Lancé le 29 janvier 2019 par des Gilets Jaunes pour contrer le Grand Débat National voulu par le président de la République, le Vrai Débat s’est clôturé le 30 mars 2019. Il a recueilli 25.228 propositions et plus d’un million de votes.
La première synthèse du Vrai Débat est postée par Priscillia Ludosky sur le site change.org. L’analyse de toutes les contributions a été effectuée par Le Laboratoire d’Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales (LERASS), laboratoire pluridisciplinaire de l’Université de Toulouse 3 Il en ressort:
1. Ce qui caractérise les contributions
a- Une négociation argumentée
Peu de registre émotionnel, peu de vulgarité. Pas de déversoir de haine, y compris sur les sujets supposés à controverses. Propositions et commentaires argumentés, documentés, effort de synthèse. Pas d’attaques ciblées sur des politiques/personnalités
b- Absence de signes de radicalisation
Aucun indicateur rhétorique de radicalisation, lexique radical inexistant. Aucune marque identitaire « gilet jaune ». Le « nous » étant utilisé soit pour définir la France dans l’Europe ou les citoyens français ou dans le cas des sujets liés aux violences policières ou à l’idée de structuration et d’organisation du mouvement.
Les propositions concernant des thématiques cataloguées type « rétablissement peine de mort », « reconsidérer le mariage pour tous » « anti immigration » « révision acquis sociaux » ont été massivement rejetées. Ces thématiques sont utilisées par le gouvernement contre les gilets jaunes pour effrayer les citoyens n’ayant pas connaissance du RIC… et étiquettes utilisées pour les dissuader de rejoindre le mouvement.
2. Pour une négociation
a- Les modalités de négociations
Présence significative des termes « négocier » « négociation ». Propositions de moyens de sortir de l’impasse. Hiérarchisation des interlocuteurs privilégiés en fonction des sujets. Les diverses contributions ont une portée plus profonde qu’un débat d’idées ou l’expression de doléances. L’expression libre porte sur des sujets allant de la refonte des institutions à la façon d’entreprendre la transition écologique. Ce n’est pas une simple « consultation » dont le périmètre serait borné par des question fermées…
b- La place de l’homme ou la femme providentielle
Les arguments/propositions propulsent le citoyen au cœur de l’administration et de la législation qui entourent le débat public. Les personnalités politiques sont mentionnées dans plusieurs classes sur des sujets précis, mais pas en tant que garants ou représentants, il n’y a pas non plus de mise en avant des figures médiatiques par les contributeurs.
La classe politique est ainsi taxée d’incompétence, arguments à l’appui, pour assurer la sécurité de l’offre de vie quotidienne, la liberté et l’égalité des citoyens. Les citoyens apparaissent alors comme la dernière figure collective légitime afin de rediscuter le contrat social de départ.
c-Les citoyens, négociateurs responsables
Volonté pour chacun de remplir son rôle de citoyen par la proposition de mesures, en agissant comme un acteur de la vie politique et avec une certaine légitimité en tant que citoyen mais aussi en tant que citoyen militant depuis plusieurs mois voire plusieurs années.
d- Redéfinir et contrôle le pouvoir
Méfiance à l’égard des institutions politiques actuelles et l’impératif de changement des représentations. C’est la légitimité et la compétence des représentants de l’État qui sont rejetées.
Volonté de contrôler le travail du politique, de se substituer au politique, de redéfinir les règles du jeu, d’être décisionnaire. Il s’agit également d’éviter que le gouvernement et les parlementaires prennent des décisions contraires aux promesses qui les avaient fait élire et, plus généralement, aux intérêts du peuple.
e- Refonte du contrat social, pas pour le « dégagisme »
Sont remises en cause : Transparence, éthique de responsabilité et efficacité de l’action publique. Absence d’opinions significatives pour une posture de «dégagisme». La 5ème République est repensée pour mieux fonctionner, sous-entendant la possibilité qu’elle fonctionnerait mieux, davantage régulée et réordonnée.
Il n’y a pas de rejet de l’État ni de disparition de l’État. En revanche, il y a un rejet de la méritocratie au profit de la régulation collective.
f- Réformer ou quitter l’Europe
Globalement, il n’y a pas de traces significatives de sentiment anti-européen, mais un euroscepticisme dirigé contre le fonctionnement actuel des institutions européennes. La nécessité de réformer l’Europe apparaît donc de manière centrale.
g- Questions environnementales
Deux axes complémentaires se dégagent : la transition agricole et la transition énergétique
Les propositions qui portent sur ce sujet sont trois fois plus nombreuses que celles qui portent sur l’Europe (pour donner un ordre de grandeur). Transition énergétique: arguments qui dépassent nettement la question du prix du carburant. Les contributeurs livrent un éventail de solutions présentées comme alternatives : voiture électrique, véhicules écologiques, transports ferroviaires, etc.
L’État et notamment les services publics apparaissent comme les garants de l’intérêt général en matière de transition environnementale. Il est désigné à la fois comme responsable et seul capable d’orchestrer cette transition : arbitrage des choix, programmes, financement des énergies renouvelables, renationalisation de l’industrie énergétique, évaluation, etc.
Transition agricole: mesures favorisant une consommation locale, en circuits-courts, «bio» et éthique. Mesures autour de la production dont on souhaite encourager le caractère écologiquement et socialement responsable.
h- Une école pour tous, à plus petite échelle
Nécessité de renforcer l’école publique. Garantir les missions d’un service public éducatif égalitaire et inclusif. Refonte du système éducatif, un système plus flexible et plus adapté aux besoins des élèves, tout en participant d’une défense généralisée des services publics indépendamment des disparités du territoire.
i- Justice sociale, économique et judiciaire
Justice sociale.
Revalorisation des salaires et des pensions ainsi que des retraites.
Harmonisation» et «simplification» plus que revalorisation des prestations sociales.
Redistribution des richesses.
Critique d’un système à bout de souffle, trop lourd administrativement et dont les défaillances pèseraient finalement sur toute la société et pas seulement sur certaines classes de population.
L’analyse de la distribution sociale est conduite de manière diverse et symbolisée par des mesures telles que «le revenu universel» ou «le revenu d’existence» ou le « salaire minimum ».
C’est principalement une revalorisation du travail qui est aussi portée dans les propositions et les arguments. A contrario, sont dénoncés les avantages accordés aux hauts salaires, face à des salaires minimums jugés trop faibles, mais également le dysfonctionnement des retraites.
Le souhait d’une « vie décente », « vie meilleure » pour toutes et tous apparaît de manière centrale, venant à nouveau renforcer le constat de la trop faible rétribution du travail.
Justice économique
Sont dénoncées les inégalités sociales et l’absence d’intervention de l’État. Les banques privées apparaissent dans les contributions comme «responsables» de la dette publique. La question fiscale est essentiellement le moyen de dénoncer des inégalités dans le rapport à l’impôt et place le retour de l’ISF et l’intensification de la lutte contre la fraude des plus fortunés comme des principes de justice élémentaire.
Propositions «d’optimisation fiscale»…
Nécessité de renforcer la lutte contre les évasions fiscales avec entre autres, la suppression des niches fiscales, ou encore de taxer des transactions financières sont particulièrement évoquées.
Les propositions en faveur de la baisse de la TVA semblent quant à elles plutôt se référer au pouvoir d’achat des ménages.
Judiciaire/Lois
Propositions de revoir certaines lois ont été massivement rejetées :
-mariage pour tous, votes -> majorité écrasante pour le maintien
-peine de mort, vote -> majorité écrasante contre son rétablissement