Ian Cochran, AFD (Agence française de développement) et Benoît Leguet, AFD (Agence française de développement)
Depuis 2005, plusieurs initiatives ont permis de mettre en place en France les cadres réglementaires, les incitations, les outils et les instruments de financement nécessaires à la transition énergétique et écologique. Citons ici la loi de Programmation fixant les orientations de la politique énergétique (2005), le Grenelle de l’environnement (2007), le Débat national sur la transition énergétique (2012), ou encore la récente Loi pour la transition énergétique et la croissance verte (2015).
Pour analyser les effets de ces lois, nous suivons depuis 2012 les dépenses d’investissement liés à la transition énergétique en France. Nous recensons les dépenses d’investissement en faveur du climat et analysons la manière dont ces dépenses sont financées. S’établit de la sorte une cartographie des flux de financement en faveur du climat, de leur source jusqu’à leur secteur et domaine de destination.
Un tel suivi permet de déterminer la contribution des différents acteurs au financement de la transition, en contribuant à la réflexion sur la pertinence et le rôle des financements publics et privés en ce domaine. Ceci permet l’identification des pistes d’amélioration de la politique énergie-climat française.
32 milliards d’investissement « climat » chaque année
Entre 2013 et 2016, environ 32 milliards d’euros ont été investis chaque année en faveur du climat en France. En 2016, les investissements se répartissent entre 14,5 milliards d’euros pour les actions d’efficacité énergétique, 5,9 milliards d’euros pour le développement des énergies renouvelables et 9,2 milliards d’euros pour la construction et la mise à niveau des infrastructures durables de transport et de réseaux.
Les investissements dans le développement et la rénovation du parc nucléaire, dans les procédés non-énergétiques et la réduction d’émissions d’autres gaz à effet de serre que le CO2 sont estimées à 2,1 milliards d’euros.
Les premières estimations disponibles pour l’année 2017 portent le total à 31,5 milliards d’euros. À titre de comparaison, on pourra citer les 371 milliards d’euros représentant l’ensemble des investissements matériels effectués en France en 2016 ; les investissements verts comptent ainsi pour 10 % environ de ce total, une part restée stable depuis 2012. Cette stabilité d’ensemble masque toutefois des variations plus marquées par domaine : les investissements dans l’efficacité énergétique ont augmenté entre 2011 et 2016, passant de 11,6 à 14,6 milliards d’euros.
Après avoir augmenté de 50 % entre 2011 et 2013, les dépenses en faveur des infrastructures durables sont en baisse en 2014 et 2015, et stables depuis. Les investissements dans les énergies renouvelables sont passés de 8,6 à 5,3 milliards d’euros entre 2011 et 2013, et se maintiennent à ce niveau depuis.
Deux tiers des investissements réalisés par le secteur privé
Les ménages et les entreprises réalisent 64 % de ces investissements.
Les dépenses des ménages représentent 10,8 milliards d’euros, soit 33 % des investissements en faveur du climat en 2016. La majorité de ces investissements ont lieu dans le secteur du bâtiment pour des actions comme de l’efficacité énergétique des bâtiments neufs, des rénovations de bâtiments existants ou encore déploiement des énergies renouvelables dans le logement collectif.
Pour réaliser ces investissements, les ménages ont principalement recours à l’autofinancement (4,4 milliards d’euros) et à l’emprunt bancaire (3,3 milliards d’euros). Ils bénéficient d’aides et de subventions publiques à hauteur de 2,7 milliards d’euros.
Les entreprises commerciales et les sociétés de projet investissent quant à elles 9,8 milliards d’euros en faveur du climat, soit 31 % du total investi en 2016. Elles réalisent la majorité de leurs investissements dans la production d’énergie centralisée et les réseaux, notamment la production électrique renouvelable (3,3 milliards d’euros).
Pour financer leurs investissements, les porteurs de projets mobilisent trois types d’instruments, en plus de leurs fonds propres : les aides, subventions et versements (versés sans contrepartie financière) ; la dette « concessionnelle », emprunts à condition de taux, de durée ou de garantie, plus favorables pour le porteur de projet que la dette dite « commerciale » ; et la dette « commerciale », émise par les banques commerciales ou les marchés financiers.
