« C’est une histoire unique, exceptionnelle », que raconte Emmanuel Hamon dans son film, celle d’une femme partie rejoindre Daech en emmenant son fils.
« Exfiltrés », film réalisé par Emmanuel Hamon (sortie le 6 mars), est malheureusement pleinement d’actualité, alors que la France ne sait que faire de ses ressortissants partis rejoindre Daech, et qui veulent aujourd’hui rentrer. « Avec ce film, il y avait la possibilité de parler de sujets politiques, de l’engagement, c’est une histoire du monde réel, qui parle de la complexité du monde dans lequel on vit », déclarait le réalisateur, lors de l’avant-première de son film au Caméo à Nancy.
Car « Exfiltrés » est inspiré d’une histoire vraie, qui s’est déroulée en 2015, celle d’une Française partie avec son jeune fils rejoindre l’état islamique, en Syrie, et d’où elle est parvenue à s’échapper. Ignorant tout des intentions de son épouse, Sylvain le mari (joué par Swann Arlaud) accompagne à l’aéroport Faustine et Noah leur fils de 5 ans, prêts à s’envoler pour deux semaines de vacances en Turquie. « Très impressionné » par sa prestation dans « Divines », de Houda Benyamina, c’est à Jisca Kalvanda qu’Emmanuel Hamon a confié le rôle de Faustine : « C’est quelqu’un qui pense qu’elle n’a pas sa place dans la société française, et va la trouver dans une maternité en Syrie », estime le réalisateur.
Simple assistante sociale dans la banlieue parisienne, zaïroise d’origine et récemment convertie, Faustine est partie de son plein gré « pour aider » ; à Rakka, où elle retrouve des anciens de son quartier, désormais djihadistes, elle a cru au mirage d’un « monde nouveau », mais va comprendre qu’elle s’est jetée dans la gueule du loup, qu’elle est prise au piège chez Daech, c’est un aller pour l’enfer. Le retour n’est pas prévu.
Swann Arlaud : « Je me suis concentré pour ne pas pleurer »
« Exfiltrés » est le premier long-métrage de fiction d’Emmanuel Hamon, qui fut assistant-réalisateur (Patrice Chéreau, Régis Wargnier, Maurice Pialat…) et a ensuite réalisé des documentaires, politiques, sociaux, historiques. « C’était un choix très réfléchi de ma part, j’ai traité des choses très dramatiques et violentes par le documentaire, mais le personnage de Faustine permettait d’amener de la complexité, ce n’est pas juste un personnage radicalisé, on se pose des questions, c’est plus compliqué que ce qu’on peut percevoir », estime le cinéaste, « C’est une histoire unique, exceptionnelle ».
En France, Sylvain tente désespérément de récupérer son fils, gamin auquel on met déjà une kalachnikov dans les mains. « J’ai un enfant de trois ans, et je me suis beaucoup concentré pour ne pas pleurer, c’était bouleversant », confie Swann Arlaud, César du meilleur acteur pour « Petit paysan » d’Hubert Charuel, actuellement dans le film de François Ozon, « Grâce à dieu », et vu récemment dans « Un beau voyou » avec Charles Berling. Dans « Exfiltrés », Charles Berling joue son patron, un chirurgien qui demande de l’aide à son fils, Gabriel, incarné par Finnegan Oldfield (vu récemment dans « Le Poulain », « Marvin ou la belle éducation »).
Gabriel, qui travaille pour une ONG en Turquie, parvient à faire passer en France un activiste, un rebelle arrêté et torturé par le régime syrien, puis par Daech. Adnan est incarné par Kassem Al Khoja, devenu acteur « par hasard » : « Je suis Syrien, je suis parti de Syrie fin 2015, ce n’était pas très compliqué de se mettre dans le personnage, pour moi c’est important de parler de mon pays », dit-il.
« Il y a une mécanique de thriller, un sentiment d’étouffement, de suspense »
« Gabriel est dans une ONG, mais il a besoin de quelque chose de plus concret ; Gabriel et Adnan sont deux jeunes gens de 25 ans qui montent une opération improbable avec les moyens du bord, que les services français ne veulent pas monter », précise Emmanuel Hamon. Grâce à la débrouille de l’un et les réseaux de l’autre, ils vont tenter d’organiser l’exfiltration de Faustine et de son fils, de « sauver une fille paumée et tombée du côté ennemi », tandis que la France s’en lave les mains.
Un agent des services français explique ainsi clairement la situation : l’Etat français n’ira pas en Syrie récupérer un concitoyen volontairement parti, Bachar el-Assad a laissé prospérer Daech, « un plus méchant que lui » pour les Occidentaux, et si des hommes reviennent de l’état islamique, après avoir découvert que « la réalité n’est pas à la hauteur du prospectus », ce n’était alors jamais le cas des femmes. « Je n’ai pas de leçon de géopolitique à donner, mais il y a deux ou trois choses qu’on a mis dans le scénario, dans la dramaturgie du film, avec le scénariste Benjamin Dupas », précise le réalisateur, qui a choisi de tourner en Jordanie, embauchant des figurants dans les camps de réfugiés : « La Jordanie est un pays qui a des frontières avec la Syrie, et où il y a un million de réfugiés syriens. La frontière entre ce qu’ils avaient vécu et ce qu’ils jouaient dans le film était très perméable », dit-il.
Tout en posant la complexité politique du sujet, « Exfiltrés » embarque les spectateurs dans un rythme d’enfer : « Il y a une mécanique de thriller, un sentiment d’étouffement, de suspense, on se demande comment ça va se finir. Le film est mené tambour battant, les personnages sont très vite dans une urgence, il faut prendre des décisions ; ce qui me guide, ce sont les personnages, riches, intéressants, et qui évoluent, il faut qu’on croie à tout ça, c’est hyper important », estime Emmanuel Hamon. Accrochés dès le début, on y croit jusqu’à la fin.
Patrick TARDIT
« Exfiltrés », un film d’Emmanuel Hamon (sortie le 6 mars).