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Le ministre de la Justice devant ses juges de la CJR

Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice, comparaît ce lundi 6 novembre devant la Cour de justice de la République (CJR), pour « prise illégale d’intérêts ». Une première sous la 5ᵉ République.

Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux (site du gouvernement)
Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux (site du gouvernement)

C’est inédit. Un ministre de la Justice en exercice va devoir s’expliquer devant une juridiction compétente pour juger les crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions.

Une motion de défiance

Depuis sa nomination place Vendôme, le 6 juillet 2020, Eric Dupond-Moretti n’en finit pas de soulever des vagues de protestation dans le monde judiciaire. Après les manifestations et le vote d’une motion de défiance à l’égard de leur ministre, les deux principaux syndicats : l’Union Syndicale des Magistrats (USM) et le Syndicat de la Magistrature (SM) ont déposé plainte devant la Cour de Justice de la République contre Eric Dupond-Moretti.
Dans un communiqué, les magistrats expliquent : « Un ministre de la Justice, Garde des Sceaux, ancien avocat, peut-il solliciter des procédures pré-disciplinaires à l’encontre de magistrats ayant eu à connaître le dossier le concernant ou concernant ses anciens clients » ?

L’affaire des écoutes

Pour comprendre, il faut se souvenir que l’avocat Dupond-Moretti était visé par une enquête du Parquet National Financier (PNF) dans le dossier des écoutes de Nicolas Sarkozy. Me Dupond-Moretti avait alors déposé plainte. Une fois nommé place Vendôme, il a retiré sa plainte. Mais, devenu Garde des sceaux, Dupond-Moretti a saisi l’Inspection générale de la Justice (IGJ) pour enquêter sur les éventuelles fautes de trois magistrats du PNF, nommément désignés, qui avaient alors travaillé sur le dossier Sarkozy et donc avaient épluché ses relevés téléphoniques (les fameuses fadettes).
Le ministre de la Justice devenant ainsi juge et partie selon les magistrats.
Les syndicats de magistrats ont alerté le président de la République, ils ont aussi manifesté leur courroux, puis déposé plainte contre leur ministre. « Eric Dupond-Moretti, en tant qu’avocat, a voulu faire punir des magistrats s’étant occupés de dossiers concernant l’un de ses clients (affaire Levrault) ou le concernant lui-même et ses proches (affaire PNF), écrivent l’USM et le SM…. Par cette plainte, nous cherchons d’abord à obtenir le respect de la loi ».

« Une institution de faux-culs »

Depuis sa nomination place Vendôme, le 6 juillet 2020, Eric Dupond-Moretti donne des aigreurs aux magistrats. Cet avocat pénaliste de renom, champion de France des acquittements aux assises, n’a jamais fait mystère d’une réelle répulsion pour la magistrature, « institution de faux-culs, petit monde de l’entre soi et de l’irresponsabilité » dira-t-il. À leur tour, les magistrats qualifient Dupond-Moretti de « terroriste des prétoires ». Bref, le grand amour, entre ceux qui jugent et celui qui défend (avec talent) délinquants et criminels.

« Des traces de cocaïne »

Cette aversion pour les magistrats date peut-être de cette vieille affaire de 1993 lorsque, jeune avocat, il fut inquiété dans une sombre histoire de cocaïne dont on a retrouvé des traces dans sa voiture. Ce qui lui valut une perquisition et une garde à vue. Il n’a pas aimé.
Pourtant, « le Gros » comme le surnomment amicalement ses confrères, a continué sa carrière jusqu’à devenir l’un des ténors mythiques du barreau.
Sa nomination comme Garde des sceaux a été ressentie par les magistrats comme une provocation de la part du Président de la République. « Tout le monde l’attend à l’orée du bois avec un fusil à pompe » dira même un magistrat.

Applaudi par les détenus

Il est vrai que le tout nouveau ministre de la Justice, et grand chasseur devant l’Éternel, n’a rien fait pour calmer le jeu. Sa première visite officielle, il l’a réservée à la prison de Fresnes où il fut chaudement applaudi par les détenus. De quoi surprendre.
Mais surtout, les magistrats ont vécu comme un véritable affront deux décisions du ministre de la Justice : L’ouverture d’une enquête administrative contre trois magistrats du parquet national financier (PNF) et la nomination à la tête de la prestigieuse École Nationale de la Magistrature (ENM) de Bordeaux non pas un ou une magistrat (e) comme c’est le cas depuis sa création en 1958, mais une avocate pénaliste, Nathalie Roret. Il est vrai que, lorsqu’il était encore avocat, Dupond-Moretti plaidait pour la suppression de l’ENM pour la remplacer par une école formant à la fois avocats et magistrats.

Le ministre de la Justice sera jugé du 6 au 17 novembre 2023 restera cependant à son poste. Elisabeth Borne a annoncé que le garde des Sceaux quitterait le gouvernement s’il était condamné.

 

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