Le rôle de la puissance publique
En tant que porteurs de projet, l’État, les collectivités, les bailleurs sociaux et les gestionnaires publics d’infrastructures – comme SNCF Réseau et la RATP – réalisent 11,4 milliards d’euros d’investissement en 2016. Les acteurs publics ont investi dans les bâtiments publics plus performants, l’efficacité énergétique dans les logements sociaux ou bien des modes de transports moins émetteurs de gaz à effet de serre.
Leur principale source de financement sont les aides engagées par les institutions publiques, à hauteur de 3,8 milliards d’euros. Les bailleurs sociaux empruntent également auprès de la Caisse des Dépôts, à hauteur de 1 milliard d’euros pour les travaux d’efficacité énergétique. Plus largement, les financements conduits par le secteur public, qui incluent également les subventions et la dette concessionnelle aux ménages et aux entreprises, représentent 54 % des investissements en 2015 et 52 % en 2016.
Mesurer la part des financements conduits par la puissance publique permet d’analyser si les investissements en faveur du climat dépendent principalement de l’action publique ou des conditions économiques et réglementaires favorables au financement des projets par le secteur privé.
Pas encore assez d’investissements « verts »
Une façon d’évaluer si les investissements actuels nous mettent sur la bonne voie pour la transition énergétique consiste à regarder l’écart entre les besoins d’investissement estimés et les niveaux d’investissement observés aujourd’hui.
À court terme, les besoins estimés à partir de la Stratégie nationale bas carbone et la Programmation pluriannuelle de l’énergie, instituées en 2015, se situent entre 45 et 60 milliards d’euros d’investissements annuels.
Les besoins annuels d’investissements se maintiennent dans cette fourchette jusqu’en 2020. Entre 2021 et 2030, le besoin annuel d’investissements est estimé entre 50 et 70 milliards d’euros. En adoptant un périmètre comparable, les investissements en faveur du climat identifiés en 2016 et estimés pour 2017 s’élèvent à environ 25 milliards d’euros.
En 2016 et 2017, l’écart entre les investissements climat réalisés et les besoins sont de l’ordre de 20 à 40 milliards d’euros.
Vers un « Green New Deal » ?
Notre analyse montre que le patchwork de politiques publiques en France a d’ores et déjà permis de créer un environnement ou les acteurs, privés comme publics, investissent dans l’économie bas carbone. Il reste néanmoins du chemin à parcourir pour être en ligne avec les objectifs fixés par la loi.
En volume, l’écart entre les investissements actuels et les investissements nécessaires se concentre dans le secteur du bâtiment, et particulièrement celui de la rénovation des logements privés. Dans la rénovation des bâtiments tertiaires, les véhicules bas carbone et les réseaux de chaleur, les volumes d’investissements nécessaires sont plus faibles, mais représentent plusieurs fois le niveau des investissements actuels. Dans le domaine de la production d’énergie renouvelable et des infrastructures de transport durable, les investissements réalisés sont aujourd’hui proches des besoins estimés.
Pour y arriver, le gouvernement pourrait commencer par s’interroger sur la durabilité du modèle de financement actuel – qui repose aujourd’hui fortement sur des subventions – et chercher à mieux mobiliser les sources de capital privé pour financer la transition.
Un « Green New Deal » réussi demandera notamment à la puissance publique de mobiliser des instruments, des incitations et des interventions publiques pour convaincre les entreprises et les ménages qu’investir dans le futur bas carbone sera – et est déjà – rentable.
Hadrien Hainaut, chef de projet « Finance, investissement et climat » au sein d’I4CE, est co-auteur de cet article.
Ian Cochran, Économiste, directeur de programme « Finance, investissement et climat » d’I4CE, chercheur associé, AFD (Agence française de développement) et Benoît Leguet, Économiste, directeur général d’I4CE, chercheur associé, AFD (Agence française de développement)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.