Point-de-vue. Pour les cheminots, il restera le président de la SNCF qui a soutenu la très controversée réforme de leur entreprise. Le personnel s’est senti trahi, explique Bernard Aubin, secrétaire général du syndicat FiRST.
Il n’a jamais joué au train électrique. Pas plus qu’il n’avait manifesté d’attirance particulière pour le rail. Il n’a pas vraiment été sensible à une culture cheminote qu’il a plutôt combattue que promue. Et pourtant, il a pratiquement passé toute sa carrière aux postes clés de la SNCF, pour terminer à sa tête. Ses capacités intellectuelles lui aurait sans doute permis d’ambitionner des postes bien plus lucratifs, moins exposés aux turpitudes, mais aussi plus discrets. Apparemment pas ce qu’il recherchait.
Réseaux d’influence
Guillaume Pepy, c’est un homme de défis. Une sorte de prédateur qui se nourrit des difficultés qu’il surmonte. C’est un homme aussi habile sous les projecteurs que dans les sombres couloirs de la politique. Il en a vu passer, des présidents de la République et autres ministres des Transports. Certains l’ont tancé. Les orages, il les a laissés passer car, au final, les décisions, c’est toujours lui qui les prenait. Jusqu’à rédiger lui-même ses propres feuilles de route, signées ensuite par les Chefs de l’Etat. Sans doute doit-il aussi à ses réseaux d’influence une telle longévité.
Hélas, les bonnes choses ont une fin. Vint à la Présidence quelqu’un avec qui il partage quelques ressemblances. Les capacités intellectuelles, l’autre en possède aussi. L’art de séduire ses ennemis, il sait en user… et en abuser. Le choix de privilégier une place au premier plan à une rémunération beaucoup plus attrayante… Pareil.
A la différence près que Jupiter (ou Attila, c’est selon), lui, casse tout ce qui l’entoure : le parti politique qui l’a enfanté, les libéraux qui l’ont inspiré, les résistances qui se sont élevées, et même les pompiers qui lui auraient été utiles à circonscrire l’embrasement général qui ne manquera pas de se déclarer. Les opposés s’attirent parfois. A l’inverse, se ressembler mène parfois à se détester. Dès l’arrivée de Macron au Pouvoir, le sort de Guillaume Pepy semblait scellé.
Avait-il le choix?
Pour exemple, la place réservée par le gouvernement à Guillaume Pepy lors des Assises Nationales de la Mobilité en 2018. Alors que les présidents de modestes associations se succédaient sur scène, aux côtés de grands décideurs, Guillaume, lui, était dans les rangs, ou plutôt cantonné dans le rang. Une manière comme une autre de lui montrer qui est le chef dans ce pays… pour l’instant. Même lors d’accidents graves, comme à Millas, ce n’était plus le président de la SNCF qui intervenait face aux médias, mais des membres du gouvernement. Il est clair que la fin était proche. C’est bien la mort dans l’âme que Guillaume Pepy annonça ne pas souhaiter exercer un troisième mandat à la tête de la SNCF. En avait-il vraiment le choix ?
Au sein de l’Entreprise, Guillaume Pepy n’a pas toujours attiré que la sympathie. Dans les années 1990, le numéro 2 essuya une grosse grève contre l’un de ses bébés, la « Gestion par Activités ». Ce mode d’organisation technocratique segmente services et missions. Il nuit gravement au bon fonctionnement et à l’efficacité d’une entreprise ferroviaire qui nécessite, au contraire, intégrité des structure et polyvalence de certains personnels. Les cheminots n’ont pas adhéré. On lui doit aussi la transition d’une gestion du personnel paternaliste qui arrangeait tout le monde à une gestion des « ressources humaines » à l’américaine où s’accentuent les pressions, la dégradation des conditions de travail, la judiciarisation des conflits individuels. Tour cela assaisonné de remise en cause des acquis et de régression du pouvoir d’achat. Pas top.
Le dernier président
Guillaume Pepy sera le dernier Président de la SNCF car, dès 2020, il ne restera rien de l’Entreprise ferroviaire telle que nous la connaissons. Cet ultime Président aura aussi considérablement œuvré au nivellement vers le bas des acquis des cheminots, la disparition du Statut pour les nouveaux embauchés ne constituant que la partie émergée de l’iceberg. Raison pour laquelle le départ de ce dirigeant, quand bien même aurait-il préservé l’avenir du rail en France, ne se fera pas dans une effusion de larmes. Bien au contraire, d’ailleurs. En 2018, la très controversée réforme de la SNCF avait fait été soutenue sans réserve par un Guillaume Pepy, alors que les cheminots s’étaient sentis floués, mais surtout insultés par le gouvernement.
Conflit inévitable
Entre le personnel et le Président, la rupture fut totale. Guillaume Pepy avait choisi son camp, celui-là même qui allait à coup sûr l’évincer comme un malpropre. « Si je m’appelais Guillaume,je m’en irais maintenant » avais-je titré dans une lettre ouverte en février 2018, juste avant le lancement de la réforme de la SNCF. En résumé, à quoi bon essuyer les plâtres d’une réforme et gérer un conflit social inévitable pour de toute façon se faire virer ? Guillaume est resté sourd à mon appel. Il serait pourtant parti avec panache, sa décision aurait été appréciée des cheminots dont il aurait acquis le respect. Mais il est resté. Pire, ses ultimes propos de Président visent d’éventuelles sanctions contre des agents ayant fait valoir leur droit de retrait suite à un accident. Une « grève illégale ». Cette fois, le divorce est consommé. Définitivement. Guillaume n’aurait pas dû suivre « la voie de son maître ».
Ce n’est pas faute de l’avoir prévenu. Triste fin.
Bernard Aubin