation à l’autre, une relation au monde. On se connecte aux autres, mais on se connecte mal. Le Dr Hilarie Cash pense que l’élément manquant est la résonance limbique qui ne peut se produire que lorsque deux êtres sont en présence physique l’un de l’autre. La résonance limbique est un échange énergétique qui libère, dans la partie limbique du cerveau, des composants chimiques essentiels au bien-être physique et émotionnel. Selon Cash, plus nous passons de temps en ligne afin de nous connecter aux autres, plus nous déprimons. Peut-être est-il temps de revoir nos priorités et de cesser d’abdiquer notre pouvoir à ce rectangle de polymère qu’est notre smartphone ?
Adoptez la slow technology !
Maintenant, quand je me sens débordée par les sollicitations constantes et imprévisibles de ma connexion wifi, juste avant d’étouffer, je débranche. Le mouvement en faveur de la slow technology répond précisément au besoin d’une approche raisonnée de notre consommation digitale. De plus en plus de professionnels proposent des retraites de digital detox où l’on prend le vert et laisse son portable éteint. Il est possible de mettre en place, dès à présent, quelques trucs et astuces pour rétablir un équilibre dans votre relation au numérique, et aussi retrouver un bien-être physique et mental.
Voici quelques solutions slow tech faciles à adopter :
- Ressortez votre vieux réveil à pile. Arrêtez d’utiliser votre portable comme réveil, et pensez à le laisser hors de votre chambre à coucher.
- Mettez en place un jeûne digital alterné. Il s’agit de prendre conscience du temps que l’on passe scotché à son écran et de le diminuer. Plus de smartphone ni d’ordinateur après 19h, ou déconnexion complète un jour par semaine (par exemple le dimanche). Par exemple, vous pouvez vérifier vos e-mails le samedi soir avant 19h et plus rien jusqu’au dimanche soir, 19h.
- Bougez. Le temps passé devant un écran est généralement du temps passé immobile. Faites le choix d’aller à l’encontre de cette tendance statique et offrez à votre corps et votre esprit les bienfaits antidépresseurs de l’activité physique.
- Passez du temps dans la nature. De nombreuses études montrent que la nature a un effet calmant sur le système nerveux, renforce le système immunitaire, fait baisser la tension artérielle et booste même la capacité visuelle mise à rude épreuve par trop de temps à fixer un écran.
- Trouvez du soutien dans cette démarche qui va à contre-courant de la tendance générale de surconsommation et de surconnection. Non, vous n’êtes pas seul. Oui, il existe d’autres manières de vivre. Vous pouvez prendre part à des activités de groupe vous permettant de vous recentrer sur vos sens et votre ressenti. Par exemple, apprendre à jouer d’un instrument de musique, à sculpter le bois, à jardiner – même si vous habitez en ville, etc.
J’ai toujours en bouche le goût d’éternité, l’impression de lenteur, qui teintaient d’un ennui apaisant les jours de ma vie pré-Internet. Je n’oublie pas que l’on peut vivre sans Internet même si le monde nous impose aujourd’hui de vivre avec. Je m’inquiète de voir des enfants de trois ans savoir se servir d’une tablette avant même de savoir écrire ; des enfants qui, parce que l’humanité est muée par des forces qui la dépassent et la modèlent sur la voie du progrès, ne connaîtront pas de vie sans Internet. Parce que l’on ne revient pas arrière. Et vous, qu’en pensez-vous ? Comment gérez-vous votre relation au numérique ? Laissez un commentaire ci-dessous et poursuivons cette conversation.
Mélusine Martin, PhD Candidate – Histoire et Dynamique des Espaces Anglophones, HDEA (Paris IV) and Environmental Sociology (James Cook University), Sorbonne Université
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.