Jean Louis Vigneresse, Université de Lorraine
La très belle ville d’Istanbul est bâtie en bordure de deux plaques continentales qui coulissent continuellement l’une par rapport à l’autre. Au Nord, la plaque européenne limitée au sud par la mer de Marmara et la baie d’Izmit vers l’Ouest. Au Sud, le bloc anatolien. C’est le domaine de la faille Nord Anatolienne (NAF) qui s’étend sur plus de 1 200 km vers l’Est, et qui se déplace de 2,5 cm/an vers l’Est, par rapport à la plaque Europe, stable. Les séismes sont fréquents au long de cette faille, avec une récurrence d’une dizaine d’années et un déplacement des séismes vers l’Ouest.
En 1999, un séisme important a frappé Izmit, à seulement une quarantaine de kilometres d’Istanbul. De magnitude 7,2, il a tué 17 000 personnes. Depuis cette date, il ne s’est rien passé ou presque. Et pourtant, dans un récent article, un groupe de chercheurs de Potsdam, à côté de Berlin, vient de révéler que la faille NAF se déplace toujours, mais silencieusement.
Il ne s’agit pas là d’un phénomène unique dans l’histoire, mais sa mise en lumière est, elle, relativement récente. Au début des années 2000, les Japonais s’emparent des technologies GPS, et comparent les données de déplacement fournies par ces dispositifs – en continu ou presque – avec les déplacements finis de la topographie. Ils mettent ainsi en évidence des mouvements lents des plaques tectoniques, et des séismes silencieux. Ces phénomènes se produisent sans secousses perceptibles.
« Faune sismique »
À chaque déplacement lent correspond des mouvements du sol, à très basse fréquence (0,05–5 Hz) alors que les séismes « ordinaires » sont plutôt dans la gamme 10–20 Hz. Au total, c’est toute une « faune » qui a été ainsi découverte, avec des évènements sismiques dont la durée va de une heure à un an, et avec des magnitudes (énergies) qui peuvent être supérieures à 5.
Depuis la découverte des séismes lents, les géophysiciens admettent qu’il existe une forme particulière de glissement. Des chercheurs de Grenoble ont mis en évidence sur la région d’Izmit des grappes de séismes lents, dont les caractéristiques sont similaires, de petite magnitude (1,0–1,25), et dont les phases des formes d’ondes, les arrivées directes et le bruit résiduel sont identiques. Ces séismes se caractériseraient par de petites surfaces de rupture, de l’ordre de la centaine de mètres, et des chutes de contraintes faibles, soit globalement un glissement sur des fractures. À comparer aux surfaces de rupture des séismes ordinaires, de l’ordre du kilomètre. Cela suggère que la région est en régime de déformation ductile, sous un niveau de contraintes élevées, d’où une localisation ductile de la déformation.
Cuillère déformée
Pour comprendre ce qui se passe lors d’un séisme lent, il faut alors changer d’optique, et aller voir comment les roches se déforment. Le plus simple est d’examiner des couches sédimentaires, calcaires par exemple, telles qu’il y en a dans les Alpes ou le Jura. Ces bancs épais de roches dures se déforment par plissement. Connaissez-vous, par exemple, le célèbre « chapeau de gendarme », sur la route qui mène à Saint-Claude ? Le rapport avec les séismes, c’est que cette déformation par plissement s’effectue de façon plastique, ductile. C’est une évolution irréversible : une fois déformé, le matériel ne revient pas à sa forme initiale, contrairement à la déformation élastique. Essayez en tordant une petite cuillère. Impossible de la faire revenir à son état premier.
De plus, cette déformation ductile est continue, le matériel plie, mais ne rompt point. Et pourtant, si l’on regarde de près le « chapeau de gendarme », on peut y voir des fractures dans les différentes couches, donc des discontinuités. Alors, plis ou cassures ? Les deux à la fois. Tout dépend de la contrainte appliquée, ou plutôt de la variation de contrainte dans le temps, c’est-à-dire de la vitesse à laquelle elle est appliquée. Il existe aussi des effets de température. On tord plus facilement les petites cuillères à chaud. Et à froid, elles se cassent plus facilement.
Revenons maintenant à la NAF. Il semblerait que l’on puisse y détecter une nouvelle façon pour la croûte terrestre de se déformer. Et naturellement, difficilement prévisible.
Jean Louis Vigneresse, Géophysicien, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.