Michaël Girardin, Université de Lorraine
Les odeurs sont souvent associées à des ambiances ou à des lieux, et intimement associées à notre mémoire. Une touche de parfum, et voici que le salon devient plus convivial ; telle senteur évoque la nature et la sérénité ; telle autre rappelle l’hôpital et peut mettre un peu mal à l’aise. De la même façon il existait, dans le temple de Jérusalem, dans l’Antiquité, une odeur du sacré, un mélange de parfums strictement réservés à Dieu, que l’on ne sentait qu’en sa présence.
Des parfums mystérieux
Dans le livre de l’Exode, la recette du premier de ces parfums si spécifiques est fournie :
« Procure-toi aussi des aromates de première qualité : de la myrrhe fluide, cinq cents sicles ; du cinnamome aromatique, la moitié, soit deux cent cinquante ; du roseau aromatique, deux cent cinquante ; de la casse, cinq cents, en sicles du sanctuaire, avec un hîn d’huile d’olive. » (Exode 30.23-24)
Suivent des conditions sévères : les objets du culte doivent être oints de cette huile parfumée et tout ce qui la touchera deviendra saint, mais cette huile ne doit être ointe sur personne, sa recette ne doit pas être copiée car elle est sacrée et celui qui voudrait l’imiter sera retranché du peuple.
Suit la recette d’un deuxième parfum, celui-ci n’étant pas une huile à répandre mais un mélange solide à brûler sur l’autel :
« Procure-toi des essences parfumées : storax, ambre, galbanum parfumé, encens pur, en parties égales. Tu en feras un parfum mélangé, travail de parfumeur, salé, pur, sacré ». (Exode 30.34-35).
Ce parfum-là aussi est restreint au culte ; son usage dans le monde profane ou son imitation, même pour le simple désir d’en connaître l’odeur, sont condamnés par la mort du fautif.
Malheureusement, ces citations, issues de la Traduction œcuménique de la Bible, comprennent des approximations puisque les termes d’origine, en hébreu, sont des mots techniques. La bible de Louis Segond, pour le parfum solide, mélange plutôt du stacté et de l’ongle odorant au galbanum et à l’encens ; la bible Darby traduit l’ambre par « de la coquille odorante » ; la bible Martin y voit « de l’onyx », etc. Pourrons-nous reconstituer l’odeur de ces parfums ? Pas sûr : on ne sait pas réellement, au fond, ce qu’ils contenaient.
Tout ce que l’on sait, c’est que ces deux parfums ne pouvaient être sentis que dans le temple de Jérusalem. À l’inverse, l’emploi de parfums profanes sur l’autel est strictement interdit (Exode 30.9). Il existait donc une odeur du sacré, une odeur que les fidèles associaient sans doute à la présence de Dieu.
Un symbole de la grandeur de Dieu
Cette odeur spécifique au sanctuaire se retrouve dans de nombreuses sources antiques. Elle évoque toujours la grandeur de Dieu. Dans le Talmud de Jérusalem (Ve siècle de notre ère), le souvenir est particulièrement embelli : on dit que, jusqu’à Jéricho, on pouvait sentir l’odeur de l’encens brûlé au temple et entendre la musique et la voix du grand prêtre (TJ, Soucca, V, 3), soit à vingt-cinq kilomètres de distance ! Bien entendu, c’est très improbable, mais ce qui compte, c’est surtout que le sanctuaire, dans cette mémoire rabbinique, était un lieu hors du commun, qui transcendait toutes les lois de la nature, parce qu’il était le séjour du Dieu d’Israël.
À cause de cet enjeu, les rois étrangers ont toujours fait attention à respecter le temple. En 200 av. J.-C., le roi séleucide Antiochos III s’empare de Jérusalem qui appartenait jusque-là aux Ptolémées ; il s’engage alors, entre autres, à subventionner le culte annuellement avec des bêtes à sacrifier, du vin à offrir en libations, de l’huile, de la farine, du blé, du sel, mais aussi de l’encens. En 135 av. J.-C., l’un de ses lointains successeurs, Antiochos VII, signe une trêve avec les Maccabées en offrant pour le temple des taureaux à sacrifier et des coupes pleines de parfums.
Offrir du parfum est donc un moyen, pour les puissances qui dominent la Judée, d’acheter le soutien des prêtres. Ceux-ci peuvent justifier leur ralliement en montrant que le roi, par son offrande, accepte de se soumettre à Dieu. Ainsi, le parfum offert par les rois, officiellement, matérialise la suprématie de Dieu sur les pouvoirs terrestres.
L’odeur des sacrifices
Mais l’odeur du temple de Jérusalem ne se limite pas aux parfums. Chaque jour, de nombreuses bêtes sont abattues en l’honneur de Dieu : c’est une véritable boucherie, avec ses odeurs évidentes. Le sang répandu sur l’autel est heureusement nettoyé par l’usage d’une quantité d’eau abondante, mais l’on peut imaginer l’odeur de toutes les viandes qui rôtissent : tourterelles, pigeons, chevreaux, boucs, taureaux, etc.
C’est aussi une grande cuisine : hormis les holocaustes entièrement brûlés, la plupart des sacrifices donnent lieu à un repas. Les prêtres obtiennent des parts, les fidèles aussi, et dans le cas des sacrifices de communion, c’est un véritable banquet qui peut être organisé grâce à l’autel. L’odeur de viande, rôtie pour ce qui revient à Dieu et bouillie pour la part des mortels, se mélange aux parfums et aux odeurs diverses de cette foule d’hommes et de bêtes réunies sur le parvis. On rôtit aussi des grains de blé (Lévitique 2.14) ; on y cuit des gâteaux sur lesquels on répand souvent de l’encens, etc. C’est à bon droit que la bible peut ainsi parler des « sacrifices de bonne odeur » pour les rituels parfaitement accomplis, agréés par Dieu (Nombres 28.2).
Ainsi, sur le parvis du temple de Jérusalem, dans l’Antiquité, le sacré avait une odeur précise, que l’on ne rencontrait nulle part ailleurs, et qui donnait à percevoir directement la présence de Dieu.
Michaël Girardin, Docteur en Histoire Ancienne, Université de Lorraine
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